Chronique ouvrière

Interview de Noël HENNEQUIN. Retour sur le contentieux de la discrimination salariale et syndicale avec un ancien de Peugeot Sochaux

vendredi 13 novembre 2009

Noël HENNEQUIN et cinq autres militants CGT de l’usine Peugeot de Sochaux (François CLERC, Marc MARTINEZ, Philippe AIRES, Daniel TOUSSENEL et Robert HUOT) ont saisi en décembre 1995 la formation de référé du Conseil de Prud’hommes de Paris en vue faire cesser le trouble manifestement illicite constitué par la discrimination salariale et syndicale dont ils faisaient l’objet depuis de nombreuses années. L’ordonnance prud’homale du 4 juin 1996, Hennequin et autres contre Sté Automobiles Peugeot (Dr. Ouv. 1996, 381 et s., note Jean-Maurice VERDIER), qui a accueilli favorablement leur démarche, est considérée comme ayant donné une forte impulsion à l’action prud’homale contre la discrimination salariale et syndicale.

Aujourd’hui retraité (mais toujours aussi actif), Noël HENNEQUIN a gentiment accepté de répondre aux questions de Chronique Ouvrière.

Chronique ouvrière : Comment a démarré « l’affaire » de la discrimination syndicale à Peugeot Sochaux ?

Noël HENNEQUIN : En 1995, cela faisait 30 ans que j’étais bloqué dans ma catégorie P3. Cela commençait à bien faire !

En 1965, avec un autre collègue de travail, qui exerçait également les fonctions d’outilleur de presse, nous avons passé avec succès l’essai pour être P2 en obtenant la note de 17. Ce qui nous a permis d’accéder tout de suite à la qualification de P3. Avec mon copain, nous étions à l’époque adhérents à la CFDT.

En 1995, ce copain était chef d’atelier. Entre temps, il avait arrêté l’activité syndicale. Comme un certain nombre d’autres. En 1968, à la reprise du travail.

Pour ma part, on me confiait les mêmes responsabilités qu’aux autres professionnels de mon atelier, qui connaissaient une progression normale dans leur qualification. Mais je restais toujours P3. Parce que je n’avais pas arrêté le militantisme syndical. En 1973, avec plusieurs autres copains, à la suite de problèmes rencontrés avec la CFDT qui ne voulait plus me permettre d’exercer des mandats parce qu’elle me jugeait trop « remuant », j’avais rejoint la CGT.

Dans le courant de l’année 1995, mes camarades d’atelier, qui faisaient les mêmes tâches que moi, choqués par mon absence d’évolution professionnelle et par le caractère flagrant de la différence de traitement qu’il y avait entre eux et moi, ont signé une pétition demandant qu’il me soit reconnu le droit à une évolution de carrière normale. Cette pétition a recueilli une trentaine de signatures.

Au début de l’été 1995, à l’occasion d’une activité militante, j’ai rencontré un juriste militant à la CGT, Pascal MOUSSY. Lorsque je lui ai présenté la situation, il m’a dit qu’il y avait certainement quelque chose à faire et qu’il était tout à fait d’accord pour nous aider.

J’en ai parlé au syndicat. Il a été décidé de proposer à Pascal qu’il vienne nous voir à Sochaux. Il a débarqué un matin du mois d’octobre au moment de l’embauche. Nous l’avons accueilli au local syndical. Et, après avoir été cherché du thé, nous nous sommes mis au travail.

Chronique ouvrière : L’affaire Peugeot n’était certainement pas la première dénonciation devant les tribunaux d’une situation de discrimination syndicale en matière salariale et de déroulement de carrière. Mais c’était la première fois qu’une affaire de cette nature était présentée devant le juge des référés prud’homal.
Comment vous est venue l’idée du référé. Qu’en attendiez-vous ?

Noël HENNEQUIN : Cela faisait pas mal de temps que cette situation de discrimination était très mal vécue par un certain nombre de militants CGT travaillant à l’usine de Sochaux. Certains avaient même commencé à entreprendre des démarches, notamment auprès de l’inspection du travail, pour tenter de faire cesser les pratiques de la direction de Peugeot. Mais ces tentatives n’avaient pas été très fructueuses et le chemin à faire pour obtenir la condamnation de Peugeot paraissait encore très long, un vrai chemin de croix…

Pascal nous a présenté les mérites de cette procédure particulière qu’est le référé prud’homal : sa rapidité, la caisse de résonnance qu’est une victoire en référé.

Il nous a conseillé de ne pas nous laisser arrêter par les propos savants de ceux qui expliquaient que la discrimination était une chose trop complexe pour faire l’objet d’une condamnation par le juge des référés, présenté comme le juge de l’évidence.
Il nous a raconté que d’éminents juristes syndicaux de Montreuil, pleins de sagesse et d’expérience, lui avaient expliqué qu’il ne fallait surtout pas présenter une affaire de discrimination devant le juge des référés. Il nous a dit en rigolant qu’il les avait remercié pour leurs avisés conseils et il a nous a proposé de ne pas les suivre, convaincu que la discrimination salariale et syndicale était bien dans le champ d’intervention du juges des référés prud’homal.

Nous n’avions pas grand chose à perdre. Si c’était possible d’obtenir une condamnation des pratiques antisyndicales de Peugeot dans un temps pas trop long, pourquoi pas ?

Finalement, nous n’avons pas eu tort de faire confiance à Pascal.
L’affaire a été introduite en décembre 1995. Six mois plus tard, en juin 1996, après des péripéties de procédure suscitées par une discussion sur la compétence territoriale des juges parisiens, nous avons obtenu de la formation de référés du conseil de prud’hommes de Paris, statuant en départage, une décision favorable qui n’est pas passée inaperçue.

Chronique ouvrière : On a beaucoup parlé d’une « méthode » qui aurait été mise au point à l’occasion de l’affaire Peugeot. En quoi consiste cette méthode. Qui l’a élaborée ?

Noël HENNEQUIN : Lorsqu’il est venu nous voir, Pascal avait dans son sac la copie d’un procès-verbal d’un inspecteur du travail qui avait déjà eu l’occasion de constater une situation de discrimination salariale et syndicale dans une grosse boîte de la métallurgie.

C’est ce document qui nous a indiqué la « méthode » à suivre pour faire apparaître la discrimination. Il s’agissait, avec des tableaux, de comparer l’évolution de carrière de syndicalistes et de non syndicalistes embauchés à la même époque avec la même qualification initiale.

Nous avons alors entreprise un travail collectif de « recopiage » de cette méthode, que nous avons agrémentée de quelques jolies courbes mettant en évidence l’écart entre les militants CGT et leurs collègues de travail ayant évolué normalement.

Voilà, ce n’était pas bien sorcier.

Chronique ouvrière : Dans le dossier présenté aux juges, quels sont les éléments qui, selon toi, ont été déterminants pour emporter leur conviction ?

Noël HENNEQUIN : Des collègues de travail ont accepté de faire des attestations dans lesquelles ils faisaient part de leur incompréhension devant notre absence d’évolution salariale et professionnelle et de leur conviction que la direction voulait nous faire payer notre engagement syndical. Ces attestations de salariés qui, pour, la plupart, étaient encore en activité dans l’entreprise n’ont certainement pas laissé les juges indifférents.

Mais le travail de comparaison que nous avons effectué avec les tableaux et les courbes était particulièrement parlant. Et je pense qu’il a été décisif pour que nous emportions le morceau.

Chronique ouvrière : Comment les salariés du site de Sochaux ont-ils compris l’action prud’homale des six, puis des dix-huit ? Etaient-ils de simples spectateurs ou se sentaient-ils concernés ?

Noël HENNEQUIN : Dans l’ensemble, nous avons eu un soutien sans faille de nos collègues de travail.

En ce qui me concerne, par exemple, mon atelier comprenait 500 personnes. Une trentaine de collègues a tenu à témoigner ou à signer la pétition exigeant l’arrêt de la discrimination.

Un certain nombre de salariés de l’usine de Sochaux étaient bien conscients que, pour avoir une promotion, il fallait avoir une carte FO. Ils prenaient donc la carte. Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’ils votaient FO aux élections professionnelles.
Mais ce qui régnait, c’était un profond sentiment d’amertume, voire d’indignation contre ce système qui conduisait beaucoup de salariés à avoir un comportement dont ils n’étaient pas très fiers.

Ils ont accueilli notre victoire prud’homale avec un fort sentiment de revanche.

Chronique ouvrière : Est-ce que les militants qui ont participé à l’action judiciaire en ont fait un bilan syndical ?
Aujourd’hui, la situation a-t-elle changé pour les syndicalistes CGT à Peugeot-Sochaux ?

Noël HENNEQUIN : Nous avons pu constater que notre succès prud’homal a permis à la CGT de connaître une forte progression aux élections professionnelles.

Par exemple, à PCI, mon département, aux élections qui ont suivi la condamnation de la discrimination, la CGT est passée de 55 % à 80 % des voix.

En 10 ans, le nombre de syndiqués à la CGT à l’usine de Peugeot-Sochaux a progressé de 20 %.

Avant notre action prud’homale, le militant syndical actif était nécessairement discriminé par Peugeot.

Depuis la reconnaissance et la condamnation de la discrimination syndicale obtenues en justice, être syndiqué CGT à l’usine de Peugeot-Sochaux n’est plus associé à salarié discriminé.

Chronique ouvrière : L’affaire Peugeot a fait des petits. Encore tout récemment, la presse a parlé d’un ancien ingénieur chimiste de Nestlé qui a obtenu de la Cour d’appel de Paris 608 000 euros à titre de réparation du préjudice causé par la discrimination syndicale.
Que penses-tu de l’évolution du contentieux de la discrimination salariale et syndicale ?

Noël HENNEQUIN : Il ne m’est pas apparu que, dans les affaires de discrimination salariale et syndicale qui ont été portées en justice à la suite du succès qu’ont obtenu les militants CGT de Peugeot, il y ait toujours eu la même démarche collective qui accompagne les syndicalistes engageant le procès.

Parfois, le « discriminé » m’a semblé un peu seul, manquant de témoignages de collègues de travail tenant à être présents à ses côtés devant les juges.

Il est vrai que pour des militants arrivant en fin de carrière, il n’était pas toujours facile de retrouver des copains ou des copines ayant disparu de d’entreprise et parfois éparpillés dans les quatre coins du pays pour leur retraite.

Mais, dans tous les cas de figure, c’est une bonne chose que les patrons aient été condamnés à rendre l’argent qu’ils avaient volé à des syndicalistes.

Il ne faut jamais perdre une occasion de dénoncer les pratiques patronales.


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