Prud’homie : institution à l’agonie ?
Ces derniers temps, on a beaucoup parlé des prud’hommes, comme le dernier rempart contre la délinquance patronale.
La médiatisation de certaines affaires, telle la décision rendue à Longjumeau, qui a permis de venir à bout du CNE, ainsi que les licenciements consécutifs à la dégradation de la situation économique, ont popularisé la juridiction du travail.
Pourtant, l’institution ne s’est jamais portée aussi mal.
Ses ennemis sont actifs, tant à l’extérieur (I) qu’au sein même des Conseils (II).
I) L’environnement politique
La gratuité de l’accès à la justice prud’homale subit une première entrave en 2004, par l’imposition du ministère d’un avocat à la Cour de Cassation [1], ainsi qu’une grave atteinte au principe de faveur [2].
Puis, l’ordonnance de 2007, relative à la réécriture du code du travail [3], amorça la baisse constante des droits du salarié.
La situation se dégrada encore en mai 2008, avec la suppression de plusieurs Conseils dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.
La promulgation du décret du 16 juin 2008, relatif à l’indemnisation des conseillers prud’hommes, eut pour effet de remplacer un mode de fonctionnement simple : prise en charge financière du temps réel passé aux activités prud’homales, par un autre, complexe et injuste.
En postulant que tout conseiller est un fraudeur, le décret a fixé unilatéralement les durées maximales indemnisables et supprimé certains travaux du bénéfice de l’indemnisation (renvois et radiations motivées, signatures de jugement [4]).
Le remboursement des frais de transport est limité et les frais de repas sont mis en intégralité à la charge du conseiller. Quant au nombre d’heures attribuées aux réunions, il est tellement restreint que la plupart se font sur le temps libre des intéressés (BAR, réunion de présidents...).
C’est ainsi que le travail dissimulé fut introduit par les pouvoirs publics au sein du tribunal du travail !
Enfin, la loi du 29 juillet 2011, applicable au 1er octobre, de finances rectificative a instauré une contribution de 35 €, à charge de la partie qui introduit une instance [5].
L’avenir n’est guère plus rose puisqu’est annoncée la remise en cause des élections prud’homales au suffrage universel [6]. A cette effet, le mandat actuel est prolongé de 2 ans, jusqu’en 2015.
Il n’échappe à personne que toutes les mesures prises par les gouvernements successifs depuis 2004, ont pour effet, sinon pour objet, de limiter l’accès à la justice des salariés maltraités.
Malheureusement, cette politique des pouvoirs publics reçoit un écho favorable au sein des Conseils.
II) L’ennemi de l’intérieur
La parité, grand principe censé garantir l’impartialité de cette institution, n’est plus que de façade :
Le taux horaire des vacations réglées aux conseillers du collège salarié est de 7,10 €, tandis que les conseillers du collège employeur en activité perçoivent 14, 20 € de l’heure [7] ;
C’est ainsi que la loi impose une discrimination en raison de la position sociale au sein du tribunal du travail !
Les vacations sont réglées avec plusieurs mois de retard aux conseillers du collège salarié, car priorité est donnée au remboursement des salaires maintenus aux entreprises, quelle que soit la taille de celles-ci ;
Les conseillers employeurs sont formés par leurs syndicats bien plus sur les mandats impératifs que sur le droit du travail. C’est ainsi qu’il est devenu extrêmement difficile d’obtenir : un montant d’article 700 qui ne soit pas ridicule, l’exécution provisoire, l’astreinte, la nomination de conseillers rapporteurs, des quantum corrects, la condamnation à des sommes supérieures à 6 chiffres, le différé du délibéré..., et que le taux de départages explose ;
Les juges départiteurs, surmenés, tendent à lutter contre cette surcharge de travail ; malheureusement, pour ce faire, quelques uns d’entre eux prennent des mesures néfastes aux demandeurs, qui sont en majorité les salariés : en cas de débouté, condamnations reconventionnelles à des sommes parfois exorbitantes au titre de l’article 700, résistance à exercer les pouvoirs du bureau de conciliation [8], condamnations des employeurs à minima au nom de la morale [9] ... ;
Chez les organisations de salariés également, des attitudes dommageables à l’intérêt collectif sont à déplorer : guerre entre syndicats [10], gestion autoritariste des conseillers par des UD [11], sur un schéma semblable à celui de l’entreprise, professionnalisation des conseillers prud’hommes par cumul du mandat avec diverses fonctions syndicales (DP, DS, CHSCT...), cumul de fonctions au sein du Conseil.
Force est de constater, qu’au Conseil de Prud’hommes comme ailleurs, l’influence du patronat ne fait que s’accroitre.
Il est indispensable que travailleurs et travailleuses, principales victimes de ces mesures, s’emparent de la prud’homie et y insufflent l’esprit démocratique, seul capable de permettre une opposition efficace à l’ennemi de classe qu’est, plus que jamais, le grand patronat.
Annexe 1 : Richard ABAUZIT, "Casse du code du travail, la fin du boulot".
Annexe 2 : synthèse de la réunion du CSP du 25 février 2010.
Annexe 3 : CPH Paris, ordonnance du Bureau de conciliation du 1er septembre 2011.
[1] Requêtes de Jérémy CAVECIN et Claude PERRAUD par Marie Laure DUFRESNES-CASTET
[2] Article L.2252-1 du code du travail
[3] Casse du code du travail par Richard ABAUZIT : annexe 1.
[4] Sauf dans le cas où le jugement est rédigé par un assesseur.
[5] Droit en liberté n°13
[6] Synthèse de la réunion du CSP du 25 février 2010 : annexe 2.
[7] Article D.1423-57 du code du travail
[8] Décision du bureau de conciliation, en formation de départage, du Conseil de Prud’hommes de Paris, prononcée le 1er septembre 2011 : annexe 3.
[9] Les intermittents du spectacle, par exemple, censés "profiter du système"
[10] A Paris, les syndicats SUD et UNSA sont exclus de l’accord de gestion par les 5 confédérations
[11] Désignation unilatérale par des UD des coordinateurs et des candidatures aux présidences dans les Conseils, en vue des élections annuelles de type bananières