L’ANI du 11 janvier 2013 : un accord signé par les « chiens de garde » de la flexibilité
L’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » (annexe 1) a été salué par un journaliste érudit en matière sociale comme « historique » par son « contenu ». « En signant un texte qui, en échange d’un surplus de flexibilité, au demeurant encadrée, apporte des protections nouvelles aux salariés, la CFDT, la CFTC, et la CFE-CGC assument les risques d’une réforme du marché du travail. En réhabilitant le compromis, ils ouvrent ainsi une nouvelle page dans l’histoire des relations sociales ». [1]
Le nouveau boss de la CFDT, une des organisations syndicales signataires de l’accord, après avoir insisté sur le fait qu’il n’avait pas à « s’excuser » sur le fait « d’avoir encadré la flexibilité dans les entreprises, qui aujourd’hui est à la fois sauvage et omniprésente » a expliqué simplement en quoi l’accord était « équilibré », voire « ambitieux ». « Il ne résulte pas d’un troc, mais marque une nouvelle articulation entre l’économique et le social dans l’entreprise et sur le marché du travail. En ce sens, il perturbe certains repères. Dans une période de crise, les partenaires sociaux ont su se mettre d’accord sur un compromis structurant à moyen terme. C’est nouveau pour le dialogue social ». [2]
Un juriste patronal, plus brièvement, a salué une « victoire politique ». [3]
L’ANI a été présenté comme s’inscrivant « entre flexibilité et sécurisation de l’emploi » [4] , comme un accord qui prévoit « de nouveaux droits pour les salariés » et qui met à la disposition des entreprises « de nouveaux outils de flexibilité ». [5]
L’exposé des motifs du projet de loi qui a pris le relais de l’accord a précisé que la « sécurisation de l’emploi » n’est pas un « échange » entre « flexibilité pour les entreprises » et « sécurité pour les entreprises » mais qu’il s’agit de « l’affirmation d’un nouvel équilibre où l’un et l’autre des acteurs gagne en sécurité sans perdre en capacité d’adaptation et de mobilité ». « C’est l’enjeu central : mieux anticiper, pouvoir s’adapter plus tôt, plus rapidement, dans la sécurité juridique, mais le faire de façon négociée, pour préserver l’emploi et au moyen de nouveaux droits pour le salarié, droits individuels et droits collectifs. C’est ainsi que notre compétitivité se renforce en même temps que chacun devient moins vulnérable, dans le fil du combat historique pour l’amélioration du sort des travailleurs ». [6]
L’optimisation des conditions de la compétitivité et le renforcement des droits des travailleurs sont donc vivement invités à convoler. Ce qui nous rappelle ceux qui, depuis longtemps, font campagne pour l’association entre le capital et le travail.
La mise en œuvre de la flexibilité suppose « d’ajuster des paramètres » - pour reprendre les termes de l’ANI – tels que la durée du travail, l’organisation du temps de travail, les éléments de la rémunération ou la mobilité du salarié. On ne saurait exclure l’hypothèse qu’un salarié, aveuglé par la défense de ses intérêts individuels, en l’occurrence le maintien de son niveau de rémunération ou la préservation de ses conditions de travail, oppose un refus à la révision de sa situation permise par l’accord collectif. La « démocratie sociale » va le conduire sur le chemin d’un licenciement, dont les signataires de l’ANI ont entendu faire reconnaître la légitimité du seul fait de la signature syndicale (I). Les promoteurs de l’ANI ont beaucoup communiqué sur les « droits nouveaux » résultant de l’accord, notamment en faveur des salariés à temps partiel. Une lecture attentive du texte permet de constater que les syndicats signataires ont donné leur pleine adhésion à un dispositif qui organise les modalités de la soumission du travailleur précaire. En définitive, ils se sont moins attachés à jouer le rôle de défenseur de ses droits que celui de contremaître (II).
I. Une volonté affirmée de faire consacrer la signature syndicale comme critère essentiel de la légitimité des ajustements voulus par la flexibilité.
Le titre III de l’ANI prévoit des dispositions destinées à « donner aux entreprises les moyens de s’adapter aux problèmes conjoncturels et de préserver l’emploi ». Il comporte notamment un article 18 consacré à des « accords de maintien de l’emploi », dont le dispositif est minutieusement détaillé dans une annexe à l’accord
(voir notre annexe 2).
L’essentiel de ce nouveau droit des « accords de maintien de l’emploi » tient dans les dispositions suivantes.
« Pour faire face à des difficultés, prévisibles ou déjà présentes, susceptibles de mettre en danger l’emploi et/ou la survie de l’entreprise, il peut être conclu des accords de maintien de l’emploi pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.
Une entreprise doit en effet avoir, dans de telles circonstances, la possibilité, lorsque l’analyse de la situation est partagée par les partenaires sociaux, de prendre des mesures temporaires destinées à passer une période difficile en préservant l’emploi ».
« L’accord conclu avec des délégués syndicaux doit être signé par une ou plusieurs organisations ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés au 1er tour des précédentes élections professionnelles (titulaires).
L’accord conclu avec un ou plusieurs salariés ayant reçu délégation d’une organisation syndicale représentative doit être approuvé par les salariés compris dans le champ de l’accord, à la majorité des suffrages exprimés. Les modalités de cette consultation devront être précisées dans l’accord ».
« Il s’agit, dans le cadre d’une négociation globale durée du travail / salaires / emploi, d’ajuster des paramètres tels que ci-après :
durée du travail, organisation du temps de travail,
éléments de rémunération.
En contrepartie de l’application de ces ajustements, l’employeur s’engage à maintenir dans l’emploi les salariés auxquels ils s’appliquent, pour une durée au moins égale à celle de l’accord ».
« L’accord ne peut pas déroger aux éléments de l’ordre public social, tels que, notamment, le Smic, la durée légale, les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires, le repos quotidien et hebdomadaire, les congés payés, la législation relative au 1er mai.
Il devra par ailleurs respecter les dispositions des accords de branche, auxquels, en application de l’article L. 2253-3 du code du travail, il n’est pas possible de déroger par accord d’entreprise ». [7]
« Les négociations doivent prendre en compte les contraintes d’ordre privé que peuvent supporter les salariés ».
Parmi les mesures préconisées par l’ANI pour « renforcer l’information des salariés sur les perspectives et les choix stratégiques de l’entreprise pour renforcer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » figure la « mobilité interne », qui fait l’objet de l’article 15 de l’accord.
« La mobilité interne s’entend de la mise en œuvre des mesures collectives d’organisation courantes dans l’entreprise, ne comportant pas de réduction d’effectifs et se traduisant notamment par des changements de poste ou de lieux de travail au sein de la même entreprise.
L’organisation de cette mobilité interne fait l’objet, dans les entreprises dotées de délégués syndicaux, d’une négociation triennale.
Dans les entreprises assujetties à l’article L. 2242-15 du code du travail, [8] elle intervient dans le cadre de la négociation prévue audit article.
La négociation prévue ci-dessus doit porter sur les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Elle comporte notamment :
les mesures d’accompagnement à la mobilité des salariés, en particulier en termes
de formation et d’aides à la mobilité géographique ;
les limites imposées à cette mobilité au-delà de la zone géographique de son
emploi, telle qu’également précisée par l’accord,
des dispositions visant à prendre en compte la conciliation de la vie professionnelle
et de la vie familiale.
Les mobilités envisagées ne peuvent en aucun cas entraîner une diminution de niveau de rémunération ou de la classification professionnelle du salarié, et doivent garantir le maintien ou l’amélioration de sa qualification professionnelle ».
Les mesures prévues par « l’accord de maintien dans l’emploi » ou mises en œuvre au titre de la « mobilité interne » sont susceptibles d’entraîner une remise en cause d’un ou plusieurs éléments essentiels du contrat de travail du salarié. Celui-ci peut accepter ou refuser la révision des conditions du contrat le liant à son employeur.
En cas de refus, l’ANI ouvre très explicitement la voie du licenciement et s’attache, dans l’hypothèse d’un refus du salarié de voir sa situation remise en cause par un « accord de maintien dans l’emploi », à présenter la signature syndicale comme le critère essentiel de la légitimité de l’exclusion de l’entreprise.
A. Une tentative de procéder à l’exclusion du contrôle judicaire.
Dans l’annexe de l’ANI « relatif aux accords de maintien de l’emploi », figure un article 7 consacré à l’ » articulation de l’accord de maintien dans l’emploi et des contrats de travail ».
Le premier alinéa de cet article indique que « bien que s’imposant au contrat de travail, l’accord de maintien dans l’emploi requiert néanmoins l’accord individuel du salarié, pour l’application de ses dispositions se substituant à celles de son contrat suspendues par ledit accord ».
Mais le défaut d’accord individuel ne permet pas au salarié d’obtenir le maintien en état de sa situation contractuelle.
Il est en effet précisé par le troisième alinéa de l’article 7 qu’ « en cas de refus du salarié des mesures prévues par l’accord, la rupture de son contrat de travail qui en résulte s’analyse en un licenciement économique dont la cause réelle et sérieuse est attestée par l’accord précité ».
Cette disposition a été remarquée.
Il a été relevé qu’elle est tout simplement contraire aux articles 8 et 9 de la convention OIT n° 158 « concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur ». [9]
Il résulte des dispositions des articles 8 de la convention internationale qu’ « un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal, un tribunal du travail, une commission d’arbitrage ou un arbitre ».
L’article 9 prévoit que « les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié ».
Cette remise en cause par les signataires de l’ANI du droit du travailleur licencié à saisir un juge qui puisse se prononcer en toute indépendance sur le caractère justifié du licenciement était tellement flagrante qu’elle n’a pas été reprise par les rédacteurs du texte du projet de loi qui s’est inscrit dans le prolongement de l’accord.
Le projet de loi relatif à « la sécurisation de l’emploi » se contente de poser le principe que le licenciement du salarié qui refuse l’application de l’accord du maintien dans l’emploi à son contrat de travail est un licenciement pour motif économique sans évoquer la cause réelle et sérieuse d’un tel licenciement. [10]
La signature syndicale n’est finalement pas admise comme le critère exclusif de la légitimité de l’exclusion de l’entreprise du salarié qui n’entend pas adhérer à la baisse de sa rémunération ou à la dégradation de ses conditions de travail permise par l’accord. Le juge prud’homal garde le pouvoir de se prononcer sur la réalité des « graves difficultés conjoncturelles » à l’origine des mesures mises en œuvre par l’accord de maintien dans l’emploi ainsi que sur le caractère proportionné du licenciement du salarié qui entend préserver les moyens de sa survie économique et ses conditions de travail.
Si un syndicat signataire d’un accord de maintien dans l’emploi s’estime frustré de ne pas avoir pu faire reconnaître son hégémonie dans l’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié réfractaire, il peut encore, pour se consoler, intervenir pour tenter de peser dans le débat judiciaire.
L’article L. 2132-3 du Code du travail lui offre la possibilité d’intervenir en justice pour obtenir le dédommagement du préjudice direct ou indirect ou indirect causé à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.
Il ne lui reste qu’à intervenir dans le procès prud’homal, aux côtés de l’employeur, pour obtenir la condamnation au versement de dommages et intérêts du salarié qui, par son refus, fait obstacle à l’application du beau dispositif mis en place au nom de l’intérêt collectif par l’accord du maintien dans l’emploi.
C’est un vraiment un mauvais procès que de traiter de réformiste le syndicat capable [11] d’une telle révolution.
B. Un accord qui ouvre la voie du licenciement du salarié inapte à comprendre les vertus de la mobilité.
L’article 15 de l’ANI envisage le sort du salarié qui refuserait d’accepter la « mobilité interne » prévue par l’accord issue de la négociation triennale.
« Le refus par un salarié d’une modification de son contrat proposée dans les conditions définies au présent article n’entraîne pas son licenciement pour motif économique. Il s’agit d’un licenciement pour motif personnel ouvrant droit à des mesures de reclassement telles qu’un bilan de compétence ou un abondement du compte personnel de formation ».
Il ressort de ces dispositions que le licenciement consécutif au refus du salarié de participer à la « mobilité interne » organisée par l’accord collectif est un licenciement pour « motif personnel » qui ne rentre pas dans le champ disciplinaire. [12] Un salarié licencié pour faute ne se verrait pas proposer des mesures de « reclassement » (en admettant que méritent l’appellation de « mesures de reclassement » l’établissement d’un bilan de compétences ou l’abondement du compte personnel de formation).
Les termes avec lesquels l’ANI envisage le traitement du refus du salarié d’adhérer à la « mobilité interne » font penser à un ersatz du régime proposé à celui qui fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude.
Le principe est posé que le salarié qui manifeste son incapacité à comprendre la nécessité de la mobilité ne peut plus rester dans son emploi. Mais il a néanmoins droit à un minimum de sollicitude, via le bilan de compétences ou le compte personnel de formation…
Cette manière de traiter le cas du salarié réfractaire à la mobilité a été reprise par l’avant-projet de loi qui a pris le relais de l’ANI. [13]
Mais, à la suite de l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur cette question, [14] le projet de loi récemment présenté a dépersonnalisé le licenciement consécutif au refus de la « mobilité interne » et l’a défini comme un licenciement pour motif économique ouvrant droit à des « mesures d’accompagnement ». [15]
Ce qui a pour mérite de ne pas mettre en cause la personne du salarié qui reste insensible aux vertus de la mobilité, à défaut de se préoccuper de chercher à lui garantir la sécurité d’un emploi dans l’entreprise.
II. Un accord qui contribue à la soumission du travailleur précaire.
L’ANI du 11 janvier 2013 a été salué comme apportant de « nouveaux droits » pour les salariés.
L’intitulé de son titre I est particulièrement prometteur : « Créer de nouveaux droits pour les salariés afin de sécuriser les parcours professionnels ».
Parmi ces « nouveaux droits », ceux des travailleurs à temps partiel, qui font l’objet de l’article 11 de l’accord, ont été mis en exergue. Il a notamment été souligné que les salariés à temps partiel peuvent exiger de l’employeur, en sus d’une durée minimale de 24 heures hebdomadaires, une rémunération majorée de l’heure complémentaire dès la première heure.
Une lecture attentive du texte de l’accord permet de faire ressortir que ce « nouveau droit » à la majoration de l’heure complémentaire n’est pas véritablement garanti, pouvant être remis en cause par une « négociation » individuelle.
Il sera aussi relevé que l’article 22 de l’ANI, compris dans le titre IV, qui s’attache à « développer l’emploi en adaptant la forme du contrat de travail à l’activité économique de l’entreprise », permet dans certains cas le « recours direct au contrat de travail intermittent », réhabilitant ainsi l’ancien contrat à temps partiel annualisé mis en place par la loi Giraud du 20 décembre 1993, vivement critiqué à l’époque par tous ceux qui sont attentifs à la préservation d’un minimum de considération du salarié.
A. Les nouvelles modalités conventionnelles de mise en œuvre du droit de l’employeur à exiger du salarié à temps partiel une disponibilité à bon marché.
L’article 11 de l’ANI, consacré au « travail à temps partiel », pose le principe, assorti de quelques dérogations, que la durée minimale d’activité du salarié à temps partiel est fixée à 24 heures par semaine (à l’exception du cas des salariés des particuliers employeurs ou des salariés âgés de moins de 26 ans et poursuivant leurs études).
Il indique également que les heures complémentaires sont majorées de 10 % jusqu’à ce que leur nombre atteigne le 1/10ème de la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail prévue au contrat et qu’au-delà, la majoration est portée à 25 %.
Mais l’article 11, en créant le « complément d’heures », offre à l’employeur de faire travailler le salarié à temps partiel au-delà de la durée prévue au contrat sans avoir nécessairement à payer la majoration désormais prévue pour l’heure complémentaire.
Le subterfuge a été dévoilé sur le site de l’US CGT Commerce et Services de Paris. [16]
Il se présente de la manière suivante.
« Un accord de branche étendu peut permettre, lorsque le salarié et l’employeur en conviennent, d’augmenter temporairement la durée du travail au moyen d’un avenant au contrat de travail intitulé « complément d’heures ».
Un accord de branche détermine :
le taux de majoration éventuelle des heures incluses dans le « complément
d’heures » ;
les conditions dans lesquelles les heures effectuées au-delà de la durée de travail
définie par le complément d’heures » ont le caractère complémentaires ;
le taux de majoration des heures complémentaires, qui ne peut être inférieur à
25% dès la première heure ;
le nombre maximum de « complément d’heures » par an et par salarié, qui ne peut
en aucun cas être supérieur à huit, hors cas de remplacement d’un salarié absent
nommément désigné ;
les modalités selon lesquelles les salariés à temps partiel peuvent bénéficier
prioritairement des « compléments d’heures » ».
Le salarié à temps partiel, à qui il est proposé d’effectuer un nombre d’heures supérieur à celui prévu au contrat initial, n’a donc aucune certitude de voir les heures effectuées en complément faire l’objet d’une rémunération majorée.
Le projet de loi présenté dans la continuité de l’accord ne donne pas plus de garantie. Il indique que la convention ou l’accord de branche étendu « peut prévoir » la majoration des heures effectuées dans le cadre de l’avenant conclu au titre du « complément d’heures ».
On peut raisonnablement penser que cette indication d’une possibilité et non d’une obligation de majoration de la rémunération n’est pas sans signification et qu’un nombre non négligeable d’accords de branche feront en sorte que le « complément d’heures » ne se traduisent pas par l’obligation pour l’employeur de payer plus cher le temps de travail demandé en plus faisant l’objet de l’avenant.
On peut également prédire, sans trop risquer de se tromper, que c’est l’employeur qui aura la plupart du temps l’initiative du « complément d’heures » permettant l’augmentation temporaire de la durée du travail du salarié à temps partiel et que c’est lui donnera le tempo de la disponibilité attendue du salarié restant toujours à bon marché.
B. Un « remake » du travail au sifflet.
Le « contrat de travail intermittent », créé par une ordonnance du 11 août 1986, est un contrat de travail très particulier.
Ce contrat, qui prévoit une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées permet à l’employeur, pendant les périodes non travaillées, de ne pas être débiteur de l’obligation de verser un salaire à celui avec lequel il reste lié par un contrat.
Mais il n’est pas envisageable pour celui qui est sans travail pendant cette période d’être pris en charge par l’assurance chômage. Etant titulaire d’un contrat de travail, il ne saurait être légalement assimilé à un « demandeur d’emploi »… si, pendant la période d’inactivité, le travailleur rencontre un autre employeur, sa situation n’est pas vraiment critique. Mais s’il n’en trouve pas, il aura un statut peu enviable de salarié n’ayant pas droit à un salaire. (La circonstance que le Code du travail admette pour le titulaire du contrat intermittent un mécanisme de « lissage » du salaire, permettant de recevoir chaque mois de l’année une fiche de paye affichant un solde créditeur, ne fait pas disparaître le fait que la somme mensuellement versée correspond à un douzième de la rémunération annuelle du temps effectivement travaillé). En d’autres termes, si un travailleur intermittent travaille 6 mois sur 12, il percevra sur 12 mois une somme correspondant à 6 mois de travail…
L’ordonnance du 11 août 1986 a précisé que le contrat intermittent ne peut valablement intervenir que s’il a été préalablement autorisé par un accord collectif. Il appartient alors au(x) syndicat(s) représentatifs de peser le pour et le contre avant de signer un accord autorisant le contrat de travail intermittent.
La loi Giraud du 20 décembre 1993 va prolonger le mouvement en supprimant le contrat intermittent mais en créant le contrat à temps partiel annualisé.
Le mécanisme du contrat intermittent est repris, mais il n’est plus besoin, avant de proposer au salarié une alternance de périodes travaillée et de périodes non travaillées, de passer par la négociation collective. Le contrat à temps partiel annualisé peut être proposé, même s’il n’a pas été préalablement autorisé par un accord collectif.
Ce nouveau contrat a été perçu comme étant vraiment « tout bénéf » pour l’employeur. « Ce système extrêmement souple risque de transformer le travail à temps partiel au travail « au sifflet » dans lequel le salarié doit se tenir à la disposition de l’employeur tout au long de l’année, avec éventuellement des périodes de forte activité rémunérées au taux normal et des moments d’inoccupation. Les seules garanties sont celles prévues par son contrat et cette forme de souplesse n’est subordonnée à aucune contrepartie. On peut alors se demander si le contrat de travail à temps partiel ne va pas devenir l’exemple même du contrat précaire ». [17]
Pour enrayer un certain nombre de « dérives » encouragées par le régime du temps du temps partiel annualisé, l’article 12 de la loi Aubry du 19 janvier 2000 a abrogé le contrat à temps partiel annualisé et a remis en place le contrat intermittent.
Il a été alors souligné par les nouvelles dispositions légales que le contrat de travail intermittent devrait être prévu par un accord collectif définissant les emplois permanents, comportant par nature une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées, susceptibles d’être pourvus par un tel contrat.
Vu le caractère très spécial et très dérogatoire du contrat de travail intermittent, il est apparu au moins indispensable que les syndicats représentatifs de salariés (en tout cas au moins certains d’entre eux) donnent leur accord sur le caractère « naturel » des emplois pouvant accueillir le contrat particulièrement précaire.
Et les juges se sont montrés particulièrement attentifs à ce soit respectée l’obligation de soumettre préalablement à la conclusion d’un accord collectif la liste des emplois pouvant être pourvus par un contrat intermittent. En l’absence de l’habilitation conventionnelle, le salarié est fondé à demander la requalification du contrat de travail intermittent en un contrat de travail à temps complet et à obtenir le rappel de salaire correspondant aux périodes dites « non travaillées ». [18]
Apparemment, des employeurs de choc considèrent comme une perte de temps ce détour par la négociation collective. Ils ont donc proposé et obtenu des signataires de l’ANI que l’on essaye de revenir au « travail au sifflet » sans discussion préalable inutile.
L’article 22 de l’ANI se propose « d’expérimenter le contrat de travail intermittent » dans les termes suivants : « Sans préjudice des accords collectifs existants, les parties signataires conviennent de l’ouverture, à titre expérimental, aux entreprises de moins de 50 salariés des secteurs mentionnés au présent accord, d’un recours direct au contrat de travail intermittent (défini aux articles L. 3123-31 à L. 3123-37 du code du travail) après information des délégués du personnel, afin de pourvoir des emplois permanents comportant, par nature, une alternance de périodes travaillées et non travaillées ».
L’annexe à l’article 22 de l’ANI (voir notre annexe 3) indique que les salariés des organismes de formation (à l’exception des salariés formateurs en langue), du commerce des articles de sport et équipements de loisirs et des chocolatiers auront les joies de la découverte d’une « expérimentation » qui n’est en fait, comme il l’a été relevé sur le site de la CGT [19], que le retour de ce bon vieux contrat à temps partiel annualisé.
Les rédacteurs du projet de loi relatif à « la sécurisation de l’emploi » n’y ont rien trouvé à redire. Il ressort de la lecture du texte récemment présenté à l’Assemblée nationale que, jusqu’au 31 décembre 2014, des contrats de travail intermittents peuvent être conclus en l’absence de convention ou d’accord collectif, l’employeur jugeant lui-même du caractère intermittent de l’emploi concerné par ce contrat. [20]
On ne saurait mieux dire que la forme du contrat du travail est ici adaptée aux desiderata de l’employeur.
* *
*
Il est incontestable qu’avec la signature de l’ANI du 11 janvier 2013, « la partie patronale a progressé ». [21]
Le ministre du Travail, Michel SAPIN, a préféré nier cette évidence et vanter l’accord comme « un accélérateur à la création d’emplois » (sans trop s’attarder sur le contenu de ces emplois). Il a insisté sur le fait que, selon lui, « l’accord est majoritaire selon la législation actuelle » et qu’ « il a donc toute sa légitimité juridique et politique ». [22]
Revenons un peu sur cette notion « d’accord majoritaire », qui est notamment mise en valeur en ce qui concerne la signature des « accords de maintien dans l’emploi » qui permettent à l’employeur, pendant la durée de vie de l’accord collectif, d’utiliser encore à meilleur prix la force du travail du salarié.
Pour être valide, « l’accord de maintien dans l’emploi » devrait être signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 50 % des suffrages au 1er tour des élections des titulaires du CE ou de la DUP, ou à défaut des DP. En l’absence de DS, l’accord pourrait être conclu par des représentants élus du personnel ou, à défaut, par des salariés, expressément mandatés par une organisation représentative dans la branche ou au niveau national interprofessionnel. Dans ce cas, pouvoir entrer en vigueur, l’accord devrait avoir été approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés. [23]
Ce qui suscite plusieurs observations.
Lorsque « l’accord de maintien dans l’emploi » est signé par des délégués syndicaux (ou par un seul délégué, si le syndicat signataire est hégémonique dans l’entreprise), les élections qui ont permis de mesurer la représentativité ont pu avoir eu lieu à une période bien antérieure à celle qui a vu la naissance de l’accord. Il est loin d’être acquis que par leur vote en faveur des candidats présentés par le ou le syndicats signataires, les salariés aient entendu adhérer aux mesures mises en œuvre par « l’accord de maintien dans l’emploi ».
Même si la loi ne lui en fait pas l’obligation, il est bien sûr tout à fait possible au syndicat désireux de conclure l’accord de soumettre son projet de signature à la consultation démocratique des salariés. On peut raisonnablement penser qu’il va alors chercher à convaincre des vertus de l’accord. Le syndicat sera également amené à faire campagne pour « l’accord de maintien dans l’emploi » s’il ne dispose pas de délégué syndical dans l’entreprise et s’il entend mandater un salarié pour signer l’accord. Le syndicat aura alors à cœur de persuader qu’il faut faire confiance à l’employeur qui s’engage à sauver l’emploi au prix de quelques mesures plus rigoureuses pour les salariés.
Certains ont peut-être encore présents à l’esprit l’exemple de la société Continental qui a obtenu en septembre 2007 la signature d’un accord collectif prévoyant une augmentation de la durée du travail pour sauver l’usine de Clairoix… dont la fermeture a été annoncée le 11 mars 2009. Une récente (et remarquée) décision du Tribunal administratif d’Amiens a souligné que ladite société Continental était mal venue à se plaindre de menaces pour sa compétitivité. [24]
Il vaut peut-être mieux y regarder à deux fois avant de militer pour la parole du patron.
Plus fondamentalement, ce qui pose problème, du point de vue de la mission de « défense des droits ainsi des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels » [25] dévolue au syndicat, c’est l’adhésion partagée de tous les signataires de l’ANI à la flexibilité.
Nous vivons aujourd’hui une curieuse époque, qui voit le contrat de travail proposé comme rempart contre les méfaits des accords collectifs demandant au salarié une adaptation excessive. Ce qui permet à des auteurs de sensibilité patronale d’écrire, goguenards : « il paraît curieux de considérer plus protecteurs pour le travailleur les termes d’un contrat de travail négocié en tête à tête par un demandeur d’emploi avec son potentiel futur employeur que ceux d’un accord collectif négocié par les partenaires sociaux et donc, concernant les salariés, par des représentants protégés » [26].
Cette ironie ne sera plus de mise lorsque le contenu des accords collectifs sera celui d’accords de fin de conflits, qui entérineront des augmentations de salaire et des améliorations des conditions de travail obtenues par les actions menées par des travailleurs convaincus que ce n’est pas la docilité qui détermine leurs droits.
La noblesse du mouvement ouvrier ne réside pas dans la rapidité avec laquelle certains de ses représentants accourent pour signer des accords consacrant la flexibilité. Les travailleurs de l’île de la Martinique nous ont offert une belle expression. Lorsqu’ils décident de faire grève pour se défendre face aux patrons, ils « se mettent debout ».
Annexes :
Ce même article "L’ANI du 11 janvier 2013 : un accord signé par les « chiens de garde » de la flexibilité" au format Adobe Acrobat Reader (.pdf) à télécharger, consulter et/ou imprimer :
[1] M. NOBLECOURT, « La démocratie sociale en pratique », Le Monde du 17 janvier 2013.
[2] L. BERGER, « Je n’ai pas à m’excuser… », Le Monde du 19 janvier 2013.
[3] P-H. ANTONMATTEI, « Les zones d’ombre juridique de l’Ani du 11 janvier 2013 », Semaine sociale Lamy
n° 1750 du 4 février 2013, 2.
[4] Semaine sociale Lamy n° 1568 du 21 janvier 2013, 3.
[5] Liaisons sociales n° 16263 du 15 janvier 2013.
[7] Art. 2253-3 C. trav. : « En matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et de la mutualisation des fonds de la formation professionnelle, une convention ou un accord d’entreprise ne peut comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branches ou accords professionnels ou interprofessionnels ».
[8] Il s’agit de la négociation triennale sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
[9] Voir N. MOIZARD, « Des mises à l’écart flagrantes du droit international et européen », Semaine sociale Lamy n° 1569 du 28 janvier 2013, 12 ; « L »Ani du 11 janvier 2013 à l’ombre du droit », (débat entre P. LOKIEC et G.LOISEAU), Semaine sociale Lamy n° 1569 du 28 janvier 2013, 3).
[10] Voir Liaisons sociales n° 16300 du 7 mars 2013, 3.
[11] Comme l’atteste la démarche des syndicats de salariés signataires de l’ANI qui ont entendu poser comme impératif catégorique le licenciement du salarié qui n’accepte pas de subir sans broncher les conséquences préjudiciables pour sa situation de la signature d’un accord de maintien dans l’emploi.
[12] Nous ne sommes donc pas ici dans la logique de la jurisprudence qui considère le refus du changement de lieu intervenant à l’intérieur du même secteur géographique comme un refus d’un changement des conditions de travail susceptible de justifier un licenciement disciplinaire (voir, à ce sujet, n° 12152 de Liaisons sociales du 27 juillet 2012, « La modification de la relation contractuelle », 32).
[13] Voir Liaisons sociales n° 16284 du 13 février 2013, 3.
[14] Voir F. FAVENNEC-HERY, « Sécurisation de l’emploi : encore un effort ! », Semaine sociale Lamy n° 1575 du 11 mars 2013, 9.
[15] Liaisons sociales n° 16300 du 7 mars 2013, 3.
[16] « Demain, tout le monde à temps partiel » http://uscommerceparis.free.fr/demain_tout_le_monde_a_temps_partiel.html
[17] F. FAVENNEC-HERY, « Le travail à temps partiel », Dr. Soc. 1994, 165.
[18] Voir Cass. Soc. 27 juin 2007, Dr. Ouv. 2008, 44 et s., note C. MENARD ; Cass. Soc. 8 juin 2011, Dr. Soc. 2011, 1207.
[20] Voir Liaisons sociales n° 16300 du 7 mars 2013, 3.
[21] A. LYON-CAEN, Le Monde du 18 janvier 2013 : « L’accord s’inscrit d’abord dans un débat culturel, relatif à notre modèle économique et social. Dans cette autre bataille, la partie patronale a progressé ».
[22] Libération du 4 mars 2013, 13.
[23] Voir Liaisons sociales n° 16300 du 7 mars 2013.
[24] TA Amiens du 14 février 2013, commenté par M.L. DUFRESNE-CASTETS et P. MOUSSY, « En annulant l’autorisation de licenciement de Xavier MATHIEU, le Tribunal Administratif d’Amiens désavoue WOERTH et SAPIN. Ce n’est pas la sauvegarde de la compétitivité de CONTINENTAL qui a été à l’origine de la fermeture du site de CLAIROIX », Chronique Ouvrière du 20 févier 2013,
(http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article669).
[25] Expression rencontrée dans l’article L. 2131-1 du Code du travail.
[26] J. BARTHELEMY, G. CETTE, « Pour une nouvelle articulation des normes en droit du travail », Dr. Soc. 2013, 20.
Pascal MOUSSY
Articles de cet auteur
- Il ne faut pas confondre l’accessoire (la "faute") et le principal (la préservation du mandat)
- La Cour de cassation donne une leçon de démocratie syndicale aux dirigeants de la FTM-CGT
- A l’attention des exploitants vinicoles ! L’absence de formation appropriée ne se dissout pas dans le licenciement disciplinaire
- Le trouble manifestement illicite constitué par un licenciement pour inaptitude prétendument non professionnelle
- C’est exclusivement aux grévistes de se faire juges de l’opportunité d’arrêter le travail !
- [...]