L’implantation syndicale et le principe d’autonomie à l’épreuve de la loi du 20 août 2008
Dans son évaluation du projet qui allait aboutir à la Position commune du 9 avril 2008, la délégation CGT relevait que « la non prise en compte des salariés des petites entreprises constitue une faiblesse importante du texte » mais que « cela étant, elle autorise la poursuite de nos revendications en leur direction ».
Tout le monde sait, en effet, que l’implantation syndicale est particulièrement difficile dans les petites entreprises où même dans les entreprises de plus de 50 salariés dans lesquelles n’existent pas de traditions ou d’expériences de défense collective.
Il est reconnu le droit dans toute entreprise, sans qu’aucune condition de seuil d’effectifs ne soit aujourd’hui posée, de mettre en place une section syndicale d’entreprise. Cette section syndicale se voit reconnaître des moyens d’action tels que la diffusion de tracts dans l’entreprise ou l’utilisation d’un panneau d’affichage. Mais qui va s’y coller ? Plus précisément, dans une entreprise où les salariés n’ont pas vécu des expériences de luttes leur permettant de prendre confiance et où le fait syndical est jusqu’alors inconnu du fait de l’hostilité affichée du patron, qui va prendre le risque de se faire repérer comme un nouvel adepte du syndicalisme, prenant ainsi le risque d’une très prochaine exclusion ?
Les salariés souhaitant avoir une activité syndicale dans l’entreprise sont a priori protégés contre le licenciement par le Code du Travail. Les articles L.1132-1 et
L. 1132-4 leur permettent de faire constater la nullité d’un licenciement intervenu en raison de cette activité syndicale et de légitimement revendiquer leur réintégration dans l’entreprise. Mais cela supposera une action prud’homale qui interviendra dans la quasi-totalité des cas après la notification du licenciement. Il a déjà été relevé que l’efficacité de la protection de l’exercice d’une liberté passe par un contrôle préventif qui, vu le fonctionnement actuel de la juridiction prud’homale, conduit à privilégier la saisine de l’inspection du travail (voir P. MOUSSY, « Quelques interrogations sur les agents de la protection de l’exercice des libertés dans l’entreprise », Chronique Ouvrière du 10 septembre 2008). Les textes aujourd’hui en vigueur conditionnent l’intervention de l’inspecteur du travail à la possession d’un mandat. C’est donc à partir du salarié mandaté que les syndicat va pouvoir faire ses premiers pas dans l’entreprise.
Nous sommes ici encore loin de la mise en place de ce contre pouvoir qui a été perçu comme attaché à la reconnaissance le la section syndicale d’entreprise par la loi du 27 décembre 1968 (voir J.M VERDIER, Syndicats et droit syndical, volume II, Dalloz, 1984, 32). Mais les employeurs ne sous estiment pas le risque et ne font rien pour faciliter la présence dans l’entreprise d’un salarié qui bénéficierait d’une protection spéciale contre le risque de licenciement lui permettant d’être moins difficilement l’agent de l’implantation syndicale.
La loi du 28 octobre 1982 a supprimé l’exigence d’un seuil de 50 salariés pour que soit reconnue la section syndicale. Mais les employeurs ont réussi à se faire entendre et à faire en sorte que ce seuil soit maintenu en ce qui concerne le délégué syndical. L’effectivité de la mise en place du droit syndical dans l’entreprise implique la suppression d’une condition de seuil pour la reconnaissance du délégué syndical. C’était donc à juste titre que la CGT revendiquait l’alignement des conditions de mise en place du délégué syndical sur celles de la section syndicale en demandant l’abandon de l’exigence d’un effectif minimal.
La Position commune du 9 avril 2008 n’a pas pris cette orientation. Dans son article 10, elle prévoit un nouveau mandat, celui de représentant de la section syndicale, qui sera confirmé par le nouvel article L. 2142-1-1 du Code du Travail, issu de la loi du 20 août 2008. L’examen des textes qui régissent ce nouvel acteur du droit syndical dans l’entreprise peut légitimement susciter quelques inquiétudes.
I. Les dégâts promis par le rajout dans le texte légal de l’exigence de « plusieurs adhérents ».
Il est précisé par l’article L. 2142-1 du Code du Travail que les syndicats peuvent constituer une section syndicale « dès lors qu’ils ont plusieurs adhérents dans l’entreprise ou dans l’établissement ». Il est mis en évidence par l’article L. 2142-1-1 que la désignation du représentant de la section syndicale est subordonnée, ce qui n’est d’ailleurs pas illogique, à la constitution d’une section syndicale.
Seulement, le rajout dans le nouveau texte légal consacré à la section syndicale de l’exigence de « plusieurs adhérents » peut conduire des employeurs combatifs à contester la désignation du représentant de la section syndicale en soutenant ne pas avoir connaissance de l’existence d’une section syndicale dans leur entreprise. Et cela, pour obtenir le nom des adhérents à l’organisation syndicale, le syndicat devant alors fournir la preuve de l’existence desdits adhérents.
Depuis 1997, la Cour de Cassation admet que l’existence d’une section syndicale est établie par la seule désignation du délégué syndical (Cass. Soc. 27 mai 1997, D. 416 et s., note J.M VERDIER). Il reste à voir quel pourra être la solution de la contradiction entre le principe du contradictoire et celui de la liberté de se syndiquer sous l’empire du nouveau texte qui, au contraire de l’ancien, exige « plusieurs adhérents ».
Faudra-t-il revenir à l’époque où le syndicat cherchait à convaincre le juge d’instance du « risque de représailles » pour qu’il accepte que la liste des adhérents ne soit pas communiquée au contradicteur patronal ? Lors des travaux parlementaires, il a été évoqué la possibilité de « faire appel à une autorité extérieure pour attester d’une liste sans la divulguer »… Si le juge n’a pas été convaincu, il restera alors, pour ne pas mettre en danger tous les adhérents, à donner deux noms. Celui du mandaté et un autre (soit pris au hasard ou désigné par un vote démocratique…).
Bref, la mise en œuvre du nouveau texte peut donner lieu à une dépense de beaucoup d’énergie pour éviter un prompt démantèlement de la toute jeune section syndicale. (Voir en annexe les décisions rendues par le Tribunal d’Instance de Roubaix dans l’affaire OKAIDI qui donnent un exemple des difficultés suscitées par le nouveau texte en ce qui concerne la désignation d’un délégué syndical).
II. Le représentant syndical : un nouveau mandat qui sacrifie à la mode de la précarité.
Des commentateurs avertis des nouvelles dispositions légales ont relevé le caractère précaire du mandat de représentant de la section syndicale, qui se voit investi d’une mission à caractère transitoire soumise à l’aléa électoral (voir M.GREVY, « Regards sur la position commune du 9 avril 2008. A propos du devenir (incertain ?) des syndicats dans l’entreprise », Revue de droit du travail, 2008, 432 ; F. DUQUESNE, « Un délégué syndical en devenir : le nouveau représentant de la section syndicale », Dr. Soc. 2008, 1084 et s.).
Les dispositions de l’article L. 2142-1-1 sont à cet égard particulièrement claires.
« Le mandat du représentant de la section syndicale prend fin, à l’issue des premières élections professionnelles suivant sa désignation, dès lors que le syndicat qui l’a désigné n’est pas reconnu représentatif dans l’entreprise.
Le salarié qui perd ainsi son mandat de représentant syndical ne peut pas être désigné à nouveau comme représentant syndical au titre d’une section jusqu’au six mois précédant la date des élections professionnelles suivantes dans l’entreprise ».
Il est dès lors surprenant de lire sous la plume de certains commentateurs, à moins de faire une confusion entre le droit positif et le programme revendicatif, qu’après la fin du mandat du représentant de la section syndicale, « la section syndicale ne perd pas le droit de bénéficier d’un représentant : un autre salarié peut être nommé Rss »… ou bien que « cette formule alambiquée ne fait pas obstacle toutefois, à ce que le syndicat en cause nomme immédiatement après les élections qui n’ont pas permis de l’élever au rang de syndicat représentatif un autre salarié comme représentant de la section syndicale » . Cette présentation excessivement optimiste du texte n’est pas très responsable, si elle doit conduire à des désignations de salariés qui se retrouveront avec un statut de « cobayes » démunis de la protection spéciale contre le licenciement, si jamais il survient un contentieux.
Il est prévu que le représentant de la section syndicale bénéficie des mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l’exception du pouvoir de négocier des accords collectifs.
En fait, ce nouveau représentant aura pour principale activité de faire de la propagande et de convaincre pour que le syndicat obtienne aux élections une nombre de voix suffisant (au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour) pour que le syndicat acquière la représentativité dans l’entreprise.
Il a été relevé que la CGT a obtenu qu’il puisse bénéficier d’un crédit de quatre heures par mois pour exercer cette activité, que « c’est certes insuffisant et la question d’une amélioration de ce droit est effectivement posée » (J.F JOUSSELIN, « Représentativité. Une avancée et des questions », La NVO du 2 mai 2008).
4 heures par mois, c’est effectivement peu pour animer l’activité d’une section syndicale d’entreprise, quelque soit l’effectif de celle-ci, alors qu’en fonction du nombre de salariés, le délégué syndical a droit à 10, 15 ou 20 heures par mois.
Dans les services qui comportent de vastes déserts syndicaux, de nombreuses entreprises emploient des milliers de salariés, parfois éclatés sur des centaines d’établissement distincts. Un délégué syndical a déjà beaucoup de mal à y rencontrer les salariés, même lorsqu’il dispose de 20 heures : le déplacement dans un seul établissement nécessite une journée entière... Avec ses 4 heures, le RSS sera en grande difficulté d’autant plus qu’il n’agira pas, par définition, sur un terrain favorable.
Pendant la durée de son mandat, le représentant de la section syndicale bénéficie de la même protection contre le licenciement que le délégué syndical. Mais, une fois ce mandat arrivé à son terme, il ne pourra être titulaire de la protection spéciale durant les douze mois suivant la date de cessation de ses fonctions que s’il a exercé ces fonctions pendant au moins un an (article L. 2411-3 du Code du Travail).
Le constat s’impose. Si le hasard du calendrier fait que le représentant de la section syndicale a été désigné moins d’un an avant l’échéance électorale, il aura peu de temps pour mener à bien sa tâche de renverser la tendance dans une entreprise où l’employeur entretient l’hostilité à la présence syndicale. Et s’il ne réussit pas à ce que soit passé le cap des 10 %, le patron menant une campagne particulièrement offensive, malheur au vaincu, le licenciement pouvant alors être notifié sans que l’inspecteur du travail ait pu jouer son rôle préventif.
III. De nouvelles dispositions qui malmènent le principe de l’autonomie syndicale.
Par ailleurs, les nouvelles dispositions concernant la désignation du délégué syndical malmènent sans aucun doute le principe fondamental de l’autonomie syndicale dans l’entreprise (voir, sur ce principe essentiel du droit syndical, J.M VERDIER , Syndicats et droit syndical, volume II, Dalloz, 1984, 155 et s.).
Le nouvel article L. 2143-3 du Code du Travail, qui reprend le principe posé par l’article 10-3 de la Position commune, prévoit en effet que le délégué syndical doit être désigné parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel.
Commentant cette nouvelle règle, Jean Maurice VERDIER a émis de sérieuses réserves. « Il aurait mieux valu laisser l’entière liberté de choix au syndicat. Il est normal que le syndicat puisse désigner ou révoquer en fonction de débats internes au syndicat, sans être gêné par cette exigence d’un délégué syndical « candidat ». Le critère d’audience peut éventuellement s’opposer au critère d’efficience. Ce n’est pas nécessairement le candidat ayant recueilli au moins 10 % des voix qui sera le délégué syndical le plus efficace. Le délégué syndical représente le syndicat et non la section syndicale et, bien entendu, pas les électeurs » (Interview de J.M VERDIER dans Chronique Ouvrière du 24 mai 2008, « Quelques interrogations sur la position commune du 9 avril 2008 »).
Le critère électoral, qui irradie la Position commune et les nouvelles dispositions légales, paraît ici bien peu adapté. La prééminence de ce critère est le fruit d’une réflexion sur la légitimité des syndicats parties à un accord collectif. Mais il a été relevé que « les évolutions nécessaires en cette matière, qui touchent également au poids de l’exigence majoritaire, ne s’imposent peut-être pas autant pour d’autres attributions » et que la tendance aujourd’hui est de délaisser ces autres attributions, « en accréditant l’idée que la fonction de négociation surplombe toutes les autres prérogatives syndicales » (G. BORENFREUND, « Le nouveau régime de la représentativité syndicale », Revue de droit du travail, 2008, 721).
Au moment de la reconnaissance du droit syndical dans l’entreprise, Hélène SINAY a souligné que le délégué syndical ne se contente pas de représenter les intérêts des travailleurs en discutant avec le chef d’entreprise. Il est en premier lieu l’agent d’exécution de la section (H. SINAY, « Le degré d’intensité de la présence syndicale dans l’entreprise », Dr. Soc. 1969, 454).
En confiant à l’ensemble du personnel, non seulement le choix de décider du caractère représentatif du syndicat, mais aussi le soin d’habiliter le représentant de l’organisation syndicale dans l’entreprise, les nouveaux textes promeuvent le timbre syndical à très bon marché. Il est désormais possible de participer à la désignation du représentant du syndicat sans payer un centime d’euro de cotisation.
Annexes :
Pascal MOUSSY
Articles de cet auteur
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