Chronique ouvrière

Droit de grève : une exception footballistique ?

lundi 27 septembre 2010 par Didier MALINOSKY

Le moins averti des commentateurs, ou le plus réfractaire, au monde footballistique ne peut ignorer ce qui a fait la une des médias depuis une certaine coupe du monde :

Quatre participants à la sélection nationale, qui ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire interne suite au refus concerté de l’ensemble de l’équipe de participation à un entrainement, ont été sanctionnés par des matches de suspension.

Rappelons que ce refus collectif a été organisé pour protester contre la sanction d’exclusion infligée à l’un deux pour des propos jugés insultants à l’égard du sélectionneur.

Après avoir constitué une commission d’enquête*, que la Fédération Française de Football a rapidement transformé en simple mission d’information, le Conseil fédéral avait jugé, le 6 août, que « la sanction financière prise le vendredi 2 juillet, qui s’élevait à la somme de 3 025 833 € et qui correspondait aux primes dues aux retombées publicitaires, et la non-sélection pour le match contre la Norvège paraissent adaptées au degré de responsabilité »

Cependant, ce Conseil fédéral a convoqué devant la commission de discipline cinq joueurs considérés comme les meneurs du refus d’entrainement en raison du rôle particulier qu’ils auraient tenu lors du refus collectif d’entrainement.

Quatre d’entre eux ont été sanctionnés (de 1 à 18 matches de suspension) et des voix « autorisées » de personnalités du football s’élèvent contre celles -ci.

Au-delà des effets médiatiques, une question nous interroge : s’agissait-il ou non de l’exercice du droit de grève ?

Les faits doivent être analysés aux vues du statut des joueurs professionnel, des textes applicables légaux et conventionnels et du régime disciplinaire ; de la qualification des manquements reprochés tant du point de vue de « l’esprit sportif » que de possibles manquements contractuels :

Les joueurs professionnels sont régis par des dispositions particulières du code du sport et en particulier celles du livre II titre II chapitre II.

Ce code du sport fixe les conditions générales des contrats de travail entre les sportifs professionnels et les associations ou sociétés soumises aux conditions des articles L 122-2 et L 122-12 du code des sports.
Ces organismes doivent être agrées par l’autorité publique compétente (en l’espèce le ministère des sports)

Ainsi ce code prévoit que la part des rémunérations qui correspond à la commercialisation du droit à l’image collective de l’équipe n’est pas considérée comme du salaire (article L222-1 du code du sport). La rémunération des sportifs professionnels étant déterminée par des conventions collectives, y compris la rémunération de l’image collective ou celles provenant de la cession des droits de retransmission audiovisuelle.

L’article 252 de la charte du football professionnel stipule que le contrat de travail d’un joueur est constaté par écrit et qu’à l’exception du contrat d’apprenti, il s’inscrit dans le cadre des dispositions de l’article L 1242-2 du Code du Travail fixant les cas de recours au contrat à durée déterminée.

L’article 508 de la charte du football professionnel stipule que les joueurs professionnels jouissent de tous les droits que leur accordent l’ensemble des dispositions du code du Travail et de la législation sociale.

Si les footballeurs professionnels sont des salariés des clubs, quels sont leurs relations avec la FFF pendant la durée d’une compétition internationale ?

Le principe est la mise à disposition par les clubs des joueurs pendant la durée de ces compétitions.

Ainsi, le règlement de la Fédération Internationale de Football (FIFA) fixe les conditions de mise à disposition des joueurs pour les équipes nationales.

L’annexe I , article 1 , alinéa 1, fixe le principe qu’un club ayant enregistré un joueur doit mettre ce joueur à disposition de l’association du pays pour lequel le joueur est qualifié, sur la base de sa nationalité, s’il est convoqué par l’association en question.

Pour la France, ce sont les dispositions prévues à l’article 12-12 de la convention collective du sport qui prévoit que : « le sportif est alors réputé remplir auprès de la fédération une mission confiée par son employeur au titre de ses activités salariées, et pour laquelle il conserve l’intégralité de ses droits de salarié.
Le joueur reste salarié du club, son salaire est maintenu pendant la durée de la compétition, il est considéré comme « missionnaire ».

Ainsi l’article L 222-3 du code du sport dispose que les dispositions des articles L 8241-1 et L 8241-2 du code du travail ne sont pas applicables à l’opération mentionnée à cet article lorsqu’elle concerne le salarié ; d’une association sportive ou d’une société mentionnée aux articles L 122-1 et l 122-12 du présent code ; mis à disposition de la fédération sportive délégataire intéressé en qualité de membre d’une équipe de France, dans les conditions définies par la convention conclue entre la dite fédération et la ligue professionnelle qu’elle a constitué ; et alors qu’il conserve pendant la période de mise à disposition sa qualité de salarié de l’association ou de la société sportive ainsi que les droits attachés à cette qualité.

Les articles L 8241-1 et L 8211-2 concernent respectivement l’interdiction de toute opération à but lucratif ayant pour objet de prêt de main d’œuvre et l’autorisation de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif.

Ces dispositions sont issues de l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 et de son article 3, mais font suite à plusieurs litiges apparus ces dernières années entre les clubs et les fédérations internationales.

C’est ainsi qu’un rapport d’un groupe de travail du Comité national olympique du sport français indiqua que l’opération de mise à disposition devait tendre à un équilibre entre les intérêts respectifs des différents acteurs : sportifs, clubs, fédérations et ligues professionnelles.

Les conséquences pour la France sont la mise sur pied de ce « statut » particulier.

Pour la compétition du mois de juin dernier (appelé mondial), les joueurs sont restés salariés de leurs clubs. Ils sont mis à disposition de la fédération nationale qui les « rémunère » par le versement de la part due à l’utilisation de l’image collective de l’équipe de France (les fameux 3 025 833 €) pris sur les droits de retransmission audiovisuelle.
Cependant le versement de ces primes ne qualifie pas une relation de travail. Ce constat est bien sûr issu des textes précédemment cités mais aussi de la jurisprudence judiciaire.

Ainsi, alors que la Cour d’Appel de Paris avait confirmé l’intégration des primes liées à l’utilisation de l’image collective dans le calcul de l’assiette des cotisations sociales dues par la fédération française de Football(FFF), la 2ème chambre Civile de la Cour de Cassation, dans une décision du 22/01/2009 (09 -15496 non publié au bulletin), avait cassé avec renvoi et concluait à l’absence de lien de subordination juridique entre la fédération et les joueurs « internationaux ». L’arrêt de la Cour de renvoi (Versailles, 18 février 2010, n°09/01211) confirma la position de la Cour de cassation.

Si les joueurs sont rémunérés sur la part de l’image collective, les clubs bénéficient d’une indemnisation forfaitaire pour leur temps de mise à disposition compensant le coût de possibles suspensions du contrat de travail (blessures…).

Là aussi la saisie judiciaire, en l’espèce de la CJCE, par le Club de Charleroi en 2007, eut pour conséquence la signature de plusieurs conventions entre les fédérations internationales de football (FIFA et UEFA) et les associations de clubs européens.

Ces conventions seront étendues à l’ensemble des clubs et déboucheront sur l’indemnisation à hauteur de 1300 € par joueur et par jour de mise à disposition au niveau international. Une convention particulière entre la FFF et la ligue professionnelle française, fixera à 2100 € cette indemnité journalière.

Ainsi, les intérêts respectifs des différents acteurs : sportifs, clubs, fédérations et ligues professionnelles sont réalisés exclusivement sur le plan financier.

Mais quel est le régime disciplinaire applicable pour des manquements lors des compétitions internationales ?

L’article L 131-8 du code du sport dispose que les Fédérations sportives qui sollicite un agrément en vue de participer à l’exécution d’une mission de service public, doivent adopté des statuts et un règlement disciplinaire conforme à un règlement type dont les dispositions obligatoire sont définis par décret en Conseil d’Etat après avis du comité national olympique et sportif français.

L’annexe 2 de la charte du football professionnel intitulé : règlement intérieur et barème des sanctions de référence pour comportement antisportif, fixe les conditions d’application du règlement disciplinaire.

Son article 1 fait expressément référence aux articles L 131-8 (agrément pour mission de service publique) et R131-1 et suivants du code du sport et de l’article 11 des statuts de la FFF.

Cet article 1 spécifie qu’il s’applique en matière disciplinaire dans les domaines fixés par l’article 5 de cette même annexe.
Ainsi, les organes définis à l’article 4 de cette charte qui ont compétence pour juger, aux fins de poursuite disciplinaire, les joueurs relevant des domaines suivants :

-  Faits relevant de la police des terrains, cas d’indiscipline des joueurs, …, et en dehors du cadre d’un match mais en relation avec celui-ci, les faits portant atteinte à un officiel, de manière plus générale, lorsque des atteintes graves sont portées aux individus et aux biens.

-  Violations de la morale sportive, manquements graves portant atteinte à l’honneur, à l’image, à la réputation ou à la considération du football, de la fédération, de ses ligues et districts ou d’un de leur dirigeant, imputables à toute personne, physique ou morale, assujettie au droit de juridiction de la fédération.

La compétence des juridictions de la Fédération française sur les compétitions gérées par elle est fixée par l’article 4, alinéa 1 de la même annexe.

Deux niveaux d’instance sont prévus : la commission fédérale de discipline et, en appel et dernier ressort, la commission supérieure d’appel.

Ces commissions sont formés par des membres n’ayant aucune responsabilité dirigeante à la FFF ou dans des commissions de discipline de niveaux inférieurs (districts, ligue professionnel,..) et qui seraient qualifiés par leur déontologie.

Mais si la FIFA reconnaît la compétence du Tribunal Arbitral du Sport pour les décisions prises par elle ou par les membres, confédérations, les ligues, les clubs, ce recours n’est possible que lorsque toutes les autres instances juridictionnelles ont été épuisées.
Cependant il n’est pas compétent pour les recours relatifs à la violation des lois du jeu ; aux suspensions inférieures ou égales à quatre matches ou à trois mois (sauf dopage) ; aux décisions contre lesquelles un recours auprès d’un tribunal arbitral indépendant ou ordinaire d’une association ou d’une confédération est possible.

Mais plus fondamentalement l’article R 131-2 du Code du sport donne attribution de juridiction au tribunal administratif pour statuer sur les recours contentieux dirigés contre les décisions individuelles prises par les fédérations dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique.

L’annexe 2 de la charte du football professionnel intitulé : règlement intérieur et barème des sanctions de référence pour comportement antisportif énonce à titre indicatif les sanctions disciplinaires infligées à l’encontre des clubs, joueurs, éducateurs, dirigeants, supporter ou toute autre personne ayant une mission pour un club ou une instance fédérale. Ce barème peut être aggravé par le comité directeur de l’instance concernée.

L’échelle des sanctions pour un joueur va d’un avertissement, pour non respect des lois du jeu en vigueur, jusqu’à la suspension pour dix ans prononcée consécutivement à des brutalités envers un officiel.

Elles concernent aussi :

La conduite anti sportive,

Les propos déplacés, excessifs ou blessants,

Les gestes ou comportements obscènes,

Les menaces ou intimidations verbales ou physiques,

Les propos racistes ou discriminatoires,

Les crachats,

Les brutalités avec ou sans ITT.

Elles sanctionnent les manquements sportifs à l’encontre d’un autre joueur, un officiel, ou envers le public et sont accompagnées d’amendes financières.

Ainsi, si les propos insultants allégués d’un joueur lors de la mi-temps d‘un match relèvent de ce règlement disciplinaire, nulle présence du refus d’entrainement comme d’une faute sportive.

Dans l’exercice de leur contrat de travail les joueurs professionnels relèvent bien sur du Code du travail et des dispositions de l’article 12-5 de la convention collective du sport qui stipule : « les dispositions ci-dessous ne concernent que la relation de travail entre les salariés et l’employeur dans le cadre du contrat de travail conclu entre les deux parties ; elles ne visent pas les sanctions pouvant être prononcées à l’encontre de tout licencié par l’autorité sportive compétente.… »

Toute disposition infligée à un salarié en application du règlement intérieur doit être prononcée conformément aux dispositions du code du travail.

Or, si le droit de grève est un droit constitutionnel dont les dispositions sont régies par le code du travail et par des dispositions conventionnelles, le statut des footballeurs professionnels permet –il qu’ils puissent se mettre en grève ?
Quel est le statut des joueurs professionnels avec leur club et avec la FFF et quels sont les dispositions juridiques permettant de sanctionner les joueurs professionnels et les membres sélectionnés d’une équipe nationale.

Le Préambule de la constitution de 1946, en son alinéa 7, dispose que Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

Le droit de grève est garanti, aussi, par l’article 8 du Pacte international, relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du 16 décembre 1966 et par l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

L’article L 1132-2 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L 1132-1 en raison de l’exercice normale du droit de grève.

L’article L 2511-12 dispose que l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L 1132-2, notamment en manière de rémunération et d’avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit.

L’article 6 de la Charte du football professionnel, stipule que l’exercice du droit syndical est reconnu par tous les organismes employeurs dans le respect des droits et libertés garantis par la constitution.
Les organismes employeurs reconnaissent la liberté pour les travailleurs de s’associer pour la défense collective de leurs droits et de leurs intérêts professionnels …

L’exercice de la profession de footballeur ne s’arrête pas au seul match, il s’étend aussi à la préparation des matches et aux entraînements. L’exercice du droit de grève s’étend, donc, à l’ensemble de l’activité professionnelle.

Exerçant une mission confiée par l’employeur au titre de ses activités salariées, et pour laquelle il conserve l’intégralité de ses droits de salarié, le joueur professionnel conserve son droit à la cessation collective du travail.


(*constituée par Messieurs Laurent DAVENAS, avocat général auprès de la Cour de Cassation, Patrick BRAOUEZEC, député et président de la Fondation du Football, Jacques RIOLACCI, ancien président de la commission de discipline de la FFF.)


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