Chronique ouvrière

A l’intention de ceux qui veulent lutter contre la précarité des emplois saisonniers

mardi 6 octobre 2009 par Claude LEVY

Argumentaire juridique à usage de lutte contre la précarité des emplois saisonniers

Le constat est renouvelé chaque année. Dans les régions ou zones dites « touristiques » la précarité touche la plus grande partie des travailleurs dits « saisonniers ».

Précarité quant au simple paiement du travail effectué, précarité quant au statut, précarité des conditions de travail et de logement.

On ne le redira jamais assez, il ne faut pas commencer à travailler sans la remise d’un contrat de travail en bonne et due forme. Ce contrat doit être accompagné du volet revenant au salarié de la déclaration préalable à l’embauche (article R1221-9 du Code de Travail).

Sans contrat de travail le travailleur saisonnier s’expose au risque de ne pas être payé (ou d’être sous payé), et de ne pas être déclaré.

Comment définit-on un emploi saisonnier ?

Le code du travail n’en donne pas de définition.
Pour la Cour de Cassation, le caractère saisonnier d’un emploi concerne des taches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs (Cassation sociale 5/12/2007 N°06-41313 en dernier lieu, définition reprise à l’article 14.2 de la convention collective nationale des Hôtels, cafés et restaurants non signée par la CGT).

La nature du contrat de travail.

L’emploi saisonnier ne doit pas être forcément pourvu par un contrat de travail à durée déterminée.

Selon l’article L1242-2 du Code de Travail, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tache précise et temporaire, y compris dans le cas d’un emploi à caractère saisonnier.

L’article L1242-1 dispose qu’un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Cette règle générale peut entraîner la qualification de contrat de travail à durée indéterminée d’un contrat saisonnier lorsque la durée d’emploi coïncide avec la durée de l’ouverture de l’entreprise.

Selon la Cour de Cassation le contrat saisonnier est utilisé pour pouvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise lorsqu’il est conclu pendant plusieurs saisons consécutives et il est requalifié par les juges en contrat à durée indéterminée (cassation sociale 22 janvier 1991 : la conclusion de deux contrats « saisonniers » correspondant à toute la durée d’ouverture de l’établissement - cinq mois par an - établit une relation de travail à durée indéterminée ; cassation sociale 6 juin 1991 ; contrat d’un chef de rang pour la saison correspondant à la période d’activité de l’établissement, le contrat est qualifié contrat à durée indéterminée).
Mais les contrats saisonniers successifs ne peuvent pas être requalifiés en contrat à durée indéterminée si le salarié saisonnier n’est pas employé pendant toute la période d’ouverture ou de fonctionnement de l’entreprise (cassation sociale 15 octobre 2002 n° 00-41.759 ; cassation sociale 16 novembre 2004 n° 02-46.777).

Ces deux dernières décisions sont critiquables en ce qu’elles permettent le détournement de la loi par l’embauche successive sur un même emploi de salariés sous contrat de travail à durée déterminée pour une même saison.

Si l’on peut rapporter la preuve de ce fait, par la demande, par exemple, de production du livre d’entrées sorties du personnel devant le Conseil de Prud’hommes, cette jurisprudence pourra être utilement combattue.

En matière d’emploi précaire c’est l’emploi qui compte et pas le contrat de travail (cf article L1242-1 précité).

En application de l’article L1244-2 du Code de Travail, l’article 14.2 de la convention collective des HCR prévoit que les contrats à caractère saisonnier peuvent comporter une clause de reconduction pour la saison suivante.

Cette disposition ne saurait faire obstacle à l’esprit de la loi qui fait du CDD l’exception et du CDI la règle, principe illustré par la jurisprudence ci-dessus.

Le même article 14.2 dispose dans son dernier alinéa que les contrats saisonniers conclus pendant 3 années consécutives et couvrant toute la période d’ouverture de l’établissement pourront être considérés comme établissant avec le salarié une relation de travail d’une durée indéterminée sur la base des périodes travaillées.

Les mêmes réserves sont exprimées concernant cette disposition s’il peut être rapporté la preuve de la succession de contrats à durée déterminée pour un emploi permanent durant toute la période d’ouverture de l’entreprise.

Le contrat saisonnier à durée déterminée.

Il bénéficie de la majorité des règles applicables aux contrats de travail à durée déterminée.
Le contrat de travail doit être écrit et comporter la définition précise de son motif.

A défaut il est réputé conclu pour une durée indéterminée (article L1242-12 du Code de Travail) et non plus simplement présumé comme avant la loi du 12 juillet 1990, ce qui signifie que l’employeur n’est pas admis à rapporter la preuve contraire de la qualification de contrat de travail à durée indéterminée.

Il est transmis au plus tard dans les 2 jours ouvrables suivant l’embauche.
La Cour de Cassation a édicté que le non respect de ce délai est substantiel et entraîne également la requalification d’office en CDI (cassation sociale 17/06/2005 n° 03-42596).

On conseillera au saisonnier, pour rendre effective cette règle, de toujours apposer la date du jour avant la signature du contrat.

Doivent être également précisés plusieurs éléments visés à l’article L1242-12 dont l’omission dans le cas du contrat saisonnier n’entraînera pas d’office la requalification en contrat de travail à durée indéterminée.

L’article L1242-7 précise que le CDD s’il ne comporte pas un terme fixé avec précision dès sa conclusion doit être conclu pour une durée minimale.
L’article 14.2 de la CCN des HCR stipule une durée minimale d’un mois et une durée maximale de 9 mois pour la CDD saisonnier, à l’intérieur de laquelle un renouvellement est possible s’il a été prévu dans le contrat initial (article L1243-13 du Code de Travail).
Là aussi si le contrat conclu avec un terme imprécis ne comporte de durée minimale il est réputé conclu pour une durée indéterminée (cassation sociale 28/09/2005 n° 03-4475).

Attention, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu pour 2 motifs différents. Dans ce cas il est requalifié en CDI car l’exigence du motif précis pour recourir au CDD n’est plus respecté (cassation sociale 23/01/2008 n° 06-41536).
Par exemple un CDD motivé par son caractère saisonnier et un surcroît d’activité sera requalifié en CDI.

La requalification du CDD saisonnier sera également prononcée lorsque la relation contractuelle se poursuit après l’échéance du terme du CDD (article L1243-11 du Code de Travail) ou au-delà de la limite maximale de 9 mois, même si ultérieurement (plus de 2 jours ouvrables après) un nouveau CDD est signé (cassation sociale 20/09/2006 n° 04-43068).

D’où l’importance de conseiller au travailleur saisonnier de faire précéder la signature du contrat ou de son renouvellement de la date du jour.

La période d’essai

Le contrat saisonnier peut prévoir une période d’essai mais ce n’est pas obligatoire. Elle doit être obligatoirement prévue sur le contrat.
Elle ne peut être supérieure à un jour par semaine de contrat, dans la limite de 2 semaines pour les contrats dont la durée est au plus égale à 6 mois, et d’un mois dans les autres cas (contrats de plus de 6 mois à 9 mois).

Rupture du CDD saisonnier.

Le CDD saisonnier ne peut être rompu (sauf pendant la période d’essai et sous réserve d’abus de droit ou du respect de la protection de certaines catégories de salariés tels que les accidentés du travail, les salariées en état de grossesse, les conseillers du salarié, les conseillers prud’hommes etc…etc…) que dans des cas bien précis (articles L1243-1 et L1243-2 du Code de Travail) :

  • accord (écrit) clair et non équivoque entre employeur et salarié
  • faute grave
  • force majeure (incendie, cataclysme naturel)
  • salarié justifiant d’une embauche en CDI

En dehors de ces hypothèses la rupture par l’employeur du contrat avant son terme ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’à la fin du contrat.

Le salarié qui rompt son contrat s’expose, lui, en dehors de ces cas, à devoir verser des dommages et intérêts à son employeur correspondant au préjudice subi.
Tel ne sera pas le cas si l’employeur a commis une faute grave dans l’exécution du contrat de travail, tel que non paiement des salaires, dépassement des durées maximales de travail autorisées, conditions de travail et d’hygiène déplorables etc. etc..
Une mise en demeure préalable par lettre RAR est fortement conseillée.

L’employeur ne peut cependant se faire justice à lui-même en ne payant pas au salarié le salaire lui restant dû et l’indemnité des congés payés.

Requalification du CDD saisonnier en CDI

La marche à suivre est donnée par l’article L1245-2 du Code de Travail.
Le Conseil de Prud’hommes est compétent et l’affaire est portée directement en bureau du jugement. Lorsqu’il est fait droit à la demande de requalification, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire à la charge de l’employeur est accordée au salarié, sans préjudice des dispositions relatives aux règles de rupture du CDI.

Si le contrat à durée déterminée requalifié est rompu à l’échéance du terme pour « fin de CDD », en l’absence de respect d’une procédure de licenciement avec envoi d’une lettre de rupture motivée, le licenciement est réputé abusif et irrégulier.

Il en est de même en cas d’absence de conclusion d’un nouveau contrat pour la saison suivante ou de modification unilatérale du contrat initial (cassation sociale 1/02/2000 n° 97-41304).

Le salarié est alors en droit d’obtenir :

  • une indemnité de préavis de 8 jours si moins de 6 mois d’ancienneté, 1 mois si plus de 6 mois, 2 mois si plus de 2 ans et congés payés incidents (article 30 CCN HCR),
  • une indemnité de licenciement de 1/5e de mois à partir d’une année d’ancienneté (+2/15ème au-delà de 10 ans),
  • une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement si le travailleur saisonnier a moins de 2 ans d’ancienneté et travaille dans une entreprise de moins de 10 salariés (article L1235-5 du Code de Travail),
  • des dommages et intérêts pour rupture abusive évalués en fonction du préjudice subi si le travailleur saisonnier a moins de 2 ans d’ancienneté et travaille dans une entreprise de moins de 11 salariés, article L1235-5 du Code de Travail, dans ce cas le cumul avec l’indemnité pour non respect de la procédure de licenciement est possible (cassation sociale 28/01/1998 n° 95-43914),
  • une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à un minimum de 6 mois de salaires si le travailleur saisonnier a plus de 2 ans d’ancienneté et travaille dans une entreprise d’au moins 11 salariés (article L1235-3 du Code de Travail), dans ce cas pas de cumul possible avec l’indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,
  • une indemnité pour licenciement nul, égale à un minimum de 6 mois de salaire si fin de CDD requalifié en CDI d’un salarié quelle que soit son ancienneté et la taille de l’entreprise, victime d’un accident du travail, qui a déclaré son état de grossesse 15 jours au plus tard après la fin du CDD , d’un conseiller du salarié, d’un conseiller prud’hommes, d’un assesseur au tribunal des affaires sociales, etc…etc.., qui ne souhaite pas réintégrer l’entreprise [(en sus des dommages et intérêts pour violation de la période de protection, des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement , cassation sociale 23/01/2008 n° : 06-42919)], ou sa réintégration recommandée pour une entreprise où existe une structure syndicale susceptible de le soutenir (le plus souvent dans les établissements ouverts toute l’année avec des pics saisonniers).

L’égalité de traitement

Au-delà de la nécessité pour l’employeur de respecter la règle à travail égal salaire égal entre travailleurs saisonniers sous contrat de travail à durée déterminée, l’article L1242-15 du Code de Travail fait obligation à l’employeur de verser au salarié sous CDD saisonnier une rémunération équivalente à celle d’un salarié en CDI de qualification professionnelle équivalente et occupant les mêmes fonctions (disposition concernant essentiellement les établissements ouverts toute l’année mais avec une forte variation saisonnière). Cette rémunération est constitué selon l’article L3221-3 du salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et de tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement en espèces ou en nature au salarié.

L’union locale ou le syndicat multi professionnel qui souhaiterait mener une action de grande envergure contre la précarité des emplois saisonniers pourra également faire valoir devant les tribunaux répressifs (tribunal de police et correctionnel) les dispositions relatives aux sanctions pénales réservées aux infractions sur la législation des CDD visées aux articles L1248-1 à L1248-11 du Code de Travail.

Article L1248-1
- Le fait de conclure un contrat de travail à durée déterminée qui a pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, en méconnaissance de l’Article L1242 1, est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-2
- Le fait de conclure un contrat de travail à durée déterminée pour un objet autre que celui prévu au premier alinéa de l’Article L1242 2 ou en dehors des cas prévus à ce même article et à l’Article L1242 3 est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-3
- Le fait de méconnaître les dispositions des articles L. 1242 5 et L. 1242 6, relatives aux interdictions en matière de conclusion de contrat de travail à durée déterminée, est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-4
- Le fait de conclure un contrat de travail à durée déterminée ne comportant pas un terme fixé avec précision dès sa conclusion, en méconnaissance de l’Article L1242 7, est puni d’une amende de 3 750 €.
Le fait pour l’employeur de conclure un tel contrat sans fixer de durée minimale, lorsqu’il ne comporte pas de terme précis, est puni de la même peine.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-5
- Le fait de méconnaître les dispositions de l’Article L1242 8, relatives à la durée du contrat de travail à durée déterminée, est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-6
- Le fait de ne pas établir par écrit le contrat de travail à durée déterminée et de ne pas y faire figurer la définition précise de son motif, en méconnaissance du premier alinéa de l’Article L1242 12, est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-7
- Le fait de ne pas transmettre au salarié le contrat de travail à durée déterminée au plus tard dans les deux jours suivant l’embauche en méconnaissance de l’Article L1242 13 est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-8
- Le fait de verser au salarié titulaire d’un contrat de travail à durée déterminée une rémunération inférieure au montant de la rémunération que percevrait dans la même entreprise, après période d’essai, un salarié bénéficiant d’un contrat de travail à durée indéterminée de qualification professionnelle équivalente et occupant les mêmes fonctions en méconnaissance de l’Article L1242 15 est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-9
- Le fait de méconnaître les dispositions de l’Article L1243 12, relatives à la prorogation du contrat de travail à durée déterminée d’un salarié exposé à des rayonnements ionisants, est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-10
- Le fait de renouveler le contrat de travail à durée déterminée en méconnaissance de l’Article L1243 13 est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Article L1248-11
- Le fait de méconnaître les dispositions de l’Article L1244 3, relatives à la succession de contrats sur un même poste, est puni d’une amende de 3 750 €.
La récidive est punie d’une amende de 7 500 € et d’un emprisonnement de six mois.

Comme on l’a vu nos structures ne sont pas démunies pour lutter contre la précarité des emplois saisonniers.
Se posera la question des moyens à mettre en œuvre pour mener une action efficace, tant syndicale que juridique, ces deux modes d’action étant parfaitement complémentaires.


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