Chronique ouvrière

SAS (suite) :
y a-t-il un pilote dans l’avion ?

lundi 4 janvier 2010 par Claude LEVY
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DROIT SOCIAL 1 - DROIT DES AFFAIRES 0

Par arrêt en date du 10 décembre 2009, la Cour d’appel de Paris, en référé, tire toutes les conséquences du défaut de pouvoir d’un directeur du personnel dans une société par actions simplifiées pour représenter l’employeur, c’est-à-dire le Président de la SAS Lehwood Montparnasse, et licencier une salariée protégée, et ce quand bien même l’inspecteur du travail aurait autorisé son licenciement.

Cette décision est le point d’orgue d’une jurisprudence maintenant constante des chambres sociales de la Cour d’appel de Versailles et de la chambre sociale des référés de la Cour d’appel de Colmar (SAS CORA 13/01/2009).

Sans s’attarder sur la forme des délégations et subdélégations concédées par le Président de la SAS, et c’est en cela que sa décision innove, la Cour d’appel rappelle tout d’abord que la lettre de licenciement doit être notifiée par l’employeur (article L1232-6 du Code du Travail).

Elle énonce ensuite les dispositions de l’article L227-6 du Code du Commerce aux termes desquelles la SAS (ou la SASU) n’est représentée à l’égard des tiers que par son seul Président sauf à ce que les statuts prévoient expressément les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le Président, portant le titre de directeur général ou directeur général délégué puissent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier.

Exigence supplémentaire, la Cour rappelle que selon l’article 15 10e du décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce, doivent être déclarés, pour figurer à ce registre, notamment les noms, prénoms ……….des associés et tiers ayant le pouvoir d’engager la société, obligation rappelée par une circulaire ministérielle du ministère de la justice en date du 26/12/2002.

Comme précisé par un lecteur avisé de la décision présentement commentée, ce décret est maintenant codifié.

Les obligations citées par la Cour sont désormais reprises à l’article R123-54 2èmea) du code du commerce (article 10 du décret n° 2007-750 du 9 mai 2007) qui reprend les textes européens suivants :

-  règlement CE n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne
-  directive 2003/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 15/07/2003 modifiant la directive 68/151/CEE du Conseil en ce qui concerne les obligations de publicité de certaines formes de sociétés.

La Cour d’appel constatant que l’extrait du registre du commerce ne porte trace d’aucune délégation consentie au directeur du personnel en conclue que ce dernier ne disposait pas du pouvoir de licencier, ce qui constitue une irrégularité de fond qui affecte la validité du licenciement notifié à la demanderesse.

Le licenciement s’avère donc nul et de nul effet.
La demanderesse a demandé à la Cour de tirer les conséquences indemnitaires de cette nullité et non sa réintégration.

A la lecture d’un arrêt du 3 décembre 2009 rendu par la même Chambre de la Cour d’appel, nul doute qu’elle l’aurait obtenue (même si le cas d’espèce est un peu différent).

Pour toutes les raisons énoncées par « Chronique Ouvrière » dans l’article « où l’on apprend que la SAS n’est peut être pas la société capitaliste mirifique », il est juste d’exiger que le (les) dirigeants d’une SAS, qui disposent d’une liberté de gestion interne sans précédent, répondent directement en droit social de leurs actes les plus graves, hors ceux de gestion courante.

Le licenciement d’un (une) salariée constitue l’un des actes les plus graves qui engage parfois la vie de celui ou de celle qui en est victime.

Cette évidence est trop souvent oubliée pas nos excellents juristes en droit des affaires renvoyés à leurs études par le présent arrêt.

Plutôt que de se déclarer offensés par de telles décisions qui remettraient en cause leurs
prérogatives, les directeurs du personnel de SAS feraient mieux de se regrouper et de revendiquer une revalorisation de leur statut par leur promotion comme directeur général ou directeur délégué inscrits sur le Kbis.

Un nouveau champ de syndicalisation est donc accessoirement ouvert par la Chambre des référés de la Cour d’appel de Paris.


Une perspective que nous souffle un ami avocat souhaitant garder l’anonymat est également induite par la présente décision.

Ne pourrait on soutenir qu’en application de l’article 19 du code de procédure civile, « Les parties choisissent librement leur défenseur soit pour se faire représenter soit pour se faire assister suivant ce que la loi permet ou ordonne  », les requêtes ou assignations à l’initiative des SAS soient signées ou déposées par les seuls Président ou directeurs habilités par la loi et non par un avocat.

L’article 414 du CPC précise qu’« Une partie n’est admise à se faire représenter que par une seule des personnes, physiques ou morales, habilitées par la loi. »

Or, même si l’article 416 du CPC stipule « Quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu’il en a reçu le mandat ou la mission. L’avocat ou l’avoué est toutefois dispensé d’en justifier », il s’agit d’une présomption simple qui peut être combattue par la preuve contraire (Cassation commerciale 19/10/1993 n°91-15795).

Dans le cas qui nous occupe la présomption est renversée par la loi elle même et plus précisément par l’article L227-6 du code du commerce précité.

Il suffira de constater que l’avocat signataire de la requête n’est ni directeur général, ni directeur général délégué inscrit au Kbis de la SAS, pour en conclure que l’avocat d’une SAS ne dispose d’aucune possibilité de représenter une SAS mais uniquement d’une possibilité de l’assister.
Cette irrégularité dans le dépôt de la requête ne pourra être régularisée compte tenu des termes de l’article 117 du CPC qui dispose :

« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :
Le défaut de capacité d’ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice.
 »

Dans une SAS l’avocat n’aurait ainsi qu’une possibilité d’assistance et non de représentation.

L’application de ce principe permettrait, notamment, de redonner un peu de lustre à la nécessité de la comparution personnelle des parties devant la juridiction prud’homale, et de voir déclarer irrecevables bon nombre de requêtes et d’assignations patronales.

Gageons que seul un défenseur syndical, traité parfois de petit marquis ou d’emmerdeur, pourra mener à bien une telle procédure.

Dernier cadeau en date du gouvernement, pour les SAS , un décret n° 2009-234 du 25 février 2009 (article 5) dispense les SAS de faire certifier leurs comptes lorsque le total du bilan n’excède pas un million d’euros, un montant HT du chiffre d’affaires de 2 000 000 € et un nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l’exercice égal à vingt (deux de ces 3 critères sont suffisants pour être dispensé de certification).

Dans le même temps le seuil de 230 000 € de ressources, sans condition d’effectif salariés, a finalement été retenu par décret n°2009-1665 du 28 décembre 2009 pour exiger d’une organisation syndicale qu’elle fasse certifier ses comptes, avec les frais inhérents aux honoraires d’un commissaire aux comptes et à la tenue d’une comptabilité qui devra être effectuée dans la plupart des structures par un professionnel.

Belle inégalité de traitement qui permettra d’envisager, le cas échéant, un recours contre les décrets à paraître sur la transparence financière des organisations syndicales.

Celle des SAS ne semble manifestement pas à l’ordre du jour !


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