Chronique ouvrière

La RATP condamnée pour un énième déni au droit de grève

lundi 30 novembre 2015 par Marie-Laurence NEBULONI
CA Paris Le 16 octobre 2015.pdf

Les lecteurs de Chronique ouvrière sont désormais familiarisés avec les pratiques de la direction de la RATP face aux mouvements de grève. Que ce soit par la sanction disciplinaire [1], ou pécuniaire [2], celle-ci a toujours dépensé beaucoup d’énergie et de moyens à combattre le droit constitutionnel de grève. Beaucoup plus, en tout cas, qu’à chercher à comprendre les raisons de l’exaspération des salariés, laquelle les contraint à sacrifier une partie de leur salaire pour se faire entendre.

Pour la première fois, à notre connaissance, les pratiques très répandues dans l’entreprise publique de discrimination en matière de déroulement de carrière sont ici condamnées. Ce que chaque agent ne peut ignorer, qu’il est « mal vu » de participer à un mouvement de grève, sans être en capacité de le démontrer, le juge le confirme.
Condamnée par le Conseil de prud’hommes de PARIS en sa formation de départage le 14 mars 2013 [3], pour avoir discriminé un de ses agents en raison de la participation de ce dernier à un mouvement de grève, la RATP fit appel de la décision. Mal lui en prit.

De façon maladroite, et même étonnante de la part d’une entreprise qui s’enorgueillit de disposer d’un service juridique de plus de 50 personnes, la RATP, dans ses conclusions et à la barre, avait basé l’essentiel de son argumentation sur le fait que le salarié intimé n’était pas un militant syndical, ce que le présent arrêt résume par « La RATP fait valoir que M. BIANCONI ne remplit pas les conditions de l’article L.1132-1 car il n’établit pas le motif de la discrimination dont il s’estime victime ».
C’est parfaitement exact. Le salarié n’a jamais prétendu faire l’objet d’une discrimination syndicale. Mais ce n’était pas l’objet du litige et la présence de l’UGICT CGT partie intervenante était pleinement justifiée par la seule défense du droit de grève.

A la fin des plaidoiries, la Cour, comme souvent, a suggéré (lourdement) aux parties de recourir aux services du médiateur. Comme toujours, la RATP n’a pas donné suite. Une erreur de plus, car les juges ont frappé fort. Ils ont fait droit à l’intégralité des demandes de l’agent, aggravant ainsi considérablement la condamnation de première instance.

Il est intéressant de constater que la Cour a suivi l’argumentation du salarié quant aux chefs de préjudices sollicités. Furent réparés non seulement les préjudices financier et moral découlant de la perte de salaires subie du fait d’un positionnement inférieur à ce qu’il aurait dû être, mais également les effets de cette perte sur la pension de retraite, y compris ceux d’une augmentation de 20 points qui avait été promise à l’intimé mais ne fut jamais accordée.

L’intérêt du jugement du Conseil de Prud’hommes de PARIS résidait dans l’application stricte de l’article L.1132-1 du Code du travail : un panel de référence solide établissant un écart de rémunération par rapport à la moyenne + aucune justification objective de l’employeur = discrimination.

La Cour d’Appel confirme cette analyse, y ajoutant la réparation de la totalité des préjudices ; étant observé que la perte des droits à la retraite n’est d’ordinaire pas une demande facile à obtenir. Au surplus, les sommes allouées de ce chef le sont sur la base d’un calcul précis et non d’une évaluation souveraine, ce qui en augmente d’autant l’intérêt.

Les juges soulignent ainsi les effets sur le long terme que produit une discrimination.
L’arrêt est également remarquable par la place qu’il accorde à l’organisation syndicale qui s’était portée partie intervenante. Non seulement est reconnue la défense de l’intérêt collectif de la profession, mais aussi « l’assistance technique apportée par le syndicat au salarié pour formaliser et étayer sa demande de réparation de la discrimination ».

Une telle motivation conforte le bienfondé de l’existence de l’article L.2132-3 du Code du travail, lequel nous rappelle que les syndicats aussi sont au cœur de l’action prud’homale.

Qu’il nous soit d’ailleurs ici permis de rendre ici hommage au camarade qui avait représenté l’UGICT devant le Conseil de Prud’hommes et qui est malheureusement décédé entre les deux instances.

Une décision exemplaire à plus d’un titre, de nature à dissuader un employeur rétif aux droits fondamentaux de pratiquer la discrimination comme méthode habituelle de management (c’est la prévision optimiste).

Une décision dont les syndicats peuvent s’emparer pour combattre l’obsession patronale d’asphyxier les défenses collectives des salariés.

Une décision qui va dans le sens de l’intérêt collectif des salariés, donc de l’entreprise qui n’en fonctionnera que mieux si les agents qui la composent travaillent dans un climat serein, dépourvu de stress inutile.

Une décision qui confirme la nécessité de l’existence d’un code du travail fort et respecté, à l’inverse du discours dominant aujourd’hui asséné.

[1« La RATP suspendue pour excès de vitesse dans sa répression disciplinaire des agents grévistes ! », P.MOUSSY

[2« Crime de grève à la RATP : condamnation sans appel », ML NEBULONI

[3« Le cumul des atteintes au droit de grève par l’entreprise publique RATP », ML NEBULONI


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