Chronique ouvrière

Il ne faut pas étendre l’article 6.2.5 de la nouvelle convention collective du 26 juillet 2011 des entreprises de propreté

samedi 3 mars 2012 par Claude LEVY

Décidément il se passe toujours quelque chose dans la branche de la propreté qui emploie 400.000 salariés.

Entamant un processus de rénovation de la convention collective, la fédération patronale de la propreté (FEP) a réussi une fois de plus le tour de force de faire signer à 4 organisations syndicales représentatives de salariés dans la branche sur 5 (CGT Ports et docks, FO, CFTC, CGC) un texte qu’il faut bien qualifier de casse programmée de la législation sur le travail à temps partiel.

Sous prétexte de reprendre les textes antérieurs de la convention collective, notamment l’accord sur le travail à temps partiel du 17 octobre 1997, les signataires ont validé l’ancienne rédaction de cet accord comme si les lois postérieures des 13 juin 1998 et 19 janvier 2000 qui ont, notamment, mis fin au temps partiel annualisé et ont encadré plus strictement le travail à temps partiel n’existaient pas !

Après « l’avenant de la honte annulé par le TGI de Paris » (chronique ouvrière 30 mars 2010 C.Lévy) sur l’exclusion des travailleurs mis à disposition de l’électorat des entreprises donneurs d’ordres, non frappé d’appel, la fédération CGT des Ports et docks récidive et vole une fois de plus au secours du patronat de la branche. L’article 6.2.5 intitulé « priorité d’accès à un emploi à temps plein » stipule :

« Après proposition faite au salarié, celui-ci dispose d’un délai de deux jours ouvrés pour l’acceptation ou le refus du complément d’heures.

Un avenant écrit au contrat de travail précise au salarié la nature du complément d’heures attribué, permanent ou temporaire. Dans le cas d’avenant temporaire celui-ci ne peut être conclu que lorsque la durée du travail proposée est supérieure à 1/3 par rapport à la durée du travail inscrite au contrat de travail. Il est convenu que la possibilité d’accès à des compléments d’heures ou à un emploi à temps plein doit être rappelée lors de la conclusion des contrats de travail.

Les emplois vacants dans l’établissement seront proposés aux salariés à temps partiel ayant la qualification requise qui en font la demande, la priorité sera donnée dans l’ordre chronologique de dépôt des demandes et avant toute embauche extérieure par l’établissement. ».

En signant un tel article la fédération CGT des Ports et docks se rend complice d’une tentative de démantèlement de la législation sur le travail à temps partiel et plus particulièrement de ses articles :

Article L3123-21

- Toute modification de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois est notifiée au salarié sept jours au moins avant la date à laquelle elle doit avoir lieu.

Article L3123-17

- Le nombre d’heures complémentaires accomplies par un salarié à temps partiel au cours d’une même semaine ou d’un même mois ne peut être supérieur au dixième de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue dans son contrat.

Les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement.

Article L3123-15

- Lorsque, pendant une période de douze semaines consécutives ou pendant douze semaines au cours d’une période de quinze semaines, l’horaire moyen réellement accompli par un salarié a dépassé de deux heures au moins par semaine, ou de l’équivalent mensuel de cette durée, l’horaire prévu dans son contrat, celui-ci est modifié, sous réserve d’un préavis de sept jours et sauf opposition du salarié intéressé. L’horaire modifié est égal à l’horaire antérieurement fixé auquel est ajoutée la différence entre cet horaire et l’horaire moyen réellement accompli.

Article L3123-19

- Lorsque la limite dans laquelle peuvent être accomplies des heures complémentaires est portée au-delà du dixième de la durée hebdomadaire ou mensuelle fixée au contrat de travail, chacune des heures complémentaires accomplies au-delà du dixième de cette durée donne lieu à une majoration de salaire de 25 %.

La dimension régressive de cet article 6.2.5 prend tout son relief avec l’adoption le 29 février 2012 par l’assemblée nationale en 3ème lecture de l’article 40 de la loi fourre tout dite « WARSMANN », relative à la simplification du droit (plutôt à son démantèlement) et à l’allègement des démarches administratives, qui créé un article L3122-6 dans le code du travail qui stipule :

« La mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail.

Le premier alinéa ne s’applique pas aux salariés à temps partiel. »

Initialement cet article ne se limitait pas à la question de l’annualisation ou de modulation du temps de travail.

C’est ce que nous expliquait d’ailleurs Mr WARSMANN dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi (débats assemblée nationale du 28 juillet 2011) :

« L’article 40 permet quant à lui d’augmenter le nombre d’heures de travail sur une courte période sans que cette augmentation constitue une modification du contrat de travail. »

Il ratissait large et était parfaitement en phase avec l’article 6.2.5 de la nouvelle convention collective des entreprises de propreté, ce qui venait percuter de plein fouet la jurisprudence protectrice des droits des salariés à temps partiel construite progressivement par la Cour de cassation illustrée par les quelques décisions qui suivent :

-  24 novembre 1998, n°96-42270 : requalification à temps plein
- 
« Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le travail accompli dans le cadre des contrats à durée déterminée de remplacement avait pour effet de faire effectuer au salarié des heures complémentaires en dehors des conditions fixées par l’article L. 212-4-3 du Code du travail, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si la durée cumulée des heures travaillées au titre de l’ensemble des contrats conclus avec le salarié n’excédait pas la durée de travail prévue à l’article L. 212-4-2 du Code du travail pour un travail à temps partiel, n’a pas donné de base légale à sa décision ; »

-  5 avril 2006, n° 04-43180
- 
« Attendu que, pour rejeter les demandes de la salariée en paiement de rappels de salaire et de congés payés sur le fondement d’une requalification du contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet, la cour d’appel retient que le contrat de travail n’est entaché d’aucune irrégularité et que les avenants, qui avaient pour objet, le premier, de pourvoir au remplacement d’un salarié malade, le second, de faire face à un surcroît de travail pour les fêtes de fin d’année et le troisième de remplacer des salariés nommément désignés, ont été conclus, pour une période limitée, dans le cadre d’une modification temporaire d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel ; "que les 35 heures à l’accomplissement alors convenu n’ont pas constitué des heures complémentaires accomplies en dehors des conditions fixées par l’article L. 212-14-3 du Code du travail" ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ses propres constatations que les heures effectuées par la salariée en exécution des avenants avaient eu pour effet de porter la durée hebdomadaire du travail de celle-ci, employée à temps partiel, au niveau de la durée fixée conventionnellement, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »

-  7 décembre 2010, n°09-42315 Flexibilité des temps partiels : des barrières enfin réelles Chronique ouvrière 21 janvier 2011 par Karl GHAZI
- 
« Mais attendu que les articles L. 3123-14 4°, L. 312 3-17 et L. 3123-18 du code du travail, qui constituent des dispositions d’ordre public auxquels il ne peut être dérogé, ont pour objet de limiter le nombre d’heures que peut effectuer un salarié à temps partiel au-delà de la durée prévue à son contrat ; qu’il en résulte que toutes les heures effectuées au-delà de cette durée, qu’elles soient imposées par l’employeur ou qu’elles soient prévues par avenant au contrat de travail à temps partiel en application d’un accord collectif, sont des heures complémentaires ;

Et attendu que le conseil de prud’hommes, qui a exactement qualifié toutes les heures effectuées au-delà de la durée du travail inscrite au contrat de la salariée d’heures complémentaires, en a déduit à bon droit que toutes celles qui avaient été effectuées au-delà de la limite d’un dixième de la durée prévue au contrat, devaient supporter la majoration de 25 % prévue par l’article L. 3123-19 du code du travail ; que le moyen n’est pas fondé ; »

Fort heureusement le 2ème alinéa de l’article 40 a été rajouté in extrémis à la proposition de loi sur intervention vigoureuse, notamment, de la confédération CGT, et malgré le lobbying de a FEP qui en signant le 26 juillet 2011 la nouvelle convention collective de la CCN de la propreté, 48h avant le dépôt de la proposition de loi Warsmann, a tout fait pour forcer la main du législateur avec la complicité de la fédération CGT des Ports et docks.

Reste que l’article 40 constitue une nouvelle régression sociale qu’il faudra combattre.

La confédération CGT s’est opposée avec force à l’adoption de cet article comme elle a combattu victorieusement la signature de « l’avenant de la honte » par la fédération CGT des Ports et docks visant scandaleusement à exclure les salariés du nettoyage de l’électorat des entreprises donneurs d’ordres, une fois n’est pas coutume aux côtés de la CNT du nettoyage devant le TGI de PARIS, comme elle combattra le 29 mars 2012 devant la Cour d’appel de PARIS, en soutenant à nouveau l’action principale du syndicat CNT du nettoyage, deux autres avenants de la honte aux CCN des manutentions ferroviaire et aéroportuaire, sur le même thème, signés à nouveau par la CGT des ports et docks.

Cette nouvelle affaire dans le secteur de la « propreté » démontre une fois de plus que le fédéralisme a bon dos.

Quand une fédération franchit la ligne jaune et par ses actes s’oppose frontalement aux positions confédérales formulées dans l’intérêt des précaires parmi les précaires que sont notamment les salariés du nettoyage, il faudra bien un jour en tirer des conclusions car c’est la crédibilité de toute la CGT qui est en jeu.


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