Il ne faut pas confondre l’accessoire (la "faute") et le principal (la préservation du mandat)
Une société spécialisée dans le transport de personnes handicapées ou à mobilité réduite a déposé auprès de l’Inspection du travail une demande d’autorisation de licenciement à l’encontre d’un conducteur de bus, à qui elle reprochait d’avoir divulgué des informations sur son entreprise à un potentiel investisseur.
L’Inspectrice du travail a refusé d’autoriser le licenciement, d’une part, en raison du caractère soit non établi, soit insuffisamment grave des agissements reprochés, d’autre part, au motif que le licenciement n’était pas sans rapport avec les mandats syndicaux détenus par l’intéressé, eu égard au climat social très dégradé au sein de l’entreprise et à la présentation de la demande de licenciement en période de renouvellement des institutions représentatives du personnel.
Le recours hiérarchique formé contre la décision de refus a été rejeté. Le Tribunal administratif n’a pas accueilli la demande de l’employeur tendant à l’annulation de la décision de l’Inspectrice du travail refusant d’autoriser le licenciement et de la décision confirmative prise par la Ministre chargée du travail.
La Cour administrative d’appel devait par contre annuler le jugement du Tribunal administratif ainsi que les décisions administratives refusant de délivrer à l’employeur l’autorisation de licenciement, après avoir considéré que le représentant syndical mis en cause ne pouvait être regardé « comme ayant agi dans le cadre de l’exercice normal de ses mandats syndicaux ».
Par son arrêt du 29 mars 20024, le Conseil d’Etat a censuré l’erreur de droit révélée par les motifs de la Cour d’administrative d’appel. Après avoir relevé qu’était en cause un licenciement en raison d’agissements fautifs commis dans le cadre de l’activité professionnelle et non dans le cadre de l’exercice des mandats, le Conseil d’Etat a souligné que la Cour administrative d’appel aurait dû se prononcer sur le bien-fondé du motif retenu par l’administration quant au lien du projet de licenciement avec le mandat sans tenir compte des faits fautifs qui étaient reprochés au représentant syndical mis en cause.
Cette décision constitue un rappel utile.
Dans ses conclusions sous l’arrêt précurseur du Conseil d’Etat du 5 mai 1976, SAFER d’Auvergne et Ministre de l’agriculture c/ sieur BERNETTE, le commissaire du Gouvernement Philippe DONDOUX a relevé que le salarié protégé peut avoir commis « une faute disciplinaire dans l’exercice soit de son activité professionnelle soit de son activité de représentant » (Dr. Soc. 1976, 352).
[Sur des exemples de comportements considérés comme « fautifs », voir C. BOETSCH, A. CHALOYARD, P. OZENNE, H. ROSE, Y. STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, 6e éd., 969 et s. Il est notamment cité l’utilisation irrégulière des heures de délégation et les « fautes » commises au cours d’une grève].
Il surtout été souligné par Philippe DONDOUX que « la protection doit exister non au niveau de la faute mais au niveau du statut : le représentant est protégé en tant tel ce qui implique que l’on recherche cas par cas si en réalité on n’a pas voulu porter atteinte à ses fonctions représentatives » (Dr. Soc. 1976, 352).
La formule est aujourd’hui consacrée.
« Les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle ; (…) lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé » (CE 5 mai 1976, SAFER d’Auvergne et Ministre de l’agriculture c/ sieur BERNETTE, Dr. Soc. 1976, 346).
Un arrêt du Conseil d’Etat du 15 novembre 1996 a fourni une bonne illustration du fil conducteur de la préservation de l’activité représentative qui doit guider le contrôle administratif exercé lors de l’examen d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié « protégé ».
Le refus du salarié de se soumettre à une clause de mobilité constitue, en principe, un comportement fautif (voir, notamment, C. BOETSCH, A. CHALOYARD, P. OZENNE, H. ROSE, Y. STRUILLOU, op. cit., 749). Le Conseil d’Etat a considéré comme on ne peut plus légitime le refus d’autorisation de licenciement opposé à un employeur qui se prévalait d’une clause de mobilité et du caractère non substantiel de la modification du lieu de travail refusée par un délégué syndical. C’était en effet à bon droit que l’autorité administrative avait refusé de délivrer une autorisation de licenciement, après avoir notamment relevé la concomitance entre l’acquisition du mandat et la proposition de mutation faite en vertu de la clause contractuelle de mobilité. L’essentiel n’était pas dans la recherche de l’existence d’une faute contractuelle mais dans l’exigence d’une vérification méticuleuse de l’absence d’un lien entre la demande de licenciement et les fonctions syndicales exercées par le salarié mis en cause (voir CE 15 novembre 1996, n° 161761 ; Dr. Ouv. 1997, 105 et s., note P.M).
L’arrêt du 29 mars 2024 est de la même veine.
C’est la préservation de l’activité syndicale et représentative qui définit la priorité qui doit guider le contrôle. « Il appartenait ainsi à la cour de se prononcer sur le bien-fondé du motif retenu par l’administration quant au lien du projet de licenciement avec le mandat sans tenir compte des faits fautifs lui étant reprochés » .
Pascal MOUSSY
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