Chronique ouvrière

Chez Peugeot-Citroën, glissement-précarité : un tandem infernal pour le libre exercice du droit de grève.

lundi 13 août 2007 par Pascal MOUSSY

Peugeot et Citroën n’ont jamais été réputées être des boîtes particulièrement tendres, aussi bien en ce qui concerne le contenu de la fiche de paye que les conditions de travail, pour les ouvriers qui participent à la construction de leurs performantes voitures.
Elles se sont même faites une célébrité en matière sociale pour le « cassage de gueule » des syndicalistes un peu trop revendicatifs et un traitement quelque peu rugueux des conflits collectifs.

La consécration de leur union, qui a donné naissance à la nouvelle appellation de Peugeot Citroën, a perpétué cette tradition de gestion toujours aussi offensive, même si elle est moins flamboyante que dans les années 1970, des mouvements de grève observés par des ouvriers qui en ont plus qu’assez d’être aussi mal payés et de subir des cadences et des charges de travail qui se caractérisent par une constante réévaluation à la hausse.

Lors du dernier mouvement de grève qui a réuni près de cinq cents ouvriers du centre de production d’Aulnay sous Bois, PCA, qui a toujours manifesté un goût très prononcé pour le recours aux travailleurs intérimaires, s’est employé à tenter de casser la grève en affectant massivement les travailleurs précaires sur les postes habituellement occupés par les grévistes, notamment dans les ateliers du ferrage, de peinture, dans le sous-atelier de montage 2 et dans l’équipe de nuit du montage 1.

La majorité des organisations syndicales présentes dans l’établissement d’Aulnay sous Bois ne sont pas restées sans réagir. Cinq d’entre elles ont saisi le juge des référés pour faire cesser le trouble manifestement illicite constitué par l’emploi de travailleurs précaires utilisés en violation des dispositions du code du travail interdisant expressément le remplacement d’un salarié gréviste par un salarié titulaire d’un contrat de travail temporaire ou d’un contrat de travail à durée déterminée.

L’ordonnance rendue le 26 mars 2007 par le Tribunal de grande instance de Bobigny, statuant en référé, a été remarquée .L’édition de Seine-Saint-Denis du Parisien la saluait comme l’événement du jour et titrait : « PSA condamné pour atteinte au droit de grève ». Les ouvriers grévistes qui ont appris la nouvelle du rappel à l’ordre de leur arrogant employeur, alors qu’ils manifestaient aux Invalides en criant leur colère aux oreilles du ministre du travail, l’ont accueilli par des hourras.

L’ordonnance rendue par le juge des référés de Bobigny ne pouvait donc rester inaperçue.

Elle a clairement fait comprendre aux dirigeants de PCA qu’il faudra qu’ils revoient leur copie s’ils veulent convaincre que c’est au moment du ralentissement d’activité consécutif au mouvement de grève qu’ils peuvent légitimement mettre en avant un « pic d’activité » de nature à justifier le recrutement de travailleurs précaires... affectés sur des postes habituellement occupés par des grévistes.

Mais la lecture complète de l’ordonnance peut faire naître quelques regrets dans la mesure où il apparaît qu’elle n’a pas produit pas tous les effets escomptés par les demandeurs.

I. Une ordonnance qui ne se laisse pas séduire par la thèse de la simultanéité entre le ralentissement de l’activité, inhérent à la grève, et le « pic d’activité » de nature à justifier le recrutement des travailleurs intérimaires... après avoir relevé que les travailleurs précaires étaient affectés sur des postes habituellement occupés par les grévistes.

Certains loueront les efforts déployés par la société défenderesse pour initier le juge des référés aux arcanes du raisonnement paradoxal. D’autres diront, plus prosaïquement, que les dirigeants de PCA ne manquent pas d’air. Au cours d’une période de grève ayant empêché la production de plus de 9000 Citroën C2 et C3, l’établissement d’Aulnay sous bois serait rentré dans une phase de « suractivité »...

Le code du travail interdit le remplacement de salariés dont le contrat de travail est suspendu par suite d’un conflit collectif de travail par d’autres salariés titulaires de contrats précaires. La société PCA prétendait convaincre que le recrutement de travailleurs intérimaires intervenu après le début de la grève n’entendait pas braver l’interdiction légale mais était en tous points conforme aux dispositions de ce même code qui autorise le recours au travail précaire en cas « d’accroissement temporaire d’activité de l’entreprise », dans la mesure où c’était le seul « pic d’activité » connu par le centre de production d’Aulnay sous Bois qui aurait été à l’origine du recrutement d’un nombre relativement important de travailleurs intérimaires (qui étaient au nombre de 150 d’après les estimations des syndicats ayant introduit l’action devant le juge des référés).

Le « pic d’activité » résultait, selon la société PCA, de plusieurs circonstances. La survenance d’un (particulièrement) heureux développement des ventes en Italie. La mise en oeuvre d’un projet intitulé HOSCHIN portant sur la création de groupes de réflexion en vue de l’amélioration de la productivité et des conditions de travail... et ayant pour objet la diminution du nombre d« < opérateurs ». Et, ce qui était un peu plus ésotérique, la préoccupation de faire face à une crise « qualité » à Aulnay...

Tout le monde a compris que les dirigeants de PCA ont tenté de faire admettre au juge des référés qu’à Aulnay, on était en capacité de fabriquer des bagnoles roulant sur la carrosserie. Autant animé d’un souci de sécurité que du respect de l’ordre public, le tribunal s’est attaché à faire remettre les roues par terre.

Le juge des référés de Bobigny a été amené à faire un constat reflétant la réalité des effets du conflit collectif.

Si les objectifs assignés aux embauches des intérimaires intervenues après le 28 février 2007 paraissaient avoir été définis préalablement au déclenchement du conflit social, il était en revanche patent qu’à la date de conclusion des contrats, la société PCA ne pouvait ignorer que le mouvement de grève concernant 350 salariés selon ses écritures et 500 salariés selon les syndicats avait pour effet de les remettre incontestablement en cause. « En effet, le ralentissement inévitable de la production par l’effet du conflit collectif rendait totalement inopérant les motifs de recrutement initialement avancés tant en ce qui concerne la suractivité que la mise en place du projet HOSCHIN qui a été abandonné et le renforcement des contrôles qualité ».
Et, ce qui était ici fondamental, il était souligné dans l’ordonnance du juge des référés que les témoignages de plusieurs salariés et le rapport établi le 12 mars 2007 par l’inspecteur du travail attestaient de ce que les personnels intérimaires avaient assuré le remplacement de salariés grévistes.

Il ne pouvait dès lors qu’en être déduit que la société PCA, qui avait volontairement poursuivi sa politique de recrutement des personnels intérimaires alors que les motifs de ces embauches étaient devenus caducs en raison du conflit collectif et que ces travailleurs précaires devaient être en réalité affectés au remplacement des salariés grévistes, avait contrevenu de manière flagrante aux dispositions de l’article L.124-2-3 du Code du Travail.

Après avoir caractérisé le trouble causé par la violation des dispositions protectrices de l’exercice du droit de grève, le juge des référés a prescrit les mesures de nature à le faire cesser en ordonnant le retrait immédiat des salariés en contrat en précaire des postes sur lesquels ils étaient occupés illégalement et en interdisant de procéder jusqu’à l’issue du conflit collectif à de nouvelles embauches de personnels titulaires de contrats précaires pour les motifs dont s’était prévalue la société PCA ou pour tout autre motif autre que le remplacement de salariés non grévistes absents, sous astreinte de 5000 € par infraction constatée après la signification de l’ordonnance.


II .Une ordonnance qui « surfe » avec les textes pour ne pas aller jusqu’à neutraliser les effets du glissement des travailleurs précaires sur les postes habituellement occupés par les grévistes.

Le nouveau régime juridique du recours aux contrats précaires issu de la loi du 12 juillet 1990 est animé d’un notable souci d’efficacité. L’article L.122-1 du Code du Travail (relatif au contrat de travail à durée déterminée) comme l’article L.124-2 (concernant le contrat de travail temporaire) ne se contentent plus, comme les précédentes moutures, de disposer que les contrats précaires ne peuvent « avoir pour objet » de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Ils spécifient qu’ils ne sauraient avoir « ni pour objet ni pour effet » de pourvoir durablement ce type d’emploi.

Il n’est pas passé inaperçu que la Cour de Cassation a admis la pratique du glissement, notamment dans le cas de la conclusion d’un contrat de travail précaire en raison d’un accroissement temporaire d’activité. La Chambre Sociale reconnaît en effet la possibilité de ne pas affecter le travailleur précaire aux tâches directement liées au surcroît d’activité. Mais la légitimité de cette pratique est subordonnée à deux conditions incontournables. L’accroissement d’activité invoqué pour justifier le recours aux contrats précaires doit être réel (Cass. Soc. 18 février 2003, Dr. Soc. 2003, 650 ; Cass. Soc. 21 janvier 2004, Liaisons Sociales n° 849 du 2 février 2004).La succession des contrats ne peut avoir pour effet de faire occuper par les travailleurs précaires des emplois permanents de l’entreprise (Cass. Soc. 16 juillet 1997, Bull. V, n° 270 ; Cass. Soc. 21 janvier 2004, préc.).

L’ordonnance rendue par le juge des référés de Bobigny semble avoir bien perçu le sens des dispositions issues de la loi du 12 juillet 1990 lorsqu’elle admet qu’une affectation de travailleurs précaires qui aurait pour effet de pourvoir durablement des emplois permanents serait de nature à générer un trouble manifestement illicite. Mais l’ordonnance s’arrête à mi-chemin lorsqu’elle considère que la nouvelle formulation introduite par le législateur en 1990
n’a pas eu pour effet d’étendre la prohibition au glissement de travailleurs précaires pour remplacer des grévistes. Ce qui l’a conduit à se rendre coupable d’un refus d’application des dispositions légales posant le principe de l’interdiction absolue d’utiliser les contrats précaires pour tenter de briser l’exercice normal du droit de grève.

C’est une gestion patronale de choc des conflits collectifs qui préconise la mise en oeuvre de ce nous pourrions appeler le glissement « antigrève précarité ». Il existe deux variétés de glissement. La première consiste à affecter un travailleur précaire recruté avant le déclenchement du conflit collectif pour un motif de recours autorisé par le code du travail sur le poste laissé temporairement vacant par l’absence du salarié en grève. La seconde voit l’employeur solliciter un salarié permanent de l’entreprise pour assurer le remplacement d’un gréviste et demande à un travailleur précaire de venir travailler sur le poste de celui qui est allé dépanner son patron, mis en difficulté par le mouvement de grève. C’est la première hypothèse, qui faisait l’objet de la demande d’interdiction présentée au juge des référés de Bobigny, qui retiendra ici notre attention.

S’appuyant sur la lettre du texte de la loi du 3 janvier 1972, et notamment sur l’expression « faire appel », la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation en avait à l’époque déduit, par l’arrêt canon du 2 décembre 1980 (Bull. Crim., n° 330), que l’interdiction de recours aux travailleurs intérimaires pour remplacer des grévistes ne concernait que le recrutement postérieur au déclenchement du conflit collectif et ne valait pas pour l’emploi, sur des postes habituellement occupés par des grévistes, de travailleurs temporaires embauchés antérieurement au conflit.

Cette interprétation très stricte de la loi, qui prêchait de fait une grande tolérance envers les tentatives patronales de casser la grève par une utilisation systématique de travailleurs précaires pour assurer le remplacement des grévistes, devait irriter plusieurs juristes du travail attachés à la préservation des conditions d’exercice du droit de grève. Yves Chalaron (« La réforme du travail temporaire », Dr. Soc. 1982, 375), puis Hélène Sinay et Jean-Claude Javillier (La grève, Dalloz, 1984, 314) s’appuyaient sur les nouvelles ordonnances du 5 février 1982 relatives aux contrats de travail précaire pour souligner le caractère désuet de l’interprétation donnée par la Chambre Criminelle en faisant valoir que les nouveaux textes traitaient du remplacement du gréviste et non seulement de l’embauchage en cas de conflit en vue de remplacement.

Mais, dans sa chronique de référence, « L’appel à des salariés de remplacement en cas de grève » (B.S. 2 / 86, 72), Jean Deprez relevait que la formulation inscrite dans la loi du 25 juillet 1985, qui disposait qu« il ne pouvait être fait appel » aux salariés des entreprises de travail temporaire pour remplacer des grévistes ne semblerait que viser l’embauche de salariés nouveaux et non l’affectation de salariés déjà recrutés. (Il peut également être noté que l’ordonnance du 11 août 1986 concernant le contrat de travail à durée déterminée spécifiait que ce type de contrat ne pouvait « avoir pour objet » le remplacement d’un salarié dont le contrat de travail était suspendu par suite d’un conflit collectif de travail. Ce qui pouvait laisser supposer que le rédacteur du texte était essentiellement préoccupé par la mauvaise intention qui serait décelée grâce à la lecture du contrat).

En tout état de cause, le débat devrait être clos depuis l’intervention de la loi du 12 juillet 1990.

Les travaux parlementaires font ressortir que ce nouveau texte était animé d’un souci de poser le principe d’une interdiction absolue de recours au contrat de travail précaire pour remplacer un gréviste. (Il n’est pas sans signification de relever que la circulaire DRT du 30 octobre 1990 faisait figurer, dans son point 1.5.1 concernant les cas d’interdiction de recours au contrat de travail temporaire et au contrat de travail à durée déterminée, le remplacement des grévistes comme seul cas d’« interdiction absolue »).

Le rapporteur de la loi, Alain Vidalies, tenait des propos des plus clairs : « Notre souci, à tous, doit être d’exclure toute possibilité de dérogation ou d’interprétation qui permettrait de recourir au travail précaire en cas de conflit collectif du travail » (JO, 1 / 06/ 1990, 1973).

C’est pour cette raison que les règles spéciales des contrats précaires relatives aux conflits collectifs de travail (articles L.122-3 et L.124-2-3 du code du Travail), soucieuses de ne donner aucun champ à l’interprétation et s’inscrivant dans l’économie générale de la loi du 12 juillet 1990, ne mentionnent plus les expressions « ne peut avoir pour objet » ou « il ne peut être fait appel », mais posent le principe que le contrat précaire « ne peut être conclu », c’est-à-dire « ne peut avoir ni pour objet ni pour effet » de remplacer le salarié gréviste.

Il est dommage qu’un excellent ouvrage, qui ne peut être suspecté de sympathie pour le glissement antigrève, ne contribue pas à mettre pleinement en évidence la mutation intervenue en 1990, en ne rompant pas avec l’ancien texte de l’article L.122-3 du Code du Travail et en indiquant : « En aucun cas, le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir pour objet le remplacement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu par suite d’un conflit collectif du travail » (J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du Travail, Dalloz, 23e éd., 2006 , 363). Les auteurs de l’ouvrage soulignent que « la formulation de la règle légale n’est pas heureuse »... Mais elle est aujourd’hui devenue sans effet, ayant été avantageusement remplacée depuis le 12 juillet 1990.

Une doctrine particulièrement prisée chez les employeurs ne s’est pas trompée sur la lettre du nouveau texte qui affirme l’impossibilité absolue de voir le poste d’un gréviste tenu par un salarié sous contrat précaire. La seule interprétation retenue par l’auteur est celle du remplacement du gréviste par un autre travailleur permanent de l’entreprise dont le poste sera, dans un second temps, occupé par un travailleur temporaire (...) (Voir, B. Teyssié, « Travail temporaire », Jurisclasseur Travail, Fasc. 3.30, (7). Cette possibilité d’une embauche d’un travailleur précaire pour remplacer le salarié permanent ayant glissé sur le poste du gréviste ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, certains l’estimant contraire à la nouvelle logique d’interdiction absolue : voir, notamment, D. Corrigan-Carsin, « Contrat de travail à durée déterminée », Rép. Trav., 20).

Si nous replongeons un court instant dans le texte actuel des articles L.122-3 et L.124-2-3 du Code du Travail, une observation d’une logique élémentaire s’impose. Il est spécifié que le contrat de travail précaire ne peut être conclu : primo, pour remplacer un gréviste ; deuzio, pour effectuer des travaux particulièrement dangereux ; tertio, pour remplacer un médecin du travail. Il faudra nous expliquer en quoi le glissement du travailleur sous contrat précaire qui est totalement impensable dans les deux derniers cas, deviendrait par contre envisageable dans la première hypothèse.

Il existe certes un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 17 juin 2003, Syndicat départemental CGT de la Poste de la Corse du Sud c / La Poste, qui a admis le glissement sur la tournée d’un facteur gréviste d’un contractuel initialement engagé pour une
durée déterminée pour remplacer un agent en congé maladie (Dr. Ouv. 2004, 83 et s., note Isabelle Meyrat ; RJS, 10 / 03, n° 1125). Cet arrêt n’a pas eu les honneurs du Bulletin. La Chambre sociale n’était probablement pas très sûre de sa solution, qui avait en effet de quoi surprendre. L’annotateur de cette décision dans la Revue de Jurisprudence sociale a relevé qu’elle s’inscrivait dans la logique de l’arrêt précité de la Chambre Criminelle du 2 décembre 1980, rendu sous l’empire de dispositions aujourd’hui obsolètes.

Au regard du principe général, valable pour tous les contrats de travail, affirmé depuis le 31 décembre 1992 par l’article L.120-2 du code du Travail, l’utilisation des contrats précaires ne saurait apporter aux libertés collectives (dont la liberté de faire grève) de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. La question posée ici n’est pas uniquement celle de la licéité de l’objet du contrat, mais également celle de la licéité de ses effets, lesquels consistent à pourvoir des emplois permanents habituellement occupés par des salariés grévistes. La vérification que l’employeur respecte l’exercice d’une liberté publique ne se limite pas au contrôle des objectifs patronaux clairement affichés. Elle implique de s’assurer que l’employeur témoigne d’un effort constant tendant à la préservation de cette liberté.

Prenons l’exemple, que nous espérons pédagogique, du contrôle effectué par l’inspecteur du travail saisi de la demande d’autorisation de licenciement pour motif économique d’un salarié investi d’un mandat représentatif. A priori, l’hypothèse du licenciement économique n’est pas celle qui caractérise l’acharnement d’un employeur dont l’objectif serait de se séparer à tout prix d’un représentant du personnel ou d’un délégué syndical jugé trop encombrant. Mais une décision de refus d’autorisation de licenciement s’impose lorsqu’il apparaît qu’à l’occasion d’une restructuration intervenue pour une cause étrangère à la personne du salarié investi d’un mandant représentatif, l’employeur n’a pas fait d’efforts suffisants pour assurer le reclassement de l’intéressé. « C’est en effet dans la mesure où elle aura proposé au salarié un reclassement adéquat en son sein que l’entreprise prouvera que le licenciement était bien, en réalité, sans appartenance avec le mandat » (Ph. Dondoux, conclusions sous C.E., 18 février 1977, Sieur Abellan, Dr. Soc., 1977, 169). La restructuration de l’entreprise intervenue pour un motif d’ordre économique, la plupart du temps, n’a pas pour objet d’évincer les salariés investis d’un mandat représentatif, mais elle peut donner l’occasion ou avoir pour effet de les laisser sur le bord de la route au moment du « traitement social » de la réorganisation. Et c’est notamment à ce moment que l’inspecteur du travail devra redoubler de vigilance.

Le libre exercice du droit de grève ne saurait être moins bien traité que la liberté syndicale ou la libre représentation du personnel. Il appartient à l’utilisateur des contrats précaires de justifier que le recours à des contrats précaires n’a pas eu pour objet ou pour effet d’assurer le remplacement de salariés dont le contrat de travail a été suspendu par suite d’un conflit collectif de travail. Si cette justification n’est pas fournie, nous sommes en présence d’une violation des dispositions légales refusant l’utilisation des contrats précaires pour briser l’exercice normal du droit de grève. Ce qui constitue sans aucun doute un trouble manifestement illicite nécessitant l’intervention... qui a été ici refusée par le juge des référés de Bobigny.


III. Une liberté qui peut aujourd’hui s’affirmer comme fondamentale : celle de ne pas participer au glissement antigrève.

Il n’est pas expressément interdit, lorsque le mouvement de grève ne s’étend pas à la totalité du personnel, d’affecter des membres de l’effectif permanent non grévistes au remplacement des grévistes.

Mais être non gréviste n’est pas nécessairement être un briseur de grève. On peut ne pas avoir envie de participer à l’arrêt de travail sans pour autant être prêt à manquer de respect à son collègue d’hier et de demain en venant occuper son poste de travail. Le non gréviste à principe est-il alors titulaire d’un droit de refus de participer au glissement ?

Il est possible d’aborder la question sous l’angle du refus de la modification du contrat de travail. Mais cette approche laisse peu de marge de manoeuvre au salarié non gréviste récalcitrant face au pouvoir de direction de l’employeur (voir, à ce sujet, J. Deprez, chr. préc., 65 et s.). Elle est surtout moins appropriée que la référence au respect des droits et libertés individuelles et collectives affirmé par l’article L.120-2 du Code du Travail.

Il ne s’agit pas ici d’invoquer l’article L.120-2 pour contester le principe même de l’affectation de salariés titulaires de contrat à durée indéterminée sur les postes de grévistes, comme l’avait préconisé un auteur fort justement préoccupé par les conséquences sur le mouvement de grève de la pratique du glissement (voir H. Sellamy, « Le remplacement des grévistes dans les entreprises privées », RPDS, 1999, 159). Mais il est proposé de fonder la légitimité du refus de participer au glissement antigrève sur le principe général du respect des libertés collectives (dont fait partie le libre exercice du droit de grève) posé par l’article L.120-2.

D’autant plus que le principe général a maintenant un relais avec le refus de la
« discrimination indirecte » (notion récemment saluée à propos du respect de l’état de santé du salarié par un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 9 janvier 2007 : voir Liaisons Sociales n° 51 / 2007 du 20 février 2007) en raison de la de grève introduit par l’article L.122-45 du Code du Travail. Il ressort de la lecture des deux premiers alinéas de cet article qu’un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière d’affectation en raison de l’exercice normal du droit de grève.

Un salarié non gréviste qui serait sanctionné, licencié ou tout simplement mal traité pour avoir refusé une affectation sur le poste d’un salarié dont le contrat est suspendu par suite d’un conflit de travail est tout à fait susceptible de rentrer dans le champ d’application de ce texte.

On voit mal ce qui pourrait l’en exclure,si on s’inscrit dans l’actuelle démarche du traitement de la discrimination qui exprime sa préoccupation de l’efficacité, ou si l’on préfère de « l’effet utile », des dispositions protectrices des droits de la personne et des libertés fondamentales.

Pascal Moussy


annexe

Bobigny référé du 26 mars 2007

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