Chronique ouvrière

La négociation d’établissement revisitée par le principe "à travail égal, salaire égal"

mercredi 4 mars 2009 par Pascal MOUSSY
Décison de la Cour de Cassation du 21 janvier 2009.pdf
Décision de la Cour de Cassation du 4 février 2009.pdf
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Treize salariés de l’établissement Radio-France Hérault ont considéré que le principe « à travail égal, salaire égal » remettait en cause la légitimité de la pratique de leur entreprise qui appliquait sur leurs salaires un « abattement de zone » de O, 70 %, alors que les salariés d’autres établissements de Radio-France ne subissaient aucun abattement.

Ils ont engagé une action prud’homale en vue d’obtenir un rappel de salaire faisant disparaitre l’abattement litigieux. Par son arrêt du 21 janvier 2009, la Cour de Cassation a validé la décision des juges du fond qui avaient donné raison aux demandeurs en affirmant le principe « qu’il ne peut y avoir de différences de traitement entre salariés d’établissements différents d’une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ». Et Radio France ne pouvait échapper à la condamnation, faute de fournir une explication objective propre à justifier les différences de traitement constatées entre les salariés de Radio France placés dans une situation professionnelle identique.

Par son arrêt du 4 février 2009, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a souligné qu’au regard du principe « à travail égal, salaire égal », la seule circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de rémunération entre eux et qu’il appartient à l’employeur de démontrer des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence. Elle a en conséquence approuvé les juges du fond qui avaient considéré comme contraire au principe d’égalité de traitement la meilleure rémunération permise par une promotion prévue par un accord collectif. En l’absence d’élément tenant à la formation, à la nature des fonctions exercées ou à l’ancienneté dans l’emploi distinguant les salariées qui se trouvaient dans une situation identique, il n’existait aucune raison objective pertinente justifiant la différenciation salariale.

L’arrêt du 4 février 2009 s’inscrit dans le mouvement amorcé par l’arrêt du 21 février 2007, qui avait affirmé qu’au regard du principe « à travail égal, salaire égal », la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n’a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de son entrée en vigueur (Cass. Soc. 21 février 2007, Liaisons Sociales n° 65 / 2007 du 6 mars 2007).

Il avait également été jugé, à l’époque, que constitue un trouble manifestement illicite l’inégalité de traitement consécutive au refus d’accorder des avantages salariaux prévus par des dispositions conventionnelles aux salariés engagés postérieurement à un transfert d’entreprise et affectés dans la même entité pour y exercer des travaux de même valeur (voir Cass. Soc. 19 juin 2007, décision commentée par J. C. GRAZIANI, « Le juridique au service de l’action syndicale », Chronique Ouvrière du 15 août 2007).

Si l’on relie les arrêts du 21 janvier et du 4 février 2009, la jurisprudence admettant qu’un accord d’établissement puisse constituer à lui seul un motif légitime de différenciation salariale entre des salariés d’une même entreprise (Cass. Soc. 27 octobre 1999, Liaisons Sociales n° 649 du 8 novembre 1999 ; Cass. Soc. 18 janvier 2006, Dr. Ouv. 2006, 491 et s., note A. de S.) ne saurait être maintenue.

Il a déjà été souligné que le « centre de gravité » du droit de l’égalité de traitement en matière salariale réside dans « l’identité de situation dans les conditions concrètes d’exécution de la prestation de travail et non dans des arrangements locaux, fussent-ils revêtus de la signature de représentants de l’organisation syndicale » (P. Moussy, note sous Cass. Soc. 1er juin 2005 et Cass. Soc. 6 juillet 2005, Dr. Ouv. 2006, 45). Il a également été relevé que « la négociation collective constate moins de différences qu’elle ne les conçoit et construit. Quand donc, avec la négociation collective, est évoquée une justification, ou encore une raison de distinguer, ce n’est pas une différence factuelle, c’est une différence construite qui est relevée. Leçon plus importante qu’il n’y paraît : faut-il en effet que la règle « à travail égal, salaire égal » cède devant toute différence construite ? » (A. LYON-CAEN, « A travail égal, salaire égal. Une règle en quête de sens », Revue de droit du travail, juin 2006, 18).

L’artifice de la construction négociée doit aujourd’hui s’effacer derrière la démarche la plus apte à permettre la vérification du respect du principe « à travail égal, salaire égal, celle qui privilégie la « liaison avec le travail » (A. LYON-CAEN, art. préc., 19) ou, si l’on préfère, la « prise en considération des conditions concrètes de réalisation du travail » (P. Moussy, note préc., 46).

La circonstance que le responsable d’un établissement ait accepté de signer un accord prévoyant une meilleure rémunération des salariés travaillant sous son autorité n’autorise pas à affirmer que le travail des salariés des autres établissements a objectivement une moindre valeur.

Elle témoigne seulement que des considérations d’opportunité ont conduit à privilégier une partie des salariés de l’entreprise (peut-être pour acheter la paix sociale, si les heureux gratifiés sont virtuellement plus remuants que les autres…).

Et s’il s’avère que l’accord est le fruit d’un combat propre aux salariés de l’établissement « privilégié », l’application stricte du principe « à travail égal, salaire égal » ne heurte pas la morale syndicale.

D’une part, une action syndicale authentique n’a pas pour finalité de contenir le progrès salarial à l’intérieur d’un établissement.

D’autre part, l’affirmation judiciaire du principe d’égalité de traitement n’empêche pas la lutte collective. Elle peut la stimuler, sans pour autant s’y substituer. Le bénéfice de l’action prud’homale ne revient qu’aux seuls demandeurs à l’instance. De plus, le traitement judiciaire des affaires nécessite parfois un certain temps. Une bonne grève menée dans tous les établissements de l’entreprise reste certainement le moyen le plus efficace et le plus rapide pour que toutes les fiches de paye soient remises au bon niveau. (Si un établissement est situé aux Antilles, les travailleurs effectuant leur prestation de travail en Métropole seront fondés à exiger un réajustement qui ne soit pas inférieur à 200 euros).


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