Le "lanceur d’alerte" sur les menaces pesant sur la liberté syndicale est interdit de séjour sur le Technocentre Renault de Guyancourt. Il demande réparation !
Le vendredi 1er juillet prochain à 9 heures, se tiendra devant la formation de référé du Conseil de prud’hommes de Versailles (Palais de justice, 5, place Mignot) une audience qui ne peut que retenir l’attention des militants attachés à la défense de la liberté syndicale.
[Chronique Ouvrière vous invite à venir nombreux soutenir le « lanceur d’alerte » sur les menaces pesant sur la liberté syndicale qui est interdit de séjour sur le Technocentre Renault de Guyancourt.
I. La chronologie des faits ayant conduit au licenciement du « lanceur d’alerte ».
H. était engagé le 3 novembre 2011 par la société EURODECISION, spécialisée dans les logiciels et services liés à l’optimisation et à la recherche opérationnelle pour exercer les fonctions de Consultant Sénior consistant en missions de conseil ou d’assistance à la clientèle.
Il signait ce même jour un « accord de non divulgation » concernant les informations confidentielles qui lui seraient transmises par la société EURODECISION.
H. commençait son activité pour le compte de la société EURODECISION le 3 janvier 2012. Il lui était alors remis un « guide du système d’information » rappelant les règles de fonctionnement et d’utilisation du système d’information de l’entreprise.
Le 1er avril 2015, H. débutait une mission au Technocentre Renault situé à Guyancourt.
H. était par ailleurs un bénévole du journal Fakir. A ce titre, il prenait l’initiative de convier les organisations syndicales présentes sur le Technocentre Renault à la « Nuit Rouge » qui devait prolonger la manifestation du 31 mars 2016 contre le projet de loi El Khomri et de leur proposer d’organiser des projections du film « Merci Patron », financé par le journal Fakir. A cette fin, il envoyait le 15 mars 2016 à 19 h 50, de son domicile, à partir de son ordinateur personnel, un mail aux syndicats SUD, CGT, CFE-CGC, CFDT et FO du Technocentre Renault.
Le syndicat CFE-CGC Renault Guyancourt Aubevoye indiquait sur le site intranet Renault qu’il pouvait être contacté en donnant les adresses mail de quatre personnes. H. envoyait son invitation faite aux organisations syndicales sur les adresses mail de deux d’entre elles.
Le tract d’appel du journal Fakir à la « Nuit Rouge » du 31 mars était joint au mail envoyé par H.
Le lendemain de cet envoi, le 16 mars, H. était convoqué pour le même jour par téléphone par le Président Directeur Général de la société EURODECISION à un entretien au cours duquel il lui était reproché son envoi de la veille et il lui était dit que la société Renault surveillait les mails des syndicalistes et qu’il n’avait pas, en sa qualité d’intervenant chez Renault, à discuter avec les syndicats de Renault.
Par courrier du 18 mars 2016, H. était convoqué pour le 25 mars à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Il lui était également notifié une mesure de mise à pied à titre conservatoire.
Le 22 mars 2016, H., se présentant sous un pseudo, « Henri », et ne donnant aucune indication sur l’identité de son entreprise et sur celle de son PDG, racontait ses mésaventures au journal Fakir. Au cours de l’entretien tenu avec le journaliste de Fakir, étaient diffusé les propos, qui avaient été enregistrés par H., portant sur les pratiques de surveillance des mails des syndicalistes et sur l’interdiction qui lui avait été faite de s’adresser aux syndicats de Renault.
Par courrier en date du 24 mars 2016, la DRH de la société EURODECISION informait H. qu’il était envisagé à son encontre une nouvelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave et qu’il était convoqué pour le 5 avril à un entretien préalable. Il était également notifié à H. une mise à pied à titre conservatoire.
Au cours de l’entretien du 25 mars 2016, il était indiqué à H. que l’envoi du mail du 15 mars aux organisations syndicales contrevenait au « guide du système d’information » de la société EURODECISION et à l’ordre de mission chez Renault.
Par courrier du 31 mars 2016, il était notifié à H. un avertissement. Il lui était reproché d’avoir utilisé l’intranet et la liste des adresses électroniques des salariés de Renault pour envoyer un message électronique à caractère politique à des salariés de la société Renault.
Par un autre courrier en date du même jour, la Directrice des Ressources Humaines de la société EURODECISION informait H. qu’il était donné suite à sa demande de report de l’entretien préalable prévu pour le 5 avril et le convoquait pour le 18 avril 2016.
Lors de l’entretien du 18 avril 2016, il était reproché à H. l’enregistrement des propos que lui avait tenus le Président Directeur Général le 16 mars et les répercussions négatives de la diffusion de cet enregistrement pour la société EURODECISION. H. répondait que la vidéo au cours de laquelle avait été diffusé l’enregistrement ne permettait pas d’identifier la société EURODECISION et son dirigeant et que si le dirigeant de la société n’avait rien à se reprocher il n’avait pas à avoir peur de la presse.
Par courrier du 21 avril 2016, le PDG de la société EURODECISION notifiait à H. son licenciement pour faute grave, lui indiquant que l’enregistrement à son insu des propos à caractère privé qu’il avait tenus à H. le 16 mars et la diffusion de cet enregistrement caractérisaient une absence totale de loyauté vis-à-vis de l’entreprise et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail.
II. Un licenciement qui intervient dans le prolongement d’une sanction constitutive d’une atteinte à la liberté syndicale.
1) Les salariés qu’une entreprise extérieure met à la disposition d’une entreprise utilisatrice ne sauraient, par principe, être exclus de la collectivité de travail de cette entreprise utilisatrice.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1111-2 du Code du travail (loi du 20 août 2008) que les salariés mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an doivent être pris en compte dans les effectifs de l’entreprise utilisatrice.
Ces dispositions légales s’inscrivent dans le prolongement d’une jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a refusé, en ce qui concerne la mise œuvre des droits collectifs des salariés, d’entériner la fragmentation des statuts entre des salariés participant tous au bon fonctionnement d’une entreprise.
Un arrêt Renault du 26 mai 2004 (Cass. Soc. n° 03-60125, Bull. V, n° 140) avait déjà fermement indiqué que devaient être pris en compte au prorata de leur temps de présence pour le calcul de l’effectif pour les élections professionnelles les salariés mis à disposition qui participent aux activités nécessaires de l’entreprise utilisatrice.
Un peu plus tard, par plusieurs arrêts du 13 novembre 2008 (n° 07-60434, n° 08-60465, n° 08-60331), la Cour de cassation a souligné que « sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail », pour l’application des textes relatifs à l’établissement de la liste électorale du comité d’établissement, « les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure qui, abstraction faite du lien de subordination qui subsiste avec leur employeur, sont présentes dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis une certaine durée, partageant ainsi des conditions de travail au moins en partie communes susceptibles de générer des intérêts communs ».
Il a été relevé, à propos de ces arrêts précurseurs des dispositions légales actuellement en vigueur, que « réapparaît ainsi une collectivité de travail, cet ensemble de travailleurs, qui, ayant ou non un même employeur, ont une communauté d’intérêts » (A. LYON-CAEN, Semaine sociale Lamy 2008, 1375).
Le refus d’une division artificielle entre « salariés permanents » et « salariés des entreprises extérieures », au regard de l’exercice des droits collectifs, est également affirmé par l’article L. 2313-3 du code du travail qui dispose que « les salariés d’entreprises extérieures qui, dans l’exercice de leur activité, ne se trouvent pas placés sous la subordination directe de l’entreprise utilisatrice peuvent faire présenter leurs réclamations individuelles et collectives, intéressant celles des conditions d’exécution du travail qui relèvent du chef d’établissement, par les délégués du personnel de cet établissement dans les conditions fixées au présent titre ».
2) La liberté syndicale est menacée si l’autonomie qui doit être reconnue à l’action syndicale dans l’entreprise est mise en cause lorsqu’est exercé le « droit à l’information syndicale ».
La mise en œuvre de ce droit à l’information peut prendre la forme de la communication syndicale. Dans ce cas, le syndicat s’adresse à la collectivité des travailleurs de l’entreprise par voie d’affichage ou par la diffusion de tracts ou publications syndicales.
Il a été souligné qu’aujourd’hui « il n’est pas sérieux d’exclure tout contenu politique de l’information syndicale » (J.M. VERDIER, Syndicats et droit syndical, deuxième édition, Dalloz, 1984, 197 et s.). Il a notamment été relevé que la loi du 28 octobre 1982 a posé le « principe de la libre détermination du contenu des communications syndicales ». « Désormais, hormis le caractère d’injure et de diffamation qu’elle pourrait présenter, une information à contenu politique relève de cette libre appréciation de l’opportunité par le syndicat, avec pour seule limite le trouble effectif et insupportable apporté à l’accomplissement du travail dans l’entreprise ou l’établissement » (J.M. VERDIER, op. cit., 207).
Il est dès lors tout à fait logique que le juge des référés refuse de donner suite à une demande d’ordonner le retrait de panneaux d’affichage de tracts syndicaux à qui l’employeur reprochait leur caractère « politique » en indiquant, pour expliquer son refus, que « si l’action syndicale doit se différencier de l’action politique, elle n’est pas de nature à exclure tout aspect politique de l’activité syndicale » (TGI Nanterre (référé), 3 mai 2002, RJS 7/02, n° 843).
L’exercice du « droit à l’information syndicale » ne se limite pas à la diffusion par le syndicat de son point de vue ou de ses initiatives concernant la vie de l’entreprise ou l’actualité politique et sociale. Afin de recevoir des informations, « les délégués syndicaux peuvent, durant les heures de délégation, se déplacer hors de l’entreprise » (voir J.M. VERDIER, op. cit., 308 et s.).
S’il est reconnu au syndicat, par l’intermédiaire de son représentant, le droit d’aller à la recherche d’informations s’inscrivant dans le champ de l’action syndicale, il ne saurait bien évidemment être interdit au syndicat de recevoir des informations de cette nature de la part de personnes liées à la collectivité de travail dont les intérêts sont défendus par l’organisation syndicale.
3) Dans le mail qu’il a adressé le 15 mars 2016 aux organisations syndicales présentes sur le Technocentre Renault, indiquait qu’il était prestataire au TCR (voir pièce n° 5).
Depuis le 1er avril 2015 (soit depuis plus de onze mois avant l’envoi de son mail), H. était effectivement en mission au Technocentre Renault.
Il occupait, dans un bâtiment appelé « La Ruche », au 4ème étage, sur un plateau appelé 7A Sud, un bureau au sein du service « DEA-TDS », qui occupait environ 70 personnes. Il travaillait au jour le jour, dialoguant constamment avec eux pour mener à bien le travail à réaliser, avec les salariés du Technocentre qui composaient l’équipe chargée des problèmes d’optimisation en simulation numérique.
Etant complètement partie prenante de cette équipe, H. travaillait en autonomie quasi complète par rapport à EURODECISION. Par contre, il prenait ses instructions auprès de Mesdames … et de Monsieur…, qui étaient salariés du Tehcnocentre. Ceux-ci expliquaient à H. quel était le sujet à traiter et ils voyaient avec lui comment il pouvait les aider et le temps qui était nécessaire pour résoudre le problème posé.
Le 15 mars 2016, H. était complètement immergé dans la la collectivité de travail du Technocentre Renault. (Il ne manquait que quinze jours pour qu’il acquière l’ancienneté d’un an prévue par les dispositions de l’article L. 1111-2 du Code du travail pour être comptabilisé dans les effectifs de l’entreprise utilisatrice). Il n’y avait dès lors rien d’inconvenant à ce qu’il s’adresse aux syndicats présents sur le Technocentre Renault.
L’avertissement qui lui a été notifié par le courrier du 31 mars 2016 est totalement injustifié.
En envoyant son mail aux différentes organisations syndicales, H. n’a contrevenu ni à la charte de bonne conduite et de protection du système d’information qui lui était rappelée dans son ordre de mission ni au guide du système d’information qu’il avait régularisé lors de son embauche au sein de la société EURODECISION.
La « charte de bonne conduite » et le « guide du système d’information » interdisaient à H. d’utiliser la messagerie du Technocentre ou d’EURODECISION pour véhiculer des informations de nature non professionnelle.
C’est à partir de son ordinateur personnel, en dehors des heures de travail et en n’étant pas dans les locaux du Technocentre ou d’EURODECISION, que H. a envoyé un courriel aux différentes organisations syndicales ayant vocation à représenter les salariés intervenant au sein de la collectivité de travail du Technocentre. (Il sera rappelé, à ce sujet, que l’envoi par un salarié d’un courriel, de sa messagerie personnelle et en dehors du temps et du lieu de travail à une adresse non professionnelle, confère au message un caractère purement privé, ne pouvant constituer un manquement de loyauté envers l’employeur : Cass. Soc. 26 janvier 2012, n° 11-10189).
Le mail a été envoyé aux adresses du syndicat SUD, du syndicat CGT, du syndicat CFDT, du syndicat FO, de Monsieur… et de Monsieur… .
Les adresses de Messieurs … et … n’étaient pas des adresses privées. Elles étaient présentées, sur la page réservée à la CFE-CGC sur le site intranet du Technocentre, comme des adresses permettant de joindre cette organisation syndicale.
Il était dès lors peu sérieux d’écrire dans la lettre d’avertissement que H. aurait utilisé les ressources du système d’information de l’entreprise pour envoyer un message présentant un caractère politique à « des salariés de la société RENAULT ».
H. n’a pas diffusé directement des informations auprès de salariés de l’entreprise cliente. Il s’est adressé, pour leur faire des propositions d’actions militantes, aux différentes organisations syndicales représentant les salariés intervenant au sein de la collectivité de travail à laquelle il était lié depuis de nombreux mois.
Et le contenu des documents envoyés par H. ne pouvaient certainement pas être dénoncé comme présentant une « nature politique » insusceptible de rentrer dans le champ de l’action syndicale.
Le tract « Nuit Rouge » qui est joint au courriel du 15 mars, propose pour le 31 mars, à la suite du défilé de protestation contre la refonte du code du travail tentée par le projet de loi El Khomri, le programme suivant : « On fait une projection géante de Merci patron !, à rigoler tous en chœur. On se fait des concerts pour la bonne humeur. Et aussi, surtout, on cause. On essaie d’inventer un truc, point de fixation des espoirs et des luttes ».
Le mail envoyé par H., qui invite les différents syndicats à faire connaître l’« évènement » prévu pour le 31 mars, leur fait part de la possibilité d’organiser eux-mêmes des projections, suivies d’un débat, de « Merci patron ! », qui « raconte le combat d’un couple d’ouvriers qui se retrouvent au chômage après la délocalisation d’une usine du groupe LMVH en Pologne ».
Il serait pour le moins osé de présenter le thème de ce film et les débats suscités par sa projection comme étant par nature étrangers aux préoccupations d’une organisation syndicale.
L’avertissement infligé à H. pour avoir envoyé aux différentes organisations syndicales du Technocentre son mail du 15 mars 2016 constituait indiscutablement une atteinte à la liberté syndicale.
Cette sanction visait à empêcher les syndicats du Technocentre RENAULT de recevoir des informations rentrant dans leurs préoccupations de la même manière qu’elle cherchait à dissuader toute prise de contact entre un intervenant étroitement lié à la collectivité de travail du Technocentre et ces organisations syndicales.
2) Un licenciement qui a réprimé le « lanceur d’alerte » pour avoir relaté des agissements portant atteinte au libre exercice de l’activité syndicale et au droit des salariés des entreprises prestataires intervenant au sein de la collectivité de travail de l’entreprise utilisatrice de communiquer avec les organisations syndicales présentes dans cette entreprise.
1) Il a été fortement affirmé qu’« une preuve ne peut être le fruit d’un piège, d’une ruse, d’un stratagème, auquel cas elle est nulle comme frauduleuse » et qu’« elle doit avoir été obtenue d’une part loyalement, d’autre part, dans le respect de la personne concernée » (voir Ph. WAQUET, « Halte aux stratagèmes », Semaine sociale Lamy, 7 avril 2008, n° 1348).
Le refus du « stratagème » marque le droit de la preuve dans le procès civil. « En matière civile, un enregistrement de paroles ne peut constituer un mode preuve loyal et, partant recevable que s’il a été réalisé à la connaissance de la personne concernée. Lorsqu’à l’inverse, l’enregistrement a été effectué à son insu, il doit être écarté des débats en tant qu’illicite » (E. VERGES, G. VIAL, O. LECLERC, Droit de la preuve, PUF, 637).
Le juge pénal est plus compréhensif envers les enregistrements réalisés « à l’insu de ».
Il est pris en compte que l’enregistrement concerne des propos tenus dans le cadre de l’activité professionnelle et ne porte pas atteinte à l’intimité de la vie privée. « Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite, énonce que les conversations litigieuses, bien qu’enregistrées par le salarié en cause, à l’insu de ses interlocuteurs, ont porté exclusivement sur les conditions de rédaction des attestations produites par l’employeur lors de l’instance prud’homale et qu’aucune information ne touchait à la vie privée des intéressés, ces propos entrant dans le cadre de la seule activité professionnelle des intéressés et n’étant pas de nature à porter atteinte à l’intimité de leur vie privée » (voir Cass. Crim. 14 février 2006, D. 2007, 1184).
Le juge pénal admet comme moyens de preuve permettant d’établir l’existence d’une infraction des enregistrements effectués « à l’insu de », dès lors qu’ils « peuvent être discutés contradictoirement » (Cass. Crim. 31 janvier 2012, Bull. crim. n° 27).
Il a par ailleurs été souligné que lorsqu’une « dénonciation est faite de bonne foi, et n’est entachée d’aucune légèreté coupable, son auteur ne peut être légitimement sanctionné, licencié ou frappé d’une mesure discriminatoire » (voir P. ADAM, « Sur la liberté pour le salarié de dénoncer des faits répréhensibles », RJS 3/10, 196). Le salarié « dénonciateur » peut légitimement considérer être dispensé de procéder préalablement à une « information en interne » dans l’entreprise dans deux hypothèses. « Deux cas au moins paraissent indiscutables : la dénonciation de faits constitutifs d’infraction pénale ne devrait à tout le moins jamais être conditionnés à un tel préalable ; pas plus que les dénonciations dont il est évident qu’elles ne pourront trouver solution à l’intérieur de l’entreprise (par exemple lorsque les faits dénoncés sont imputables à l’employeur lui-même) (P. ADAM, chr. préc. 195).
La protection contre des mesures de rétorsion est particulièrement nécessaire dans le cas du « lanceur d’alerte ».
Le « lanceur d’alerte » désigne « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé » (Recommandation CM/Rec(2014)7, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 30 avril 2014).
La « révélation publique d’informations, par exemple à un journaliste » fait partie des « révélations d’informations » que peut faire le « lanceur d’alerte ».
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit à toute personne le droit à la liberté d’expression, est présenté comme un fondement essentiel de la protection du « lanceur d’alerte » contre toutes les formes de représailles, directes ou indirectes, de la part de son employeur et de la part de personnes travaillant pour le compte ou agissant au nom de cet employeur (Recommandation CM/Rec(2014)7, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 30 avril 2014).
La liberté d’expression a bien sûr pour limite l’abus constitué par le dénigrement et la mise en cause du responsable de l’entreprise dans des termes injurieux (Cass. Soc. 3 décembre 2008, n° 07-42331) ou par la tenue de propos outranciers et sans fondement mettant en cause l’honnêteté et la loyauté des dirigeants de l’entreprise (Cass. Soc. 28 janvier 2016, n° 14-28242, RJS 5/16, n° 312).
Pour bénéficier de la protection attachée à l’exercice de la liberté d’expression, le « lanceur d’alerte » doit donc s’exprimer avec prudence et mesure, ce qui suppose une absence totale de propos injurieux et après avoir vérifié ses sources, (voir, dans ce sens, Ch. MATHIEU et F. TERRYN, « Le statut du lanceur d’alerte en quête de cohérence », Revue de droit du travail, 2016, 163).
La défense de la liberté syndicale relève sans nul doute de l’intérêt général. La révélation de menaces pesant sur l’exercice de cette liberté mérite incontestablement la protection.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1132-1 du Code du travail qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de ses activités syndicales. L’article L. 1132-3 indique qu’ « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés » .
Il est précisé par l’article L. 1132-4 que « toute disposition ou tout acte pris à l’égard en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul ».
Les dispositions de l’article L. 2141-5 du Code du travail interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière de discipline ou de rupture du contrat de travail et il est précisé par l’article L. 2141-8 sont d’ordre public.
L’article 2146-2 du même code est sans équivoque. « Le fait pour l’employeur de méconnaître les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-8, relatives à la discrimination syndicale, est puni d’une amende de 3750 €. La récidive est punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 7500 € ».
2) Dans la présente affaire, s’il y a eu un « stratagème », au cours du déroulement de la procédure disciplinaire initiée à l’encontre de H., sa paternité en revient aux représentants de l’employeur et non au salarié injustement mis en cause.
Dans le courrier du 31 mars 2016 notifiant la sanction d’avertissement, il est écrit que H. (alors sous le coup de sa surprise et de l’émotion devant les reproches qui lui étaient faits) avait dit, lors de l’entretien qui avait lieu le 25 mars, qu’il ne voulait plus poursuivre ses fonctions au sein de la société EURODECISION. Et il est rajouté dans le courrier : « ce que nous ne pouvons que regretter ».
Ce commentaire est pour le moins « pervers » et traduit une fausse désolation, si l’on a présent à l’esprit que, quelques jours avant, la société EURODECISION avait engagé à l’encontre de H. une seconde procédure disciplinaire qu’elle avait bien l’intention de mener jusqu’à son terme, comme l’atteste l’envoi du courrier infligeant la mesure de licenciement pour faute grave affirmant le principe d’un départ immédiat de H..
En ce qui concerne l’attitude observée par H. lorsqu’il a été convoqué par le Président Général de la société EURODECISION au lendemain de l’envoi de son mail aux organisations syndicales, il ne saurait être sérieusement écrit, comme le fait la lettre de licenciement, qu’elle se serait caractérisée par un manquement à la loyauté et à la bonne foi.
Devant le ton adopté par son employeur et la perspective d’une exclusion de l’entreprise, H. a décidé de procéder à un enregistrement de son dirigeant sans le prévenir, non dans le dessein de le piéger, mais parce qu’il était « tellement dépassé » qu’il « était incapable de prendre des notes ».
Il a été ensuite souligné par H., lors de l’entretien préalable à son licenciement, que la diffusion et la propagation de l’enregistrement litigieux n’avait pas été de son ressort, mais de celui des journalistes.
En tout état de cause, la lettre de licenciement est à l’évidence mensongère lorsqu’elle reproche à H. d’avoir procédé à un enregistrement pouvant faire craindre la diffusion d’informations confidentielles confiées aux salariés de la société EURODECISION dans le cadre de l’exécution de leurs missions.
Elle n’est pas plus crédible lorsqu’elle impute à H. les effets négatifs qu’aurait eu sur un « climat social apaisé, reposant sur un réel dialogue entre tous les collaborateurs et la direction » la diffusion de l’enregistrement d’une « conversation privée ».
La diffusion litigieuse du 21 mars ne permet en aucune manière d’identifier la société EURODECISION ou son PDG, dont les anonymats ont été préservés.
Les « multiples articles de presse » dont il est fait état dans la lettre de licenciement ne permettent pas plus de reconnaître la société EURODECISION ou son PDG. Il faudra attendre le 31 mars pour que soit citée la société EURODECISION.
Il doit être également relevé que ce ne sont pas tous les propos tenus par le Président Directeur Général de la société EURODECISION au cours de l’entretien de l’entretien du 16 mars qui ont été diffusés. Ce sont seulement les extraits qui concernaient la surveillance des mails des syndicalistes et l’interdiction faite à l’intervenant envoyé par la société prestataire de discuter avec les syndicats de Renault.
En permettant la diffusion de propos de cette nature, en s’attachant à préserver l’anonymat de leur auteur, n’avait pour dessein de régler des comptes personnels. Il avait seulement pour souci d’alerter sur une menace établie pesant la liberté syndicale.
En procédant au licenciement de H. pour avoir enregistré et permis la diffusion des propos susvisés, la société EURODECISION a entendu le réprimer pour avoir relaté des agissements entendant remettre en cause le libre exercice de l’activité syndicale et le droit des salariés des entreprises prestataires intervenant au sein de la collectivité de travail de l’entreprise utilisatrice de communiquer avec les organisations syndicales présentes dans cette entreprise.
Le licenciement de H. est par conséquent entaché de nullité.
3) Sur la nécessité de l’intervention du juge des référés prud’homal.
Le droit de relater des agissements prohibés parce que constitutifs d’une discrimination syndicale (art. L. 1132-3 C. trav.) ou d’alerter sur des menaces pesant sur l’intérêt général sont des modalités la liberté d’expression.
Il est aujourd’hui acquis que le licenciement d’un salarié ayant exercé sa liberté d’expression, sans faire usage de termes excessifs ou diffamatoires, constitue un trouble manifestement illicite de nature à justifier l’intervention du juge des référés (voir CA Versailles, 20 novembre 2012, Dr. Ouv. 2013, 130 ; Cass. Soc. 18 février 2014, n° 13-0876, RJS 5/14, n° 425).
Il a été souligné, dans la recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe consacrée à la « protection des lanceurs d’alerte » qu’« en attendant l’issue de la procédure civile, les personnes qui ont été victimes de représailles pour avoir fait un signalement ou une révélation d’informations d’intérêt général devraient pouvoir solliciter des mesures provisoires, en particulier en cas de perte d’emploi » (Recommandation CM/Rec(2014)7, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 30 avril 2014).
Les pièces versées au débat mettent en évidence que c’est « l’alerte » lancée par H. qui a été la cause de son licenciement.
Le « lanceur d’alerte » brutalement licencié a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes afin que l’intervention du juge, même à titre provisoire, ne soit pas trop éloignée dans le temps de son éviction de l’entreprise et empêche la banalisation d’un licenciement fortement attentatoire à l’exercice d’une liberté fondamentale.
Le fait de licencier un salarié pour avoir relaté des agissements portant atteinte au libre exercice de l’activité syndicale et au droit des salariés des entreprises prestataires intervenant au sein de la collectivité de travail d’un établissement de la société Renault de communiquer avec les organisations syndicales présentes dans cet établissement cause de manière évidente un préjudice à l’intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat CGT Renault Guyancourt Aubevoye et le syndicat SUD Renault Guyancourt Aubevoye.
Ces deux organisations syndicales ont donc décidé de se constituer partie intervenante aux côtés du « lanceur d’alerte » qui n’entend pas être licencié en catimini.
Pascal MOUSSY
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