Chronique ouvrière

Requalification d’un CDD en CDI : Le juge des référés peut réintégrer le salarié s’il a été porté atteinte à son droit d’agir en justice

lundi 18 février 2013 par Alain HINOT
Cass Soc. le 6 Février 2013.pdf

A n’en pas douter l’arrêt du 06 février 2013, pris au visa des art. L. 1121-1, L. 1243-1, R. 1455-6 CT, 1315 CC et 6 §1 CEDH, s’inscrit parmi les plus grands de l’histoire du droit social en France.

La haute Cour juge d’abord qu’en application de l’article R. 1455-6 CT "le juge des référés peut, même en l’absence de disposition l’y autorisant, ordonner la poursuite des relations contractuelles en cas de violation d’une liberté fondamentale par l’employeur".

Et de poursuivre que "lorsque la rupture illicite d’un CDD avant l’échéance du terme comme intervenue en dehors des cas prévus par l’article L.1243-1 CT, fait suite à l’action en justice engagée par le salarié contre son employeur (action en requalification d’un CDD en CDI), il appartient à ce dernier (l’employeur) d’établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par le salarié, de son droit d’agir en justice".

Autrement dit, si un salarié saisi le CPH en requalification d’un CDD en CDI avant l’échéance du terme et qu’ensuite l’employeur rompt le CDD en dehors des cas prévus par l’art. L 1243-1 CT (accord des parties, faute grave ou force majeure), il doit prouver que sa décision n’avait pas pour but de faire échec à l’action en justice du salarié (ce qui paraît bien difficile) et ce devant le juge des référés qui dispose du pouvoir de remettre le contrat de travail en l’état, puisque, sauf preuve contraire, l’employeur bafoue alors une liberté fondamentale.

On peut sérieusement penser qu’en cas de licenciement intempestif faisant suite à une décision requalifiant un CDD en un CDI, la Cour de cassation pourrait tenir les mêmes raisonnements et l’on peut même envisager qu’en cas de rupture par l’arrivée du terme au cours de l’action en requalification, l’absence de proposition de la poursuite du contrat (par un nouveau CDD ou un CDI), pourrait bien subir un régime équivalent (preuve de l’absence de toute discrimination à l’embauche).

En l’espèce, 8 salariés de la société France télécom, engagés depuis plusieurs années dans le cadre d’une succession de CDD, avaient saisi, le 18 juin 2009, la juridiction prud’homale pour voir prononcer la requalification de la relation de travail en CDI.

Le 26 juin 2009, sur leur lieu de travail, un huissier signifiait à ces salariés la rupture anticipée de leur CDD pour le motif suivant : “surestimation de l’augmentation des flux d’appels clients due à une baisse plus importante que prévue du taux de réitération clients” .

Les salariés engageaient alors un référé prud’homal pour voir ordonner leur réintégration accompagnés par le syndicat CGT FAPT Vaucluse.

Pour rejeter leur demande, la cour d’appel de Nîmes estimait par un arrêt du 07 décembre 2010, que si une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice peut être alléguée en référé, c’est à la condition pour les salariés de rapporter concrètement la preuve que la rupture du contrat de travail était en réalité une mesure de rétorsion de la part de l’employeur découlant de la seule action en justice et qu’au stade du référé, le caractère manifestement illicite de la mesure prise par l’employeur doit être indubitable.

La Cour de cassation sanctionne sévèrement une telle "timidité" de la part du juge du fond qui a manifestement inversé la charge de la preuve et donc violé la loi, alors qu’il "avait constaté que la rupture anticipée des CDD qui ne reposait sur aucun des motifs prévus par l’article L. 1243-1 du code du travail, faisait suite à l’action en justice de chacun des salariés pour obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, ce dont il résultait qu’il appartenait à l’employeur d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par les salariés, de leur droit d’agir en justice".

L’on va enfin pouvoir aller jusqu’au bout de la logique de l’action en requalification des CDD et CTT en CDI, en obtenant concrètement la poursuite des contrats de travail, si comme en l’espèce, les organisations syndicales jouent leur rôle en accompagnant les salariés précaires pour leur permettre de saisir le CPH avant le terme de leurs contrats.


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