Quand le non respect de l’ordre des licenciements entraîne la nullité du licenciement économique
I : Le cas d’espèce :
Mme Texeira licenciée pour motif économique demandait à la 17ème chambre de la cour d’appel de VERSAILLES de prononcer la nullité de son licenciement en raison de la discrimination dont elle estimait avoir été victime par rapport à ses deux collègues à raison de son état de santé et de son âge.
Rappelons que selon l’article L.1132-1 CT, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son âge ou de son état de santé.
Pour l’application de ce texte, l’article L.1134-1 CT précise qu’en cas de litige, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et à l’employeur de prouver alors que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Mme Texeira expliquait à la cour, registre d’entrées et de sorties du personnel et attestations des deux autres salariées de l’entreprise à l’appui, qu’elle avait été licenciée pour motifs économiques à l’âge de 56 ans, tout en ayant un état de santé précaire, alors que ses deux collègues également "employée polyvalente", étaient plus jeunes, moins anciennes qu’elle même dans l’entreprise et qu’elles disposaient d’une excellente santé.
La salariée soutenait donc implicitement que l’ordre des licenciements était non respectueux des critères légaux de l’art. L 1233-5 CT et que ceux qu’avait secrètement appliqué l’employeur étaient discriminatoires.
La cour d’appel juge en conséquence que de tels fait laissaient supposer que la salariée avait été licenciée en raison de son âge et de son état de santé, et qu’elle avait donc fait l’objet d’une mesure discriminatoire par rapport aux deux autres salariées de l’entreprise, puisque l’employeur ne produisait aucun élément démontrant que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, quand bien même le licenciement est fondé sur des motifs économiques.
Cette décision est particulièrement intéressante, puisque derrière le motif économique apparent, elle s’attache à débusquer le véritable motif de la rupture, s’inscrivant en cela dans un courant jurisprudentiel novateur (voir notamment CA VERSAILLES 11ème arrêt 14 décembre 2010 publié sur le site Chronique Ouvrière – Brèves AH « Du délit d’initié du secret médical » 23 janvier 2011).
Mais au-delà de la recherche du motif du licenciement caché, l’arrêt explore pour la première fois à notre connaissance la piste prometteuse de nouvelles conséquences du non respect de l’ordre des licenciements.
Dommage que les appelants n’aient pas clairement investi ce terrain.
II : Non respect de l’ordre des licenciement, quelles conséquences ? :
L’article L 1233-5 du CT dispose :
« Lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. »
Traditionnellement, les plaideurs sollicitent des juges des dommages et intérêts au titre du non-respect des critères ou de l’ordre des licenciements (au sens large) et/ou des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Jusqu’à présent la Cour de cassation estime que l’indemnisation de la violation des critères et/ou de l’ordre ne peut se cumuler avec l’indemnisation de l’absence de la cause du licenciement, cette jurisprudence n’est pas satisfaisante.
La Cour de cassation considère, en effet, que le cumul des deux indemnisations revient à sanctionner deux fois le même objet, à savoir : « la perte injustifiée de l’emploi », alors même que la haute cour juge parallèlement que la violation des critères ou de l’ordre (qu’elle qualifie toujours d’illégalité), n’a pas pour effet de priver de cause le licenciement et qu’elle ne peut être réparée par l’application de l’article L. 1235-3 ou de l’article L. 1235-5 du CT.
Or, on conviendra que si l’employeur n’a pas respecté les critères légaux ou conventionnels, il n’a pas forcément privé par ce seul fait le salarié plaignant de son emploi, mais il lui a néanmoins fait prendre un triple risque, celui d’être choisi à la place de quelqu’un d’autre, celui d’être soumis à une procédure de reclassement et, in fine, celui d’être effectivement licencié à la place d’un autre salarié. Par ailleurs, dans ce cas, l’infraction affecte aussi la collectivité des salariés qui est soumise à un barème illicite, faux ou frauduleux.
On pourra également convenir, que si l’employeur n’a pas respecté l’ordre défini par les critères (légaux), l’infraction est plus grave, car, le salarié victime a été directement et personnellement visé. En effet, dans un tel cas, l’employeur choisi de ne pas respecter les critères afin de parvenir à se séparer de tel ou tel salarié. L’atteinte est directe et personnelle, de sorte que le salarié n’est pas seulement licencié de façon injustifiée, il est bien victime d’une forme de discrimination, d’un choix délibéré de l’employeur, alors, qu’un licenciement économique ne doit pas, par nature, être inhérent à la personne du salarié. En résumé, dans cette hypothèse, le licenciement économique n’est qu’un prétexte ou une opportunité et la violation de l’ordre des licenciements, l’élément principal d’une fraude et d’une discrimination.
Une troisième hypothèse est possible, c’est celle ou l’employeur, tout en respectant les critères légaux, ajoutent d’autres critères apparemment anodins, ayant en réalité pour finalité de sélectionner tel ou tel salarié, tout en prétendant appliquer un barème objectif.
Cette fraude, est classique et très répandue, mais il appartient au salarié d’en rapporter la preuve, ce qui est généralement impossible, sauf s’il se place sur le terrain d’une discrimination.
On mesure donc que le non-respect des critères et/ou la violation de l’ordre du choix, n’a normalement rien à voir avec la cause du licenciement. Les infractions listées (cumulées ou non), ont cependant pour effet de priver le salarié de son emploi.
En conséquence, il est très difficile d’admettre que le non respect de l’ordre ou des critères puisse être moins bien indemnisé que l’absence de cause réelle et sérieuse et/ou que l’indemnité à ce titre ne puisse se cumuler avec celle due au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse, alors même que la Cour de cassation traite ceci d’illégalité.
Alors, comment faire ?
On retiendra, que le législateur a voulu porter une attention toute particulière à la question des critères de choix et à l’ordre des licenciements, puisque l’art R. 1238-1 du CT punit d’une amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe, toute entorse aux dispositions des articles L. 1233-5 à L. 1233-7 du CT.
C’est dire, si, à l’opposé de la cause du licenciement, notre société considère que le respect des critères de choix est d’un enjeu supérieur car intéressant l’ordre public social.
Cette qualification pénale permettrait d’ailleurs à un salarié d’éclater le contentieux entre le CPH et le juge répressif afin d’obtenir le cumul d’indemnités (rappelons que jusqu’à récemment la cour de cassation prohibait aussi le cumul entre l’indemnité L. 8221-5 au titre du travail dissimulé et celle prévue par L. 1235-3 ou L. 1235-5 du CT. Le revirement qui a permis le cumul s’appuie nécessairement sur le même raisonnement).
Le cumul indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et DI non respect de l’ordre ou des critères semble donc une solution atteignable.
On peut d’ailleurs penser que la chambre sociale de la Cour de cassation a amorcé un certain virage en ce domaine en considérant « que le manquement de l’employeur, qui a prononcé un licenciement pour motif économique, à son obligation d’indiquer au salarié qui le demande les critères retenus en application de l’article L. 1233-5 du code du travail, cause nécessairement au salarié un préjudice distinct de celui réparant l’absence de cause réelle et sérieuse. »
Cass. Soc., 24 septembre 2008, n° 07-42.200, publié au bulletin
***
Mais la meilleure des voix est bien, à notre sens, celle empruntée par la 17ème chambre de la cour d’appel de VERSAILLES dans son arrêt du 09 mai 2012, car en effet, le non respect de l’ordre ou des critères constitue à l’évidence une cause de nullité du licenciement, un licenciement illégal, à raison notamment des discriminations potentielles qu’il recèle intrinsèquement.
Alain HINOT
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