Tefal a été désavouée. La condamnation de l’inspectrice du travail "lanceuse d’alerte" n’a pas été validée en cassation
Le 17 octobre 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu son jugement dans l’affaire Tefal concernant la légalité de la condamnation d’une inspectrice du travail pour recel de violation du secret des correspondances et violation du secret professionnel. En reconnaissant à l’inspectrice le droit d’être à nouveau jugée en prenant en compte les dispositions de la loi du 9 décembre 2016 sur la protection des lanceurs d’alerte, cet arrêt constitue la première étape d’un désaveu cinglant pour Tefal ainsi que pour le Ministère du travail, dont la hiérarchie n’a jamais soutenu l’inspectrice mise en cause.
A l’origine de l’affaire, une inspectrice du travail sous pression
En 2013, un salarié de l’entreprise Tefal à Annecy, administrateur du réseau informatique, découvre qu’il fait l’objet de la part du service des ressources humaines d’une tentative de le déstabiliser en vue de le licencier. Il tombe sur un compte rendu RH enjoignant à son supérieur de lui « fixer des objectifs inatteignables ». A la recherche de moyens de se défendre contre le harcèlement moral subi, il découvre des correspondances électroniques établissant que Tefal, en lien avec le Medef, les services de la préfecture du département et la hiérarchie de l’inspectrice du travail, a cherché à faire pression sur elle. Les documents sont envoyés anonymement par le salarié à l’inspectrice. Celle-ci comprend mieux pourquoi son directeur départemental avait cherché, au cours d’un entretien violent qui avait provoqué un arrêt maladie, à lui faire revoir ses méthodes de contrôle de l’entreprise – elle avait notamment constaté l’illégalité d’un accord d’aménagement du temps de travail et entrepris de dresser procès-verbal à l’encontre de cette société.
Cherchant à son tour à se défendre, l’inspectrice tire plusieurs sonnettes d’alarme : elle saisit le Conseil national de l’inspection du travail (CNIT), instance consultative indépendante dont le rôle est de veiller à ce que les missions des agents de contrôle de l’inspection du travail soient exercées dans les conditions garanties par les conventions n° 81 et 129 de l’OIT et le code du travail, afin qu’ils puissent exercer leurs missions en toute indépendance, sans influence extérieure indue. Elle saisit également la justice par la voie d’un procès-verbal d’obstacle à ses fonctions adressé au procureur de la République. Elle informe de plus les syndicats du Ministère du travail de sa saisine du CNIT et l’affaire fuite dans la presse, révélant au grand jour la collusion entre le patronat local et l’administration.
Les lanceurs d’alerte condamnés en première instance et en appel
Contre toute attente, alors que le CNIT reconnaît la défaillance du ministère du travail et l’existence de pressions indues de l’entreprise en lien avec la préfecture pour obtenir la mutation de l’inspectrice, et alors que l’association ANTICOR décerne à l’agente de contrôle un prix éthique, le procureur d’Annecy décide de poursuivre la plainte contre X déposée par Tefal et de mettre en cause le salarié et l’inspectrice du travail. En parallèle, il classe sans suite les procédures pénales qu’elle a initiées à l’encontre de la société. Et il n’hésite pas à se répandre dans la presse sur cette « occasion de faire le ménage » au sein du corps des inspecteurs du travail « qui ne devraient pas avoir le droit de se syndiquer ». Ces faits font désormais partie d’une plainte, déposée devant l’OIT par les organisations syndicales contre la France, pour des violations graves des conventions 81 et 129 de l’OIT sur l’inspection du travail.
Le salarié est poursuivi pour atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique, accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, et l’inspectrice pour recel de la première infraction et violation du secret professionnel.
Le 4 décembre 2015, le tribunal correctionnel d’Annecy les condamne tous deux à 3500 euros d’amende avec sursis. Par un arrêt confirmatif du 16 novembre 2016, la Cour d’appel de Chambéry maintient les condamnations.
La Cour estime notamment que l’intention frauduleuse pour caractériser le délit de recel est parfaitement établie puisque l’inspectrice savait que ces documents avaient été obtenus de manière clandestine et anonyme, qu’ils étaient, à l’évidence, confidentiels, qu’ils avaient été obtenus sans l’accord des titulaires des boites mail, qu’elle en a cependant fait un usage privé en les transférant à divers syndicats départementaux et régionaux au lieu de les communiquer au procureur de la République s’ils révélaient, comme elle le soutient, l’existence d’une infraction. La Cour fait donc fi du procès-verbal pour obstacle adressé par l’agente au procureur et par lequel les documents litigieux ont été transmis à la justice.
En défense, l’inspectrice et le salarié soutiennent que les faits reprochés au salarié ne sont pas punissables, qu’il a en effet agi en qualité de lanceur d’alerte et que par conséquent, le délit de recel n’est pas constitué. Ils invoquent alors le statut de lanceur d’alerte et la protection des dispositions du code du travail, notamment celles de l’article L.1132-3-3 du Code du travail. La Cour d’appel les estime inapplicables car les faits en cause concernent l’action d’une fonctionnaire de l’Etat et sont hors champ d’application de cette disposition, circonscrite aux relations entre salariés et employeurs au sens du Code du travail.
Espoir en cassation
En cassation, où l’inspectrice est malheureusement seule requérante, le salarié s’étant désisté, elle réclame l’application immédiate du nouvel article 122-9 du Code pénal, créant pour les « lanceurs d’alerte » une nouvelle cause d’irresponsabilité pénale de nature à rendre non punissable les faits pour lesquels elle a été condamnée. Cet article issu de la loi du 9 décembre 2016 [1] dispose : « N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 [2] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »
[1] Article 7 de la LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[2] Article 6 : Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte défini par le présent chapitre.
Camille LEFEBVRE
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