L’hôtel Campanile La Villette licencie pour état de santé : c’est nul !
La problématique de la santé au travail est aussi ancienne que le droit du travail lui-même. Et pour cause, l’exercice de la prestation de travail engage pleinement le corps du salarié et à plus forte raison lorsque ce dernier exerce les fonctions de valet ou de femme de chambre. Mais lorsqu’éreinté par de nombreuses années de dur labeur, ce même corps cède sous le poids de la fatigue, sous le poids des années d’exploitation, les employeurs sont toujours prompts à se séparer de ceux qu’ils ont éhontément usés.
Dans ce cadre, alors que les intentions des employeurs sont claires, ils tentent de les dissimuler derrière des motifs fallacieux de licenciement. Si bien que le salarié au parcours exemplaire, dont le travail était jusqu’alors irréprochable, devient subitement un paria, fauteur de troubles et auteurs de manquements. Et tout le travail judiciaire, auquel le salarié, le défenseur syndical ou l’avocat et les juges prud’homaux sont conviés, consiste à dévoiler ce stratagème pour mettre en lumière la discrimination en raison de l’état de santé.
C’est ce type d’affaire, somme toute assez classique, a donné lieu à la décision du Conseil de Prud’hommes de Paris le 19 mars 2019. Si l’affaire est classique, la sanction infligée à l’employeur est ferme et efficace : la nullité et la réintégration. Belle nullité ! Redoutable réintégration !
Au service de la société Hôtel Paris Flandre depuis le 1er janvier 2015, la salariée donnait toute satisfaction dans l’exercice de sa prestation de travail. Toutefois cette dernière a été victime d’un accident de travail. Et depuis lors, elle était sujette à d’importants problèmes de santé occasionnant des arrêts de travail. Subitement, la salariée n’a plus donné satisfaction. Son travail était défectueux. Menant ses investigations au-delà des apparences comme l’y invite la loi, le juge départiteur du Conseil des prud’hommes de Paris a reconnu que la salariée n’était pas auteure de manquements mais victime de discrimination en raison de son état de santé.
La discrimination « constitue une distinction, stigmatisée à raison de son motif ‘de sa raison devrait-on dire’, motif tenu dès lors pour illicite » [1] . À cet égard, l’article L.1132-1 du Code du travail prohibe toute prise en compte directe ou indirecte d’un des critères énumérés par ledit texte. Discriminer ne consiste pas seulement à traiter différemment, c’est-à-dire à opérer une distinction, discriminer consiste à traiter différemment sur le fondement d’un mobile prohibé par la loi. Ainsi, la discrimination en raison de l’état de santé consiste pour un employeur à prendre une décision en considération de l’état de santé du salarié. Etat de santé face auquel l’employeur est censé être indifférent dés lors qu’il s’agit notamment d’arrêter une décision en matière de recrutement, avancement ou licenciement.
Le plus difficile dans ce type de dossier, réside dans la construction des éléments factuels apportés. Aussi, en pareils cas un raisonnement particulier s’applique. C’est celui qui a été déployé dans la présente affaire. Dans un premier temps, le juge a analysé les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé, pour ensuite analyser si l’employeur prouve que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Sur le plan probatoire, la discrimination en raison de l’état de santé, au même titre que toute autre forme de discrimination, est régie par l’article L 1134-1 du Code du Travail lequel dispose :« lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ».
Dans un premier temps, il revient au demandeur, en l’occurrence le salarié, d’apporter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé.
En l’espèce, la salariée commence par étayer la fragilité de son état de santé. Pour cela, elle fait état de son accident du travail et de l’arrêt de travail de trois mois qu’il a engendré du 9 mars au 6 juin 2014. Puis les arrêts se sont succédé du 8 mars 2014 au 25 janvier 2015, du 19 juin au 15 septembre 2015. Et enfin du 4 au 11 octobre 2015.
En tant que tels, ces arrêts ne constituent pas des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé. Toutefois, ils s’ajoutent à des manquements de l’employeur, lesquels constituent des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination.
En effet, selon l’article R. 4624- 22 du Code du travail, tout arrêt de plus de 30 jours consécutifs emporte obligation à l’employeur d’organiser une visite de reprise du travail. L’objet de cette visite est essentiel. Il permet de délivrer l’avis d’aptitude médicale du salarié à reprendre son poste ; de préconiser l’aménagement, l’adaptation du poste ou le reclassement du salarié et enfin d’examiner les propositions d’aménagement, d’adaptation du poste ou de reclassement faites par l’employeur à la suite des préconisations émises par le médecin du travail lors de la visite de pré-reprise.
Or, en dépit de tous les arrêts de travail, l’employeur n’a organisé aucune visite de reprise. Ceci alors même qu’à l’occasion d’une visite d’aptitude médicale faite le 2 septembre 2015, elle avait été déclaré inapte temporairement.
Loin de s’émouvoir de la dégradation de l’état de santé de sa salarié, l’employeur n’a réagi qu’en proférant des accusations fallacieuses et infondées à l’égard de la salariée.
Cette dernière serait « alcoolique », aurait « usurpé son identité ». Plus avant, il l’a licenciée.
Pour le Conseil des Prud’hommes de Paris, ces éléments constituent bien des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé de la salariée. Restait alors à l’employeur de tenter de se justifier.
Pour tenter d’établir que le licenciement de la salariée était basé sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, l’employeur invoque de prétendus manquements. Dans le cadre de ses fonctions de femme de chambre, la salariée aurait laissé après son passage dans un chambre « une tache sur une alèze d’un lit », elle aurait en outre mis « de petites housses de couettes pour un grand lit » et aurait enfin occulté de passer « l’aspirateur dans deux chambres ».
Balayant de telles accusations, le Conseil des Prud’hommes de Paris retient que « le fait de faire travailler la salarié sans visite médicale de reprise, et alors qu’elle avait été déclarée inapte temporaire, puis de la licencier brutalement pour des manquements ponctuels sur la journée du 15 octobre alors qu’aucun incident antérieur aux arrêts maladie n’était à déplorer, et ce après avoir proféré à son encontre des accusations d’alcoolisme et d’usurpation d’identité non étayées, n’est pas justifié par des éléments objectifs étrangers à une discrimination en raison de l’état de santé ».
Pour l’ensemble de ces raisons, le licenciement est déclaré nul et la salariée doit être réintégrée dans ses fonctions.
Les conséquences sont classiques. La poursuite du contrat de travail est ordonnée sous astreinte ainsi que le paiement de l’intégralité des salaires depuis la fin du 2ème mois de préavis jusqu’au jour du prononcé de la réintégration.
Après avoir consacré cette solution pour la nullité d’une rupture pour fait de grève (Cassation Sociale – 2 février 2006 – n° 03-47481), pour activités syndicales (2 juin 2010 n°s 08-43277 et 08-43369) ,la Cour de Cassation a adopté la même solution pour la nullité d’une rupture prononcée en raison de l’état de santé (Cassation Sociale – 11 juillet 2012 n° 10-15905) en considérant que tout comme le droit de grève et le droit syndical, le droit à la santé était un droit constitutionnel fondateur de notre République consacré par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Cerise sur le gâteau, le syndicat CGT-HPE qui s’était constitué partie civile obtient des dommages et intérêts pour préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession par la violation du droit constitutionnel à la santé.
Une fois n’est pas coutume les lecteurs de Chronique Ouvrière sont invités à participer à un rassemblement le mardi 9 avril 2019 à 12h devant le Campanile Porte de la Villette organisé par la CGT, pour exiger la réintégration effective de notre camarade.
[1] A. Lyon-Caen, « Variations sur la discrimination ou le pluriel derrière le singulier », in Le droit social, l’égalité et les discriminations, G. Borenfreund, I. Vacarie (dir), Dalloz, coll. Thèmes et Commentaires, 2013, p. 52.
Claude LEVY
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