Chronique ouvrière

L’agent face à l’administration. Le droit à un procès inéquitable

jeudi 16 février 2023 par Kléber DEROUVROY

La formulation en oxymore interpelle :

L’inéquité renvoie au défaut de justice alors que le droit processuel participe à la garantie de l’équité le temps de l’instance.

Le postulat de départ selon lequel l’agent ne bénéficie pas devant le juge administratif d’un procès équitable nécessite sa confrontation aux pratiques de la juridiction.

René Cassin, dont le nom est attaché à la déclaration universelle des Droits de l’Homme, vice-président du Conseil d’ Etat, président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, est à l’origine de la création, en 1953, des tribunaux administratifs.

S’agissant du traitement d’un litige dévolu à leur compétence juridictionnelle, l’idée même de suspicion d’absence d’équité paraît aventureuse.

La tentation primaire conduirait à s’égarer dans la subjectivité en évaluant le niveau de protection du droit du travail de la fonction publique et celui du secteur privé.
Mais la « travaillisation » du droit de la fonction publique (ordonnance du 19/01/2017) n’offre pas à l’agent et son employeur un procès équivalent à celui de son pendant prud’homal.
Une démarche méthodologique appropriée implique dès lors de se focaliser sur la procédure.

Un examen attentif du déroulement de l’instance, de sa durée, de la mise en œuvre de l’obligation d’impartialité et d’indépendance de la juridiction, via son rapporteur public et ses juges, complétera l’analyse.

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial »
art. 6- 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme

L’esprit cartésien remarque que le texte a pour unique objet le bénéfice d’une protection judiciaire. En cas de litige, chacun doit pouvoir s’adresser à un tribunal. Ce droit d’ester doit s’exercer librement et se matérialiser sans obstacles.

L’impartialité et l’indépendance du tribunal est la condition sine quoi non de la qualité de la justice, du droit à l’égalité des armes pendant le procès conclu dans un délai raisonnable.

L’indépendance repose sur l’appartenance du juge à un statut distinct qui rend sans fondement tout soupçon de partialité inhérent au lien de subordination avec les parties au procès.

Cette logique est-elle transposable à la situation du recours en plein contentieux « agent-administration » ? Son appréhension par la justice administrative apportera un éclairage sur les limites de cette garantie d’indépendance et d’impartialité.

S’assurer de l’équité des décisions de la juridiction administrative qui opposent l’agent public à son administration consiste à vérifier, par une sorte d’état des lieux approfondi, que toutes les obligations afférentes sont concrètement respectées.
Pour se faire, la lettre et le sens du texte européen sera opposé, aux fins de comparaison, à sa réalisation actuelle par les tribunaux statuant sur les litiges opposant salarié et employeur public.

La publicité des débats est un impératif de la convention ratifiée par la France. Chaque partie est entendue, a le droit de s’exprimer. Sa mise en œuvre est voulue effective. Elle sera observée au regard des constats de réalisation en audience.

Bien que la question des délais touche la juridiction administrative, comme nombre de juridictions de notre pays, son rapport à l’équité n’échappera pas à l’analyse.

Enfin, le droit à l’égalité des armes est la pierre angulaire de l’équité et non une invitation à s’accommoder des règles essentielles qui régissent la charge de la preuve. La procédure inquisitoire, présentée comme résultant de la volonté de rééquilibrer le rapport entre l’administration et la personne publique ne peut justifier la production d’effets contraires sans méconnaître cette garantie d’équité dont l’agent public doit bénéficier comme son employeur, l’administration.

Les pratiques du magistrat instructeur confrontés à ce type de litige se heurtent au principe de répartition de la charge de la preuve. Ses conséquences sur la justice rendue devront elles aussi être rapprochées de l’obligation d’équité.

I INDEPENDANCE ET IMPARTIALITE

L’indépendance et l’impartialité des juges sont deux piliers de notre système judiciaire.
L’édifice repose sur ces deux principes fondamentaux qui se complètent pour former le préalable indispensable à l’acte de justice, qui exclut toute pression et tout préjugé.
L’indépendance n’est pas, à elle seule, assurance d’impartialité. Elle y contribue en écartant l’appartenance ou le lien de subordination, source de suspicion.
L’impartialité se forge quant à elle sur l’absence de préjugé : la décision doit traduire la conviction induite du dossier, de son instruction, de l’argumentation en faits et en droit, motivée en dehors de tout élément extérieur susceptible de polluer l’examen objectif.

La problématique spécifique de l’indépendance des juges du contrat de travail :

La question de l’indépendance des juridictions est récurrente, en particulier lorsqu’elle aborde le sujet sensible de la relation employeur-salarié.

Les détracteurs de la prud’homie s’épanchent et s’apitoient faussement sur ces juges non professionnels dont la spécificité est d’avoir été choisis puis élus de par leur appartenance à des organisations de salariés ou patronales.

Ces dernières affichent ouvertement, assurer chacune, la défense des droits de leurs électeurs, voire une défense, au sens stricto sensu.

Selon la Convention Européenne des Droits de l’Homme, c’est le tribunal qui doit être indépendant et impartial afin de garantir un procès équitable, qu’il statue à juge unique, en formation collégiale ou paritaire.

Les juges naturels du contrat de travail, acteurs de rapports sociaux, sont élus par leurs pairs aux termes de la loi, en parfaite connaissance de leur appartenance et de leurs convictions, ce qui confère leur légitimité. Ils ont, comme les magistrats, des opinions personnelles. Ils prêtent serment. (art. D1442-11 du Code du Travail).

Cette légitimité a été consacrée puis confirmée par le droit positif en s’appuyant sur le caractère paritaire de chaque formation de conciliation, de référé et de jugement.

L’indépendance et l’impartialité à marche forcée des tribunaux administratifs :

Le droit administratif français applique la théorie anglo-saxonne de l’apparence :
« La justice ne doit pas seulement être édictée, elle doit donner le sentiment d’avoir été bien vendue ».

Trois autres critères sont repris par l’arrêt Campbell c/ Royaume Uni du 28/06/1984 : le mode de désignation du juge, la durée de son mandat et l’existence de garanties contre les pressions extérieures.

Les juges des cours et tribunaux administratifs sont généralement recrutés sur concours. Agents publics inamovibles, ils ne sont pas fonctionnaires et ne sont pas soumis à l’autorité d’un ministre. Depuis 1987, ils forment un corps unique et distinct.
Leur ancien statut n’a pu résister aux rappels à l’ordre de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Le Commissaire du Gouvernement est mort. Vive le rapporteur Public !

Communiqué de presse du Conseil d’Etat :

« L’appellation de Commissaire du Gouvernement était mal comprise...
La nouvelle appellation est apparue la plus simple pour exprimer l’essence de ce magistrat particulier qui appartient à la juridiction, mais qui, exposant son point de vue publiquement, ne saurait participer au délibéré....

Le titre ne laissera plus planer d’ambiguïté sur le rôle que joue ce magistrat dans la procédure administrative : le Commissaire du Gouvernement est en effet un membre de la juridiction qui procède à une étude approfondie du dossier, tout comme le rapporteur, et non une personnalité extérieure soumise au gouvernement, comme son nom pourrait le laisser supposer ».

Pour parachever la présentation, le Conseil d’Etat a détaillé le nouveau statut du rapporteur public (21/06/2013 n° 352427).

Selon l’article L. 7 du CJA, le rapporteur public expose publiquement, en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et les solutions qu’elles appellent.

L’article R 711-2 dispose que l’avis d’audience doit mentionner les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public.

Aux termes de l’article R 711-3, le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé des conclusions du rapporteur public.

Les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience (délai raisonnable), le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne. (site sagace). Cette communication a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique et d’y préparer, le cas échéant des observations énoncées après les conclusions du rapporteur public.

Enfin, le Conseil d’Etat souligne que l’exercice de la fonction de rapporteur public n’est pas soumis au principe du caractère contradictoire de procédure applicable à l’instruction. Le motivation du projet de décision ne doit pas être communiquée aux parties et à leurs conseils.

Les apparences semblent sauves depuis le 7 janvier 2009 (décret n° 2009-14) et les précisions apportées sur son rôle (R 732-1, R 733-1 du Code de Justice Administrative).

L’état des lieux depuis le décret :

Baptiser carpe le lapin n’a jamais changé l’herbivore en poisson.
Face à l’omniprésence de la notoriété de cet expert, ni juge, ni partie, la réalité de l’indépendance du tribunal administratif doit se mesurer aux effets de l’influence déterminante de ce membre de la juridiction sur les décisions du tribunal, la tenue des audiences et le respect du principe de la contradiction.
Certains commentateurs s’inquiètent de cette évolution : « les magistrats de chambre, évalués par leur hiérarchie, ont-ils réellement le choix de leurs décisions ? »

Le « rapporteur public influenceur » :

Le rapporteur public est présent à l’audience, expose les faits du litige et résume l’ensemble des arguments développés par les parties. Il propose à la formation de jugement la solution de droit qui lui paraît la plus appropriée et ne prend pas part au délibéré.

Cette figure emblématique de la juridiction administrative est annoncée comme gage de qualité et doit porter un regard neuf sur le dossier et limiter ainsi la marge d’erreur.
Son indépendance serait garantie par le fait qu’Il n’est pas nommé par le gouvernement, ni placé sous son autorité.

Il est cependant désigné par arrêté du vice-président du Conseil d’Etat pris sur proposition du Président de la République. Or, aux termes de l’article L 133-1 du Code de Justice Administrative, le vice-président du Conseil d’Etat est lui-même nommé par décret pris en conseil des ministres, sur proposition du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice.

Devant ces ambiguïtés et le rôle de conseiller du gouvernement qu’occupe le Conseil d’ Etat, l’allégation d’indépendance perd une partie de sa crédibilité.

Le principe du contradictoire malmené :

Le contradictoire symbole de loyauté, constitue le principe fondamental commun des procédures civiles, pénales et administratives.

Absent de la procédure administrative, la loyauté procédurale et son concept font quant à eux l’objet de controverses. Les publicistes se sont emparés du débat doctrinal et des préconisations de ses initiateurs : la justification des garanties propres apportées aux parties dans le procès administratif suffirait-elle à répondre aux exigences d’équité ?

La contradiction érigée par le Conseil d’ Etat en principe général du droit, est une importante traduction de la notion de procès équitable. Elle est exsangue d’application régulière devant les cours et tribunaux administratifs.

Alors que tout juge est tenu de veiller au respect du contradictoire, force est de constater que les prérogatives exclusives du superviseur, rapporteur public, rappelées par la nouvelle procédure administrative aménagée, rejaillissent inévitablement sur celles de la formation de jugement dans la conduite des débats.

La transmission de dernière heure par l’administration en cause est monnaie courante.
Sous la bienveillance du président, chacun se voit conseiller de limiter son intervention à de brèves observations après la présentation orale du projet de décision.

Il est incongru d’ébaucher une critique du raisonnement et de mettre en cause la qualité de l’instruction.

Dans ce contexte d’exclusivisme, les modifications de statut et les évolutions procédurales récentes sur la création d’une phase orale de l’instruction et d’une mise en état intermédiaire n’apparaissent pas suffisantes à convaincre le justiciable que la justice administrative a fait un pas significatif pour rétablir le caractère d’’impartialité et d’équité qui devrait l’animer et qui lui fait toujours défaut.

II UN DELAI DERAISONNABLE

« Le devoir des juges est de rendre la justice, leur métier est de la différer. Quelques- uns savent leur devoir et font leur métier ». (Jean de La Bruyère)

Cette reprise plus édulcorée d’un vieil adage populaire reflète bien la colère des justiciables face aux lenteurs d’une justice qui fonctionne mal.
Il existe cependant des raisons objectives qui imposent des délais allongés et qui relèvent du temps nécessaire du juge.

Ces temps d’attente et de recherches sont souvent les conditions préalables d’une justice de meilleure qualité. Une justice précipitée ne sauvegarde pas les droits de l’homme à un procès équitable.

Mais le rapport du temps entre les parties n’est pas le même. Il est insupportable pour celui qui n’est pas rempli de ses droits et doit attendre de très nombreux mois pour les faire reconnaître. Il est nettement plus acceptable pour celui qui les a méconnus, en particulier lorsqu’il s’agit de l’Etat, éternel mauvais payeur.

L’Etat multirécidiviste, proche du déni :

L’Etat français a été condamné des centaines de fois suite aux lenteurs de sa justice. Les retards considérables s’accumulent au point que nombre de décisions sont rendues alors qu’elles ne présentent plus d’intérêt et que l’on s’approche du déni de justice :

« Le déni de justice s’entend aussi de tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable, conformément à l’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

Quatre années entre la saisine de la cour d’appel et la convocation devant cette juridiction suivies d’une année pour le traitement de l’affaire elle-même, n’est pas un délai raisonnable, d’autant qu’il s’agit d’un litige du travail qui appelle une décision rapide. Ce délai anormal équivaut à un déni de justice en ce qu’il prive le justiciable de la protection juridictionnelle qu’il revient à l’état de lui assurer »

Arrêt remarquable de lucidité de la Cour d’Appel d’Amiens qui poursuit :

« En outre, rien ne permet de dire que le délai imposé à Hervé Debusschere avant sa convocation devant la juridiction du second degré serait imputable à une autre cause que l’encombrement chronique de cette juridiction. ».

L’Etat français, tenu de réparer le préjudice :

« Les Etats contractants, dont la France, doivent aussi organiser leur système judiciaire afin que les cours et tribunaux puissent remplir leur rôle avec efficacité et célérité, le caractère raisonnable de la durée d’une procédure devant s’apprécier au regard des circonstances et de la complexité de l’affaire, sans en compromettre la crédibilité ».

CDEH 24/10/1989 H. c/ France n° 10073/82
CDEH 25/02/1993 Dolbertin c/ France n° 13089/87 § 44
Les données officielles plus récentes mettent en lumière un allongement continu des délais ainsi qu’une propension de l’état à se faire condamner.

Les intervenants des journées régionales du droit du travail du 19/01/2000 ont mis en exergue l’obligation de l’état et le rapport direct entre durée raisonnable et équité.
(Philippe Waquet, Doyen, Conseiller à la Chambre sociale de la Cour de Cassation
Kléber Derouvroy, membre du Conseil Supérieur de la Prud’homie)

La jurisprudence du dépassement du délai raisonnable ;

Aux termes de l’article 141-1 du code de l’Organisation Judiciaire, l’état est tenu de réparer le dommage causé par les dysfonctionnements de la justice.
Le TGI de Paris estime qu’ « un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable. Une attente non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire (28/05/2018, 1ère ch. 1ère sect. N° 17/09544).

La Cour d’Appel de Paris considère qu’ « une durée excessive de jugement est à l’origine pour le justiciable d’un préjudice moral résultant du sentiment d’incertitude et d’anxiété anormalement prolongé qu’il a subi dans l’attente de voir sa situation appréciée (6/11/2018, pôle 2, ch. 1, n° 17/07921) Article du 26/02/2021, Maîtres Mariani et Lehnisch

Le traitement des litiges soumis à la juridiction administrative : quid des créances alimentaires ?

Les cours et tribunaux administratifs ne sont pas épargnés par le manque de personnel administratif, greffiers et juges.
Pour des raisons d’organisation, voire d’uniformisation des décisions, les contentieux opposant les agents à l’administration sont généralement dirigés vers la même chambre.
La nécessité d’un traitement plus rapide de ce litige du travail et des créances alimentaires en jeu n’est pas distinguée par ses juges.

III LA PROCEDURE INQUISITOIRE ET LA PREUVE

Le magistrat instructeur, maître à bord :

Après enregistrement de la requête au greffe, le président désigne un juge rapporteur en charge de l’instruction du dossier.
Ce dernier a pour mission de faire office d’intermédiaire dans la communication des pièces et mémoires. Il doit intervenir pour exiger des parties la production de certaines pièces et veiller au principe du contradictoire.
La technique de l’inquisition lui confère l’initiative de l’enquête qu’il dirige seul.

Le constat d’échec de la procédure d’instruction administrative :

La prise de conscience d’une procédure défaillante a incité les autorités à expérimenter, avant de décider de généraliser les procédures orales d’instruction aux juridictions administratives (décret n°2023-10 du 9/01/2023).
« La formation de jugement peut tenir une audience publique d’instruction au cours de laquelle les parties sont entendues sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile...
...Le président de la formation convoque les parties par un courrier qui fait état des questions susceptibles d’être évoquées. Peut également être convoquée toute personne dont l’audition paraît utile.
Les parties ou, si elles sont représentées, leurs représentants peuvent présenter des observations orales à l’audience d’instruction ».

Une audience facultative, à discrétion du président :

La solution adoptée avec le recul nécessaire, marque l’absence de volonté de bouger sensiblement les lignes d’une instruction au cours de laquelle le justiciable ne peut utilement participer à l’avancement de l’examen de son affaire.

L’oralité est source d’inflation d’écrits dont la trace est révélée par les notes du greffier qui les authentifie.

L’absence d’effectifs suffisants de greffiers et l’encombrement actuel de la juridiction administrative laisse présager que la gestion de la programmation ne subira pas de modification sensible, quelle que soit l’implication des présidents.

Le constat d’échec de la mise en état précédant l’expérimentation 2020-2022 n’a pas débouché sur une justice qui confère à ses magistrats le devoir d’instruire sur la base de règles constantes, fixes, respectant le droit d’expression orale et l’équité des conditions d’élaboration de la décision.

La charge de la preuve :

Le Code de justice administrative ne fixe aucune règle d’attribution de la charge de la preuve.

Ainsi, en contentieux administratif, alors que selon les grands principes de l’administration de la preuve, chaque partie doit prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions, le fardeau de la preuve repose en réalité, presque exclusivement sur le demandeur, et sur l’agent requérant dans les litiges nés à l’occasion du contrat de travail.

A ce stade, rappelons que l’interventionnisme du juge administratif trouve son origine dans la création de la juridiction : elle est à l’époque la contrepartie nécessaire de rééquilibrage de la situation respective des parties, qui est toujours inégalitaire dans un procès administratif impliquant une personne privée et une personne publique.
A fortiori, en présence d’une personne sous lien de subordination, la justice administrative se doit de peser sur le plateau de la balance du plus faible.

L’attitude du juge administratif : (D. Léger, Auditeur au Conseil d’Etat)

« ...D’une façon générale, il faut aussi déplorer le manque d’enthousiasme et le manque d’imagination que le juge marque dans l’utilisation des procédés de vérifications.

Trop souvent, soit par insuffisance de moyens, soit par habitude, il se contente de juger au vu des pièces... ».

« ...L’attitude du juge semble ne pouvoir être expliquée que par son souci de laisser dans certains domaines des pouvoirs plus larges à l’administration.

A cet effet, il peut faire peser tout le poids de la charge de la preuve sur le requérant et s’abstenir d’intervenir, ou bien se montrer plus exigeant sur l’importance et la qualité des commencements de preuve pour décider de participer à la recherche des preuves... ».

L’agent présumé rempli de ses droits :

Le rapporteur public et le juge suppléent l’administration et son inertie, en particulier dans les contentieux du travail.

Le bien-fondé de la demande repose trop souvent sur la seule reconnaissance en défense.

La juridiction administrative n’a pas vocation à interpréter l’absence d’observations du défendeur comme présomption de contestation.

La loi du silence n’induit pas le silence de la loi.

Un procès éloigné des attentes des agents justiciables :

Le justiciable attend du magistrat une motivation, des explications claires et exhaustives du rejet d’une demande instruite sans pré-conviction. Si tel est le cas, il admettra volontiers le débouté de celle-ci.

L’instruction, l’enquête, résultant du caractère inquisitoire de la procédure ont disparu au profit d’une simple mise en état longue et peu contrôlée alors que le litige et ses conséquences pécuniaires appellent une décision rapide.

L’audition du rapport supervisé dévoilé en audience publique sans possibilité de discussion traduit quant à lui le maintien d’un déséquilibre de l’approche judiciaire du procès, particulièrement celui opposant l’agent à l’administration.

IV. L’ETAT DE DROIT, L’AGENT PUBLIC ET L’ADMINISTRATION

Le concept juridique et politique d’état de droit suppose la prééminence du droit sur le pouvoir politique. La puissance publique doit se soumettre aux droits fondamentaux.
Si les ordres juridiques sont distincts les uns des autres, ils ont tous en commun un génome de base : le droit.

La justice doit primer sur toute approche exclusiviste ou partisane qui s’écarte du respect de l’équité.

Quand le souffle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dérange un peu trop la tranquillité de la juridiction administrative, celle-ci courbe le dos, mais ne rompt pas. Elle infléchit parfois ses règles et sa jurisprudence.

Changements de dénominations, oralité facultative, reflètent l’état des lieux d’une justice qui manque cruellement d’effectifs et ne se donne pas les moyens de garantir un service public de qualité qui garantit l’équité et l’impartialité.

Les conditions préalables édictées par la Cour Européenne sont d’autant moins remplies en présence de conflits nés à l’occasion du contrat de travail qui consacre lui-même un déséquilibre entre employeur et salarié (L 121-1 et L 121-11 du code de la Fonction Publique).

Ce dernier attend en vain la prise en considération de cette situation inégalitaire, affirmant à bon droit que l’agent ne s’adresse pas au tribunal administratif comme usager-utilisateur du service public, mais en qualité d’agent sous les ordres de l’administration.

La garantie du droit d’être entendu publiquement passe inévitablement par une phase d’instruction orale systématique et l’affectation de greffiers.
La garantie d’impartialité de la juridiction implique que le législateur s’interroge sur l’utilité de préserver la tutelle du commissaire du gouvernement désormais dénommé rapporteur public.

La garantie d’équité est incompatible avec l’exclusivisme. Elle découle d’une approche de la charge de la preuve appropriée au rapport salarié-employeur, des pouvoirs d’instruction mis en œuvre.

Le corollaire de cette évolution souhaitée est la formation des personnels de justice et la volonté d’appliquer sans réserve les garanties offertes aux justiciables par la convention européenne des droits de l’Homme.


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