Chronique ouvrière

On a le droit de manifester...
en dehors de son temps de travail !

mercredi 15 août 2007 par Pascal MOUSSY

Décision :

Cour de Cassation
Chambre sociale
Audience publique du 23 mai 2007
N° de pourvoi : 05-41374

Publié au bulletin

Président : M. BOURET conseiller

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L 120-2 et L 122-40 du code du travail ;

Attendu que M. X... employé de la société Autoroutes du Sud de la France en qualité de receveur péager, a fait l’objet le 29 juillet 2003 d’un licenciement disciplinaire pour avoir participé à une manifestation piétonne le 22 mai 2003 sur l’autoroute du Sud ;

Attendu que pour dire justifié le licenciement, l’arrêt énonce qu’en l’espèce, M. X... a, le 22 mai 2003, alors qu’il était en repos, participé à une manifestation qui avait pour objet de protester contre la loi de décentralisation et la réforme des retraites et qui devait consister en un blocage de la gare de péage de Perpignan Nord, et ajoute que M. X... ne pouvait ignorer que les conditions d’envahissement de la voie constituaient une violation des règles les plus élémentaires de sécurité et avait ainsi conscience des risques majeurs encourus tant par les usagers de l’autoroute que par les manifestants ; que sa participation à un tel envahissement des voies, générateur d’un trouble caractérisé au sein de l’entreprise, constitue dès lors un fait fautif qui légitime la mesure de licenciement intervenue ;

Qu’en statuant ainsi, en se bornant à constater le trouble créé dans l’entreprise par la participation du salarié à une manifestation publique, sans caractériser en quoi, compte tenu de la fonction du salarié et de la nature de l’entreprise, la seule relation du travail pouvait justifier l’interdiction par l’employeur d’exercer une liberté collective en dehors du temps de travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté M. X... de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt rendu le 19 janvier 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;

Condanme la société Autoroutes du Sud de la France aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille sept.

Décision attaquée :cour d’appel de Montpellier (chambre sociale) 2005-01-19

Commentaire :

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler que, pendant un temps de pause, les salariés sont libres de vaquer à leurs occupations personnelles sans avoir à rendre compte à leur employeur quant à l’emploi qu’ils avaient fait de ce temps libre.

L’employeur quelque peu dictateur rappelé à l’ordre par la Cour de Cassation, en l’occurrence la Société Renault, prétendait ici faire l’emploi du temps de la pause de ses salariés, en leur expliquant que le temps de pause « est destiné à assurer un repos, une détente aux salariés » et qu’il n’était pas question pour eux, sous peine d’être privé d’une partie de leur salaire, de le consacrer à élaborer des revendications salariales (voir Cass. Soc. 18 décembre 2001,
Dr. Ouv. 2004, 286).

Dans la présente espèce, un autre employeur s’intéressant aux voitures, les Autoroutes du Sud de la France, entendait également poser comme principe que le temps de repos ne doit pas être consacré à l’exercice des libertés collectives. Les Autoroutes du Sud de la France procédait au licenciement disciplinaire d’un de ses receveurs péagers qui avait participé à une manifestation piétonne sur l’autoroute du Sud… alors qu’il était en repos.

La Cour de Cassation reproche à la Cour d’Appel d’avoir conclu au caractère justifié du licenciement, après avoir considéré que la participation du salarié mis en cause à l’envahissement des voies de la gare de péage de Perpignan Nord avait généré un trouble caractérisé au sein de l’entreprise.

En effet, l’article L.120-2 du Code du Travail, visé par la Cour de Cassation, dispose qu’il ne saurait être apporté aux libertés collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

On pourrait comprendre qu’il soit exigé du receveur péager, à moins qu’il soit gréviste, qu’il n’abandonne pas son poste de travail pour aller se dégourdir les jambes en se joignant aux manifestants envahissant la gare de péage. (Encore que le dommage causé à l’entreprise par « l’abandon de poste » serait loin d’être caractérisé. Si le péage est bloqué, il n’y a pas d’argent à faire rentrer…).

Mais, en dehors de son temps de travail, le receveur péager était libre d’aller et de venir, notamment sur un lieu qui était moins ici son lieu de travail qu’un lieu ouvert à un public venant exercer son droit de manifestation contre de néfastes mesures initiées par le gouvernement.


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