Chronique ouvrière

Au Technocentre Renault Guyancourt, un trouble manifestement illicite peut en cacher un autre... qui n’a pas été appréhendé à cause du relâchement des juges

CA Versailles 6 janvier 2022.pdf

Les mésaventures survenues à H. ne sont pas inconnues des visiteurs de Chronique Ouvrière, qui a dénoncé le 12 juin 2016 un licenciement portant atteinte au libre exercice de l’activité syndicale et au droit des salariés des entreprises prestataires intervenant au sein de la collectivité de travail de l’entreprise utilisatrice de communiquer avec les organisations syndicales présentes dans cette entreprise (http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article922).

Chronique Ouvrière a également mis en ligne l’arrêt du 27 février 2018, par lequel la Cour d’appel de Versailles, intervenant dans le cadre d’une procédure de référé, a constaté la nullité du licenciement de H. pour atteinte à la liberté d’expression et a condamné la société EURODECISION au versement de sommes provisionnelles au titre de l’indemnité de préavis, de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité pour licenciement nul (http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article961).

Cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles a été cassé le 4 novembre 2020 par la Cour de cassation qui a reproché aux juges d’appel d’avoir considéré que H. était recevable à invoquer le statut de « lanceur d’alerte » sans avoir préalablement constaté que le salarié avait relaté ou témoigné de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime.

Il revenait alors à la Cour d’appel de renvoi de déterminer en quoi la remise en cause du droit à sa libre communication avec les syndicats de la société RENAULT était constitutive d’un délit.

H. a ensuite fait valoir devant la Cour d’appel de renvoi que même s’il ne lui était pas reconnu le statut de « lanceur d’alerte », il n’en demeurait pas moins qu’il avait fait l’objet d’un licenciement attentatoire à sa liberté d’expression et que ce licenciement devait dès lors encourir l’annulation.

Cette demande n’avait rien d’incongru. La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt rendu le 6 mai 2021 intervenant dans un contentieux suscité par le licenciement d’un salarié ayant dénoncé des anomalies comptables et financières, avait déjà eu l’occasion de prononcer l’annulation de ce licenciement se révélant porter atteinte à la liberté d’expression, même si les manquements mis en cause, dont il n’était pas étalbis qu’ils seraient consitutifs d’un délit ou d’un crime, ne permettaient pas de se prévaloir de la qualité de « lanceur d’alerte » (CA Versailles, 6 mai 2021, Bulletin Joly Travail, septembre 2021, 12 et s.).

I. L’atteinte à la libre diffusion des informations syndicales et au droit de recevoir des informations ayant un objet syndical est constitutive d’un trouble manifestement illicite.

Par son arrêt du 6 janvier 2022, la Cour d’appel de Versailles, (6ème chambre), statuant comme cour de renvoi, a condamné la société EURODECISION à verser à chacun des deux syndicats qui s’étaient constitués parties intervenantes aux côtés de H., la CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Renault Guyancourt Aubevoye, la somme provisionnelle de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession, après avoir considéré que la restriction à la libre diffusion des communications syndicales et à la possibilité pour les syndicats de recevoir des informations ayant un objet syndical était une atteinte à la liberté syndicale constitutive d’un trouble manifestement illicite.

Les attendus de l’arrêt du 6 janvier sont on ne peut plus explicites.

« Si elle n’est pas saisie ici d’une demande de nullité de l’avertissement, la cour l’est d’une demande de dommages et intérêts formulée par les syndicats au titre de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession qu’aurait engendrée cette sanction, les appelants relevant que ses termes révéleraient une atteinte à la liberté syndicale.

En écrivant le courriel du 15 mars 2016, H. encourageait divers syndicats du groupe Renault à na pas terminer la manifestation du 31 mars 2016 en rentrant chez soi après l’arrivée du cortège mais à occuper les lieux la soirée et la nuit, la diffusion du film « Merci Patron ! » étant suggérée au regard de son impact mobilisateur, cette diffusion étant d’ores et déjà préconisée par le journal Fakir dont H. se présentait comme un bénévole.

A ce message était joint le tract « nuit rouge » du journal Fakir préconisant la projection géante du fil « Merci Patron ! », après le défilé.

La cour observe que le courriel a été adressé à plusieurs syndicats ou leurs représentants et non à des salariés du Technocentre Renault.

Ayant trait à une manifestation à l’encontre d’un loi en lien avec les droits des salariés et soutenant une action syndicale, le message a un contenu politique et syndical.

S’agissant des modalités utilisées par le salarié pour transmettre son message aux syndicats, il est relevé que le guide du système d’information de la société Eurodécision retient que la messagerie professionnelle du salarié ne doit pas servir à véhiculer des informations de nature politique ou religieuse ou de façon plus générale sans rapport avec l’activité de la société, le courrier a été envoyé par H. de sa messagerie personnelle, en dehors du temps et de son lieu de travail.

Si l’ordre de mission du salarié retient qu’il doit utiliser les ressources du système d’information de la société cliente uniquement dans le cadre de son activité professionnelle, il doit également être observé que H. a eu recours à trois adresses personnelles de syndicats (adresse : Orange.fr) ce qui a conféré à son message, dans ce cadre, un caractère privé.

L’utilisation des adresses « renault.com » des autres syndicats et de M…. et de M…., membres dy syndicat CFE-CGC, s’est opérée, selon ses explications, grâce à la consultation des pages réservées aux syndicats sur le site intranet du Technocentre Renault.

H. communique notamment aux débats la page intranet dédiée à la CFE-CGC mentionnant les adresses mails de M… et de M….

Or, ces adresses ainsi recueillies par le salarié ne font à proprement parler des ressources du système d’information de la société cliente qui ne sert qu’à les héberger.

Le fait de reprocher au salarié de les consulter et de les utiliser est une restriction à la libre diffusion des communications syndicales outre à la possibilité pour les syndicats de recevoir des informations ayant un objet syndical ».

Le mérite de ces attendus est manifeste.

La Cour d’appel a reconnu sans équivoque que l’agissement consistant à reprocher à un salarié d’une entreprise prestataire intervenant au sein de la collectivité de travail d’un établissement d’une entreprise cliente de communiquer avec les organisations syndicales présentes dans cet établissement porte atteinte au libre exercice de l’activité syndicale et cause de manière évidente un préjudice à l’intérêt collectif de la profession justifiant l’intervention syndicale.

La chaleur du commentaire s’arrêtera là.

En lisant l’arrêt du 6 janvier, H. a pris, contre toute attente, une douche écossaise en apprenant qu’il suffisait de maquiller par une rédaction se voulant astucieuse de la lettre de licenciement la répression de sa dénonciation de la remise en cause de son droit à la communication avec les syndicats de la société Renault pour que son licenciement n’encoure pas la nullité.

II. Il a suffi à l’employeur de brandir l’épouvantail d’une prétendue « déloyauté » pour que le licenciement du dénonciateur de la violation de la liberté syndicale échappe à l’intervention du juge des référés.

La Cour de renvoi s’est livrée à plusieurs constatations.

« En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 21 avril 2016, il est reproché à H. d’avoir procède le 16 mars 2016 à l’enregistrement sonore d’une conversation privée avec le président directeur général de la société puis d’avoir communiqué cet enregistrement à des tiers à l’entreprise afin d’assurer sa diffusion le 21 mars 2016 dans le cadre d’une vidéo postée sur le site internet « you tube ».

L’employeur vise que, dans le même temps où des propos du président directeur général ont été diffusés, H. a évoqué la procédure disciplinaire dont il était l’objet et affirmé être licencié, ce alors même que l’entretien préalable n’avait pas eu lieu.

La transcription de la vidéo sur le site You tube de Fakir telle que ressortant de la pièce n° 10 bis de H. permet de retenir que les propos suivants de M. ont été diffusés après que le salarié en a transmis le contenu :
« … donc ils surveillent, et ils surveillent les mails. Et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité ? Bah les mails des syndicalistes, bien évidemment ! Je suis convaincu que tu es de bonne foi. C’est pas la question. Le problème c’est que tu as fait une grosse bêtise. C’est une grosse bêtise ; T’es pas sensé, en tant qu’intervenant chez Renault, discuter avec les syndicats de Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault ».

La Cour en a déduit que H. ne saurait se prévaloir du statut de « lanceur d’alerte » dans la mesure où en facilitant la diffusion des réserves émises par M. relativement à la libre communication du salarié avec les syndicats du Techocentre, il n’en pas dénoncé pour autant un crime ou un délit.

Ce refus de reconnaître à H. la qualité de « lanceur d’alerte » n’est guère convaincant.

L’employeur de H. ne s’est pas contenté d’émettre de simples réserves sur son initiative de communiquer avec les syndicats de Renault. H. est convoqué, le surlendemain de l’avoinée du 16 mars 2016, à entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave.
H. avait rappelé devant la Cour de renvoi que l’atteinte à violation de la liberté syndicale relevait du délit d’entrave.

Le Professeur Jean-Maurice VERDIER a souligné qu’il ressort de l’étude de la jurisprudence pénale que le délit d’atteinte à la liberté syndicale peut être réalisé par tout moyen et que l’infraction d’entrave à l’exercice du droit syndical peut se trouver constituée dans le domaine de l’autonomie de fonctionnement du syndicat (J-M. VERDIER, Syndicats et droit syndical, 2ème éd., volume II, le doit syndical dans l’entreprise, Dalloz, 1984, 434 et s.).

L’autonomie syndicale dans l’entreprise se manifeste par la liberté d’expression et par le libre exercice du droit d’information du syndicat (voir, dans ce sens, J-M. VERDIER, op. cit. 182 et s.). Il a été relevé que le délit d’entrave est caractérisé lorsque le représentant du syndicat se voit refuser les informations le mettant dans l’impossibilité d’exercer sa mission (voir, à ce sujet, R. SALOMON et A. MARTINEL, Droit pénal social, 5è éd. , Economica, 209 et Cass. Crim. 5 octobre 1982, n° 81-95.163, Bull. crim, n° 207). D’une manière plus générale, le délit d’entrave se manifeste par tout obstacle à la mise en œuvre de la communication syndicale. « En effet, l’employeur ne dispose pas d’un droit de contrôle sur la teneur des communications syndicales » (R. SALOMON et A. MARTINEL,op.cit., 208).

H. a fait valoir devant la Cour de renvoi que La réciproque n’était pas moins vraie.

Il a été constaté que son employeur a remis en cause son droit à la libre communication avec les syndicats de la société Renault et l’a sanctionné en vue d’empêcher un salarié mis à disposition étroitement lié à la collectivité de travail du Technocentre de remettre aux organisations syndicales de la société Renault des informations rentrant dans le champ de leur mission.

En dénonçant cette remise en cause de la liberté syndicale constituée par une entrave caractérisée au droit des syndicats de la société Renault de recevoir toute information de leur choix, H. était dès lors légitime à se prévaloir du statut de « lanceur d’alerte ».

La Cour de renvoi a ensuite écarté le grief tiré de l’atteinte à la liberté d’expression en retenant que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement visaient « la déloyauté du salarié et non plus, comme l’avertissement, le fait d’avoir communiqué avec les syndicats du Technocentre ».

Quelques lignes plus haut, la Cour d’appel de Versailles avait relevé que « pour apprécier l’existence d’un trouble manifestement illicite en cas de licenciement dont la nullité est invoquée doit procéder à une recherche approfondie pour déterminer si le licenciement est entaché de nullité ».

Il y a loin de la coupe aux lèvres.

En ce qui concerne la cause du licenciement de H., la Cour s’est contentée d’un contrôle extra-light.

Les juges ont entériné l’accusation de « déloyauté » portée par l’employeur à l’encontre de H. en relevant que le salarié « affirme : j’arrive à être licencié » ce, alors même que l’entretien préalable n’avait pas eu lieu ».

Ils ont ainsi décidé de faire totalement abstraction de l’émotion de H. qui venait de recevoir, dans la foulée des propos virulents, pour ne pas dire particulièrement violents, de son employeur lui interdisant de communiquer avec les syndicats de Renault, une lettre lui annonçant un éventuel licenciement pour faute grave et lui notifiant une mise à pied conservatoire. La mauvaise foi attribuée à H. est donc loin d’être caractérisée, lorsqu’il déclare « j’arrive à être licencié ».

La Cour de renvoi exclut du champ de la liberté d’expression de H. la diffusion de l’enregistrement litigieux en faisant valoir le « caractère privé de sa conversation avec le président directeur général ».

H. avait pourtant attiré son attention sur le fait que l’enregistrement et la diffusion qui lui étaient reprochés ne concernaient aucunement des informations d’ordre privé mais portaient exclusivement sur des propos menaçant la liberté syndicale.

Ce n’étaient pas tous les propos tenus par le Président Directeur Général de la société EURODECISION au cours de l’entretien du 16 mars qui ont été diffusés. Ce sont seulement les extraits qui concernaient la surveillance des mails des syndicalistes et l’interdiction faite à l’intervenant envoyé par la société prestataire de discuter avec les syndicats de Renault.

En permettant la diffusion de propos de cette nature tout en s’attachant à préserver l’anonymat de leur auteur, H. n’avait pas pour dessein de régler des comptes personnels. Il avait seulement pour souci d’alerter sur une menace établie pesant sur la liberté syndicale.

L’arrêt du 6 janvier 2022 laisse le lecteur frustré.

Il se retrouve en quelque sorte dans la situation du spectateur d’une rencontre sportive qui voit les joueurs se donner à fond dans la première mi-temps pour ensuite lever exagérément le pied au cours de la seconde partie du match.

Il n’est pas dit que la répression du militantisme de H. pour la diffusion syndicale du film « Merci Patron » ne donne pas lieu à de futures joutes permettant l’exercice d’un contrôle judiciaire d’une qualité constante.


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