L’entretien préalable doit permettre une défense utile du salarié menacé de licenciement
L’article L. 1232-2 (ancien article L.122-14) du Code du Travail fait obligation à l’employeur qui envisage de licencier un salarié de le convoquer, avant toute décision, à un entretien préalable.
Cet entretien doit être proposé aussi bien au salarié « ordinaire » qu’au salarié « protégé » par l’exercice d’un mandat représentatif.
Lorsque l’inspecteur du travail est saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié investi d’un mandat représentatif, il doit vérifier que l’employeur a bien convoqué l’intéressé à un entretien préalable et qu’il lui a indiqué, au cours de cet entretien, les motifs de son licenciement. Le Conseil d’Etat considère que si l’entretien préalable n’a pas pu porter sur les motifs de la décision envisagée, la procédure prévue par les dispositions légales instituant cet entretien préalable a été méconnue et qu’en conséquence, il ne peut être légitimement délivré à l’employeur l’autorisation de procéder au licenciement [1]. Pour le juge administratif, en effet, le respect de la procédure constitue un élément de la légalité interne de l’autorisation administrative de licenciement [2]. Et le juge administratif est particulièrement attentif à ce que ne soit pas méconnu le principe qui affirme la nécessité d’une procédure contradictoire avant l’intervention d’une décision individuelle. « La procédure contradictoire doit être respectée avant la prise de décision individuelle, même sans texte, selon le principe général dégagé par l’arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier. Le principe a été étendu à toute mesure, même ne présentant pas le caractère de sanction, « prise en considération de la personne » ». [3]
Il a été précisé par un arrêt du Conseil d’Etat du 20 mars 2009 que le non respect du délai de cinq jours, prévu par les dispositions légales, qui doit s’écouler entre la notification de la convocation à l’entretien et le déroulement de la rencontre entre l’employeur et le salarié dont le licenciement est envisagé doit conduire l’administration du travail à opposer un refus à la demande d’autorisation de licenciement du salarié investi d’un mandat représentatif [4]. Cet arrêt a été remarqué comme s’inscrivant dans la continuité d’une jurisprudence administrative ancienne qui retient le caractère substantiel des règles de procédure en matière de licenciement des représentants du personnel « en se fondant sur une double considération : « une formalité est réputée substantielle si elle peut avoir une influence sur le sens de la décision à prendre, ou bien si elle constitue une garantie pour les intéressés », de sorte que sa méconnaissance entache la légalité de la décision administrative » [5]. Le Conseil d’Etat a ici suivi les conclusions de son rapporteur public qui considérait que, dès lors que le délai de cinq jours ouvrables avait été méconnu, l’autorité administrative ne pouvait légalement autoriser le licenciement sans qu’il y ait lieu pour elle de rechercher si, dans les faits, « la méconnaissance de ce délai a fait obstacle à une défense utile » [6].
Cette préoccupation de voir l’entretien préalable permettre une défense utile du salarié menacé de licenciement a été présentée comme ayant été au cœur de la réforme du droit du licenciement opérée par la loi de 1973. « Le salarié doit pouvoir s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés. Comme l’a très justement rappelé une cour d’appel : « En instituant l’entretien préalable au licenciement et en exigent qu’au cours de cet entretien l’employeur fasse connaître les causes du licenciement envisagé, le législateur a voulu permettre au salarié de se défendre utilement contre une mesure très grave puisque mettant en cause ses moyens d’existence ». [7]
Seulement, en ce qui concerne le salarié « ordinaire » (c’est-à-dire non titulaire d’un mandat représentatif), jusqu’à présent, la Cour de Cassation, se montrant moins en osmose avec l’esprit de la loi de 1973 que le Conseil d’Etat, ne donne pas toute sa pleine portée à l’exigence d’une « défense utile ». Il a été souligné qu’ « on peut considérer que l’indication des motifs au cours de l’entretien préparatoire, parce qu’elle est légalement obligatoire, doit lier l’employeur et lui interdire d’invoquer ensuite une autre justification du licenciement ; on ajoutera que cette solution est la seule qui assure la protection du salarié à laquelle tend la formalité de l’entretien préalable » [8]. Mais la Chambre Sociale considère que l’employeur peut invoquer devant le juge des griefs autres que ceux indiqués lors de l’entretien préalable [9]. Le défaut d’indication, au cours de l’entretien préalable, du motif retenu dans la lettre de licenciement est seulement sanctionné comme une irrégularité de forme [10].
La sanction préconisée par la Cour de Cassation envers l’employeur qui n’a pas indiqué au cours de l’entretien préalable au salarié « ordinaire » le motif qui sera finalement inscrit dans la lettre de licenciement ne convainc pas. Que le salarié soit ou non titulaire d’un mandat représentatif, la solution devrait être harmonisée dans le sens de la reconnaissance du droit du salarié à ne pas être licencié tant qu’il n’a pas été mis en mesure de préparer et de présenter une défense utile au cours de l’entretien préalable, en se voyant donner les moyens de discuter du ou des motifs que l’employeur compte retenir pour justifier la mesure privative de l’emploi.
Le non respect des dispositions légales visant à permettre une défense utile [11] constitue moins une simple irrégularité de forme qu’une violation des droits de la défense. Et la privation de la liberté de la défense est certainement de nature à justifier l’intervention du juge des référés prud’homal.
I. Le non respect des dispositions légales visant à permettre un bon déroulement de l’entretien préalable : une simple irrégularité de forme ?
Jusqu’à présent, la Cour de Cassation se refuse à sanctionner sévèrement l’employeur qui n’a pas respecté les obligations voulues par la loi concernant le déroulement de l’entretien préalable.
« L’absence d’entretien préalable ne saurait avoir pour effet de priver la cause du licenciement de son caractère réel et sérieux » [12]. « L’inobservation des formalités préalables au licenciement d’un salarié non protégé ne prive pas d’efficacité la rupture du contrat de travail » [13] . « La circonstance que le grief énoncé dans la lettre de licenciement n’ a pas été indiqué au salarié lors de l’entretien préalable caractérise une irrégularité de forme qui n’empêche pas le juge de décider que ce grief peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ». [14]
L’employeur est donc considéré comme justifiant d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, même si le motif inscrit dans la lettre de licenciement n’a pas été porté à la connaissance de l’intéressé au cours de l’entretien préalable. L’absence d’invocation de ce motif ne saurait être assimilée à son inexistence. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas été invité à en discuter au cours de l’entretien prévu par la loi que le salarié ne s’est pas rendu coupable du fait constitutif d’une cause de licenciement. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour de Cassation, l’employeur peut seulement se voir reprocher une « irrégularité de forme », qui ne prive pas de légitimité le licenciement.
Cette présentation de l’entretien préalable comme une simple « formalité » semble quelque peu réductrice, surtout depuis l’intervention de la loi du 2 août 1989. Le non respect des règles concernant l’entretien préalable constitue moins une « irrégularité de forme » qu’une « irrégularité de procédure ».
En 1989, le législateur a entendu que tous les licenciements pour motif personnel, quels que soient les effectifs de l’entreprise, l’ancienneté du salarié ou la nature de la cause personnelle du licenciement, soient concernés par l’obligation pour l’employeur d’une convocation à un entretien préalable [15]. Il n’y avait pas de raisons que la circonstance qu’un salarié ait peu d’ancienneté ou travaille dans une « petite boîte » le prive de la garantie d’un entretien préalable. Et pour que cet entretien ne soit pas une simple « formalité », voyant l’employeur lever la séance aussitôt après avoir sèchement notifié le ou les motifs du licenciement envisagé, cette même loi du 2 août 1989 a mis en place un « conseiller du salarié » [16] pour aider le salarié à construire sa défense dans les entreprises dépourvues de représentants du personnel.
Nous sommes manifestement en présence d’une préoccupation du législateur de permettre à tout salarié menacé de licenciement de préparer et de présenter une défense utile. Il paraît donc curieux d’admettre que l’employeur qui a privé d’emploi un salarié sans lui avoir permis de s’expliquer préalablement sur le ou les motifs qui sont ensuite retenus dans la lettre de licenciement puisse s’en sortir par une condamnation maximale au versement d’un mois de salaire.
Si l’on a bien compris la logique de l’entretien préalable, un bon déroulement de celui-ci est de nature à permettre éventuellement le maintien dans l’emploi. Il n’est pas a priori exclu que les explications fournies par le salarié sur le ou les motifs avancés par l’employeur puissent être suffisamment éclairantes ou convaincantes pour conduire l’employeur à revenir sur son projet de licenciement. Tout le monde sait que le héros du Code du Travail, c’est l’employeur « de bonne foi ». Au moment de l’entretien préalable, il n’a pas arrêté sa décision. C’est seulement deux jours ouvrables au plus tôt après la date prévue de l’entretien qu’est prise la décision d’exclusion avec l’expédition du courrier énonçant le ou les motifs du licenciement. [17]
Priver le salarié d’une discussion sur le motif susceptible de justifier le licenciement, c’est tout simplement lui enlever la « chance » de conserver son emploi grâce à des explications lui permettant de se défendre utilement.
Et il ne peut qu’être relevé que la lecture des dispositions de l’article L. 1235-2 du Code du Travail, qui prévoient que « si le licenciement d’un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue… », met en évidence l’absurdité de l’assimilation de l’entretien préalable à une simple formalité. Quel sens cela aurait-il d’imposer à l’employeur, qui aurait licencié un salarié, pour une cause réelle et sérieuse, sans avoir préalablement respecté les règles concernant l’entretien préalable, d’accomplir la procédure en reconvoquant à l’entretien préalable et en indiquant au cours de l’entretien les motifs d’un licenciement déjà validé comme intervenu pour une cause réelle et sérieuse ? La parole du salarié serait sans aucun effet et, par voie de conséquence, devenue inutile. Mais un entretien préalable où le salarié reste muet ne correspond pas à ce qui a été prévu par le législateur. Ce qui a suscité le constat que « l’utilité de la reprise de la procédure n’apparaissant pas », les juges ont renoncé, même quand la possibilité leur est légalement reconnue, à l’imposer à l’employeur. [18]
Il faut appeler les choses par leur nom. L’entretien préalable perd toute sa raison d’être si les droits de la défense ne sont pas garantis au salarié dont le licenciement est envisagé par l’employeur [19]. L’absence d’indication au cours de l’entretien préalable du motif qui va être finalement retenu pour justifier le licenciement enlève tout son sens à l’entretien préalable. Le salarié menacé de licenciement se trouve alors privé de la possibilité de se défendre utilement et de tenter de convaincre que le motif avancé par l’employeur n’est pas de nature à rendre inéluctable l’exclusion de l’entreprise, en démontrant que le motif repose sur des faits en définitive non établis ou qu’ils ne sauraient mériter, si l’on est sensible à l’exigence de proportionnalité, une mesure de licenciement.
En n’indiquant pas au salarié, au cours de l’entretien préalable, le motif finalement inscrit dans la lettre de rupture, l’employeur ne s’affranchit pas du respect d’une simple formalité, il méconnaît totalement les droits de la défense du salarié menacé de licenciement. Ce qui est de nature à justifier une intervention judiciaire rapide et efficace.
II. La préservation des droits de la défense peut conduire à l’intervention du juge des référés prud’homal.
Par un arrêt du 29 juin 1978, la Cour de Cassation a censuré une décision ordonnant la réintégration immédiate dans leurs emplois de salariés qui avaient été licenciés sans avoir été invités à un entretien préalable, après avoir posé le principe que « la seule méconnaissance des formalités préalables au licenciement ne peut entraîner l’obligation de réintégrer et que la réintégration ne peut être proposée et non imposée qu’en cas d’absence de cause réelle et sérieuse de rupture » [20].
Mais la question n’est pas de savoir si l’employeur qui méconnaît les droits de la défense en ne respectant pas les dispositions concernant l’entretien préalable justifie ou non d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il s’agit, pour le juge des référés prud’homal, de préserver les droits de la défense du salarié menacé de licenciement en prenant, à titre provisoire, une mesure permettant de sanctionner l’employeur qui a eu un comportement constitutif d’un trouble manifestement illicite en ne permettant pas une défense utile permettant d’échapper au licenciement.
Les dispositions de l’article R. 1455-6 du Code du Travail donnent à la formation de référé le pouvoir de prescrire les mesures de remise en état qui s’imposent pour « faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Le « trouble illicite » est défini comme celui qui est causé « par un comportement contraire à la loi entendue au sens large, c’est-à-dire à l’ordre public, à un principe général du droit, à la loi ou au règlement même non assortis de sanctions pénales, au contrat de travail, à la convention collective, à un usage établi » [21]. Il ne saurait dès lors être sérieusement contesté que la violation par l’employeur du respect des droits de la défense et des dispositions légales concernant l’entretien préalable au licenciement est constitutive d’un trouble manifestement illicite.
Le juge des référés prud’homal est habilité à intervenir pour que la procédure de l’entretien préalable reprenne tout son sens. Il a le pouvoir d’ordonner la poursuite du contrat de travail du salarié éjecté sans avoir pu s’expliquer sur le motif retenu pour le licencier, jusqu’à ce que l’employeur ait repris la procédure de licenciement en permettant à l’intéressé de se défendre utilement. Le juge des référés exercerait ici le pouvoir d’ordonner « la réfection d’une procédure non conforme » en ordonnant « tant la suspension des effets d’une décision manifestement illicite que la réintégration provisoire d’un salarié privé de la possibilité d’exécuter sa prestation de travail par une décision manifestement illicite de son employeur » [22].
Le 9 janvier 1990, la voie a été ouverte par la formation de référé du Conseil de Prud’hommes de Vire qui a ordonné la remise des parties en l’état où elles se trouvaient avant l’envoi d’une lettre notifiant un licenciement intervenu sans qu’ait été organisé un entretien préalable [23]. Les référistes prud’homaux qui sauront la retrouver rejoindront au sommet la cordée composée par les juges du Conseil d’Etat, qui ont montré à plusieurs reprises qu’ils savent tirer les conséquences logiques du comportement de l’employeur qui n’a pas permis à celui est menacé de licenciement de présenter utilement sa défense.
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[1] CE 19 mars 2008, Coette, Dr. Soc. 2008, 1001.
[2] « Si cette procédure n’a pas été respectée, le contenu de l’autorisation n’est pas conforme à la légalité, ses motifs sont illégaux » (voir M.C. ROUAULT et F. DUQUESNE, « Droits de la défense et légalité interne de la décision d’autorisation de licenciement », Dr. Soc. 2008, 1000).
[3] M.C. ROUAULT et F. DUQUESNE, art. préc., 1000.
[4] CE 20 mars 2009, Société Armor, Dr. Soc. 2009, 720.
[5] M. GREVY, « Licenciement des représentants du personnel : le caractère substantiel des règles de procédure », Revue de Droit du Travail 2009, 457.
[6] Voir Y. STRUILLOU, « Procédure de licenciement des salariés protégés », Dr. Soc. 2009, 714.
[7] Voir J. LE GOFF, Droit du travail et société, tome I, Presses Universitaires de Rennes, 2001, 844.
[8] Voir G. COUTURIER, « Rupture du contrat. Licenciement individuel. Exigences de forme », Jurisclasseur Travail, Fasc. 30-30, (7).
[9] Voir, par exemple, Cass. Soc. 13 décembre 1979, D. 1981, jurisprudence, 26, note M.J. BRISSIER-NICOLAS ; Cass. Soc. 8 novembre 1982, D. 1983, jurisprudence, 304, note J. MOULY.
[10] Voir, dans ce sens, Cass. Soc. 14 novembre 1985, Bull., V, n° 538.
[11] Art. L. 1232-3 C. trav. : « Au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ».
[12] Cass. Soc. 16 décembre 1987, n° 85-41758.
[13] Cass. Soc. 24 janvier 1990, Bull., V, n° 27.
[14] Cass. Soc. 28 mai 1997, Bull., V, n° 196 ; Cass. Soc. 28 juin 2000, RJS 9-10/00, n° 927.
[15] Voir J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, Droit du travail, 24e éd., Dalloz, 571.
[16] Voir J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, op. cit., 573.
[17] Art. L. 1232-6 C. trav.
[18] Voir D. CORRIGNAN-CARSIN, « L’entretien préalable au licenciement », RJS 8-9/97, 591.
[19] Voir, dans ce sens, F. DUQUESNE, « Les droits de la défense du salarié menacé de licenciement », Dr. soc. 1993, 847 et s.
[20] Cass. Soc. 29 juin 1978, Dr. Soc. 1979, 291.
[21] Voir J. BUFFET, « Conseils de prud’hommes. Formation de référé », Jurisclasseur Procédure Civile, Fasc. 438, (12).
[22] Voir E. WAGNER, « La violation d’une règle légale impérative par l’employeur (à propos de la réintégration des salariés ordinaires) », Dr. Ouv. 1995, 366 et s.
[23] CPH Vire (référé), 9 janvier 1990, Dr. Ouv. 1990, 358.
Pascal MOUSSY
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