Chronique ouvrière

Le non-respect du délai de carence a pour effet de transformer le CTT en un CDD requalifiable en CDI

mardi 15 juillet 2014 par Alain HINOT
Cass. Soc Le 12 juin 2014.pdf

L’article L 1251-36 CT prévoit qu’à l’expiration d’un contrat de mission (CTT), il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un CDD ni à un CTT, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission, renouvellement inclus.

Mais selon l’article L 1251-37 CT ce délai de carence n’est pas applicable dans certains cas comme par exemple, le remplacement d’un salarié permanent absent, des travaux urgents ou l’emploi de saisonniers. Dans la pratique le délai de carence vise essentiellement le motif de recours « d’accroissements temporaires d’activité ».
Ainsi, lorsqu’en dépit de l’interdiction de recourir à un nouvel emploi précaire avant l’expiration du délai de carence, une entreprise de travail temporaire (ETT) accepte de mettre à disposition un salarié, elle sait manifestement, comme l’entreprise utilisatrice (EU), qu’elle se place en dehors du champ d’application du travail temporaire.
Dans une telle hypothèse, le salarié précaire peut-il solliciter du juge prud’homale la requalification de son CTT en un CDI aussi bien contre l’UE, que contre l’ETT ?
Pour certaines juridictions, la réponse est négative car il résulte de la jurisprudence constante de la cour de cassation que lorsque l’ETT a violé ses obligations de fond ou de forme dans la mise en œuvre ou l’exécution du CTT, celle-ci ne peut être sanctionnée sur le fondement de l’art. L 1251-41 CT puisque ce texte ne prévoit que la condamnation de l’EU à payer une indemnité de requalification (à condition évidemment que le motif de recours au CTT ne soit pas recevable ou démontré).

Notamment cass soc 08 avril 2009 n° 07-41847 à 07-41851

Pourtant, la Cour de cassation permet au salarié intérimaire depuis l’année 2000 de faire valoir la requalification de son CTT envers l’ETT lorsque, notamment, celle-ci n’a pas respecté ses obligations dans l’élaboration ou la transmission des contrats. Cependant, si le principe est bien posé, la méthodologie n’est pas dévoilée par cette décision.

Cass soc. 19 avril 2000 n° 97-45508

Mais alors, par quel biais et sous quel régime le salarié intérimaire peut-il espérer obtenir du juge qu’il transforme son CTT en un CDI vers l’ETT et qu’il la condamne à lui régler une indemnité de requalification ?

Rappelons d’abord que « les irrégularités commises dans l’élaboration et la transmission des CTT », placent l’ETT « en dehors du champ d’application du travail temporaire (TT) », de sorte qu’alors « la relation contractuelle de travail avec le salarié » relève « du droit commun ».

Cass soc 08 avril 2009 n° 07-41847 à 07-41851

Autrement dit, une relation de travail entre un salarié et une ETT, qui ne relève plus des règles régissant le TT, s’analyse alors comme un CDD de droit commun que le juge doit, à la demande du salarié, requalifier en un CDI en utilisant l’article L 1245-2 CT, lequel lui permet d’allouer au salarié une indemnité de requalification d’un mois de salaire minimum.

Un arrêt de cassation du 12 juin 2014 n°13-16362 PB, permet d’accompagner ce raisonnement.

Dans une affaire jugée le 13 juin 2012 la cour d’appel de Versailles avait rejeté une demande de requalification en CDI de 22 CTT successifs (couvant une période de 11 mois) envers l’ETT Adecco , au motif que l’action ne pouvait être dirigée qu’à l’encontre de l’EU, sauf "non respect des conditions d’ordre public à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite" et au prétexte "qu’aucun texte ne sanctionne par la requalification la violation de l’interdiction de recourir à un nouveau contrat de mission pendant le délai de carence que ce soit par l’entreprise utilisatrice ou par l’entreprise de travail temporaire".

La chambre sociale rappelle en préalable que : « les dispositions de l’article L. 1251-40 CT, qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite n’ont pas été respectées », et précise ensuite : « il résulte des articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail que l’entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité ».

La haute Cour juge ensuite, et pour la première fois, qu’une ETT qui ne respecte pas le délai de carence pour pourvoir, au sein de l’EU, un même poste pour faire face à un accroissement temporaire d’activité, failli alors aux obligations qui lui sont propres.

Il est ainsi clair que, dans un tel cas, le contrat liant le salarié à l’ETT sort du champ du TT pour devenir un prêt de main-d’oeuvre illicite et retomber dans le droit commun des contrats de travail, de sorte que le CTT était en fait un CDD lui-même irrégulier qu’il appartenait aux juges du fond de requalifier en un CDI avec son corolaire qu’est l’indemnité de requalification.


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