Chronique ouvrière

Zone réservée de l’aéroport de Roissy (suite) : le juge des référés s’attache à cautionner les graves atteintes portées à la liberté syndicale

samedi 18 septembre 2010 par Pascal MOUSSY
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Les exploits du préfet de de la SEINE-SAINT-DENIS dans la guerre qu’il mène en totale osmose avec la société SERVAIR contre l’exercice de la liberté syndicale à l’intérieur de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle ont déjà eu l’honneur du commentaire sur le site de Chronique Ouvrière.

Pour se remettre en mémoire les multiples entraves dont a fait l’objet Manuel GONCALVES, délégué syndical CGT de la société SERVAIR, pour qu’il ne puisse pas mener à bien son activité syndicale et représentative, il suffit de cliquer sur « Zone réservée » de l’aéroport de Roissy : le préfet a du mal à faire la distinction entre l’action terroriste et l’activité syndicale » (Chronique Ouvrière du 1er juin 2010) et « Zone réservée : l’Huluberlu du Conseil d’Etat se fait l’auxiliaire des services de l’ex-chef du RAID dans leur guerre contre la liberté syndicale » (Chronique Ouvrière du 18 août 2010).

Manuel GONCALVES a connu une nouvelle mésaventure lorsque, le 8 septembre dernier, il s’est présenté à l’audience du juge des référés du Tribunal Administratif de MONTREUIL pour demander la suspension de l’exécution de la décision du 11 juin 2010 par laquelle le préfet de la SEINE-SAINT-DENIS a rejeté la demande tendant à ce que Manuel GONCALVES soit habilité à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires.

Par son ordonnance du 9 septembre, le juge des référés a rejeté la requête à fin de suspension après avoir considéré qu’il n’y avait pas d’urgence et de doute sérieux quant à la légalité de la décision préfectorale.

Le juge des référés a écarté l’urgence en faisant valoir que Manuel GONCALVES peut accéder aux locaux de la société SERVAIR pour y exercer ses mandats syndicaux au moyen de l’un des titres de circulation accompagnée permettant à la société SERVAIR de donner à des personnes dépourvues d’habilitation accès à la zone réservée à usage exclusif de ladite société.

Il a ainsi totalement fait l’impasse sur le fait que le préfet a décrété que Manuel GONCALVES ne se verrait octroyer le « badge jaune accompagné » que deux fois par mois.

Or, l’article L. 2143-20 du Code du Travail dispose expressément que les délégués syndicaux peuvent circuler librement dans l’entreprise pour y prendre tous les contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

A partir de l’instant où le droit de circulation d’un délégué syndical est limité à deux fois par mois et est subordonné à la présence aux côtés du représentant syndical d’un agent de sécurité ou d’un membre de l’encadrement qui est alors en mesure d’écouter les propos tenus entre le salarié et le délégué, il est manifeste que les dispositions de l’article L. 2143-20 du Code du Travail sont pleinement transgressées.

Ce qui n’a pas affecté outre mesure la sérénité du juge des référés du Tribunal Administratif de MONTREUIL, qui a validé la restriction préfectorale illégalement portée au droit de circulation du délégué syndical dans l’entreprise.

Pour considérer ensuite qu’il n’y a pas de doute sérieux sur la légalité de la décision refusant l’habilitation à Manuel GONCALVES, le juge des référés s’appuie sur la motivation suivante : « A la supposer établie, la circonstance que certaines procédures pénales ouvertes contre M. GONCALVES auraient fait l’objet d’une décision de classement sans suite par le ministère public ou d’une ordonnance de non lieu n’est pas, en l’état du dossier, de nature à remettre en cause la possibilité d’apprécier, au vu de la demande d’habilitation dont il est saisi, la matérialité des faits reprochés au requérant et leur incidence sur les garanties que doit présenter l’intéressé au regard des impératifs de sécurité publique dès lors qu’il n’est pas établi que lesdites décisions de classement sans suite ou de non lieu sont fondées sur l’inexistence de l’élément matériel des faits reprochés au requérant et leur incidence sur les garanties que doit présenter l’intéressé au regard des impératifs de sécurité publique dès lors qu’il n’est pas établi que lesdites décisions de classement sans suite ou de non lieu sont fondées sur l’inexistence de l’élément matériel des infractions reprochées au requérant ».

Ce considérant, qui présente l’apparence d’une brillante démonstration, se distingue surtout par une complaisance affichée avec la décision préfectorale dont on veut rattraper l’illégalité.

La plainte déposée pour faux et usage de faux s’est terminée par une ordonnance de non-lieu en date du 20 mai 2009.Et il doit être relevé que le contrôle judiciaire dont avait fait l’objet Manuel GONCALVES à la suite de cette plainte a été levé notamment parce qu’il avait « pour effet de paralyser l’exercice de son mandat syndical ».

Les faits des 12 février 2007, 23 novembre 2007 et 21 février 2008 ont servi de fondement à trois demandes d’autorisation de licenciement de Manuel GONCALVES présentées auprès des services de l’Inspection de Travail des Transports. Ces trois demandes ont donné lieu à des décisions de refus.

Ces trois décisions, implicitement confirmées, sur recours hiérarchique, par le Ministre en charge de l’Aviation civile, ont été déférées à la censure du Tribunal Administratif de MONTREUIL. Le juge de l’excès de pouvoir a considéré qu’il n’y avait pas lieu de prononcer leur annulation.

Le Tribunal Administratif de MONTREUIL a en effet relevé, soit qu’il n’était pas établi que, le 12 février 2007, Monsieur Manuel GONCALVES se serait livré à un refus systématique de se plier aux règles de sécurité ou aurait été à l’origine d’un blocage durable du poste d’inspection-filtrage, soit que les procédures de licenciement initiées à partir des faits du 23 novembre 2007 et du 21 février 2008 n’étaient pas sans rapport avec les mandats syndicaux de Manuel GONCALVES.

Il résulte de ces différentes décisions que Manuel GONCALVES est en droit de continuer à occuper son emploi et exercer son activité syndicale et représentative à l’intérieur de l’enceinte de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle et qu’il ne saurait être légitimement être invoqué des raisons de sûreté ou de sécurité pour procéder à son exclusion.

Lorsqu’il a été enjoint au préfet par le jugement du 8 avril 2010 de procéder au réexamen de la situation de Monsieur Manuel GONCALVES, l’autorité préfectorale devait se fonder sur la situation de fait et de droit existant en avril 2010.

Le préfet ne pouvait se contenter de s’appuyer sur un rapport de police récapitulant les faits pour lesquels Monsieur Manuel GONCALVES avait été « mis en cause » et rédigé au printemps 2008, sans prendre en compte l’ordonnance de non-lieu du 20 mai 2009 et le jugement du Tribunal Administratif de MONTREUIL du 23 mars 2010 et indiquer précisément les raisons pour lesquelles, malgré l’intervention de ces décisions, la présence de Monsieur de Monsieur Manuel GONCALVES à l’intérieur de la zone réservée constituerait une menace pour la sûreté, la sécurité ou l’ordre public.

Le refus de motivation qui entache la décision préfectorale du 11 juin 2010 est totalement d’une logique de pouvoir discrétionnaire.

Le juge des référés aurait normalement dû se montrer intraitable devant l’arrogance du préfet qui s’attache à ne pas daigner expliquer quelles sont raisons qui le conduisent, dans l’exercice d’un pouvoir pleinement autonome, à prendre le contre-pied de l’appréciation portée par les services de l’inspection du travail et à refuser à Manuel GONCALVES le droit d’accéder normalement à la zone réservée.

Mais la lecture de l’ordonnance du 9 septembre dernier met en évidence que Manuel GONCVALVES est tombé sur un magistrat qui s’est attaché à rendre hommage à un pouvoir d’appréciation autonome du préfet sans tirer aucune conséquence du refus affiché par le préfet d’exercer son pouvoir en l’accompagnant du respect de l’obligation de motivation. Jusqu’à preuve du contraire, l’office du juge de l’excès de pouvoir n’est pas de valider de façon rétroactive une décision entachée d’un défaut de motivation en rédigeant, dans son ordonnance ou dans son jugement, un considérant destiné à suppléer à la carence affectant l’acte contesté.

Par une décision du 19 novembre 2001 (AJDA 2002, 234), le Tribunal des Conflits a souligné qu’ « il y a voie de fait lorsque l’administration soit a procédé à l’exécution forcée dans des conditions irrégulières, d’une décision même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets si cette décision est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ».

Le préfet de la SEINE-SAINT-DENIS se livre incontestablement à une « voie de fait », lorsque, en persistant dans son refus délivrer une habilitation permettant à Manuel GONCALVES d’accéder à la zone réservée, il porte gravement atteinte à la liberté syndicale en s’affranchissant de l’obligation d’expliquer en quoi il n’y a pas lieu de tirer les conséquences du jugement du Tribunal Administratif de MONTREUIL du 23 mars 2010 permettant à Manuel GONCALVES de se prévaloir des décisions de l’Inspecteur du Travail des Transports l’autorisant à poursuivre son activité, tant professionnelle que syndicale et représentative, à l’intérieur de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle.

Le traitement de la « voie de fait » relève normalement de la compétence du juge judicaire. Mais, avec la mise en place d’un référé administratif digne de ce nom, la préservation d’une liberté fondamentale menacée par l’administration semble rentrer désormais dans les prérogatives du juge administratif.

Il a été relevé, à ce sujet, que cela suppose « l’introduction, dans le contentieux administratif, d’une procédure efficace de référé  » (R. ABRAHAM, « L’avenir de la voie de fait et le référé administratif », L’état de droit, Mélanges en l’honneur de Guy BRAIBANT, Dalloz, 1996, 11).

Le juge judiciaire doit-il être maintenu à l’écart, lorsque le juge des référés administratif, non seulement ne brille pas par son efficacité mais, comme c’est le cas dans la présente affaire, se préoccupe de nourrir la « voie de fait » ?


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