Chronique ouvrière

L’insondable mauvaise foi du MEDEF

mercredi 13 novembre 2013 par Marie-Laurence NEBULONI

Celle-ci se déduit notamment de la décision jointe

A l’occasion de la première étape du procès prud’homal, le bureau de conciliation, conformément aux termes de l’article L.1454-18 du code du travail, fixe le calendrier de communication des pièces entre les parties que celles-ci comptent produire à l’audience de jugement à l’appui de leurs prétentions. Dans plus de 90% des cas, le Conseil est saisi par le salarié, c’est donc lui qui communique en premier les éléments de droit et de fait qu’il compte invoquer.

Or, en matière de faute grave ou lourde ou de licenciement économique, la charge de la preuve repose sur l’employeur.

L’inversion de la communication se justifie alors dans le cadre du débat contradictoire : le salarié ne peut que répondre aux éléments exposés par l’employeur.

Néanmoins, dans plusieurs Conseils, le collège employeur s’oppose systématiquement à l’inversion de la communication des pièces dans ce cas.

Or, cette opposition de pur principe ne repose sur aucune base légale [1]. Les conseillers n’en évoquent d’ailleurs généralement aucune, se contentant de menacer de quitter le bureau de conciliation, en d’autres termes de commettre un déni de justice.

En l’espèce, l’intervention rapide du juge départiteur, moins d’un mois après l’audience de conciliation, a permis de contrer la tentative d’obstruction du collège employeur. Mais, d’une manière générale, en quoi consistent les tactiques patronales mises en œuvre dans le déroulement du procès prud’homal et quelle est leur finalité ?

Des différentes manières de perturber la bonne administration de la justice

Le MEDEF, tel un général avant la bataille, met ses armées en ordre de marche et leur donne des consignes claires : « Chez nous, c’est pire que chez Mao. Il faut rendre des comptes sur tout. » [2] .

Selon l’organisation patronale, le bureau de conciliation doit servir qu’à donner une date de bureau de jugement. « Ce n’est pas du fond » est le leitmotiv des conseillers employeurs. Ces derniers sont atteints d’une forme grave de cécité dès qu’on leur présente la section de la partie réglementaire du code du travail, intitulée « Mise en état de l’affaire » [3] . En conséquence, ils s’opposent quasiment systématiquement à toute mesure d’instruction, notamment ordonnance et mission de conseiller rapporteur. Les arguments juridiques sont inexistants, les conseillers se bornant à ânonner : « c’est le rôle du bureau de jugement ».

De plus, les pouvoirs de police attribués au président du bureau de jugement sont utilisés pour retarder voire empêcher la tenue de l’affaire : radiation en cas de défaut de diligences du demandeur mais renvoi accordé quand le défendeur refuse de plaider. Certains présidents patronaux, plus fatigués que d’autres, imposent même une heure limite de fin d’audience, souvent 18 heures !

Quand l’affaire est enfin plaidée, les soldats du MEDEF appliquent fidèlement, pendant le délibéré, de fermes consignes : quantum a minima « à partir de 6 chiffres, je ne condamne pas, je mets en départage et je n’y vais pas » [4] , article 700 dérisoire, non attribution de l’exécution provisoire des condamnations, non indemnisation de certains préjudices : moral, pour conditions vexatoires de la rupture…, non reconnaissance du harcèlement moral ou sexuel ou d’une discrimination, rejet systématique des demandes au titre des heures supplémentaires, du travail dissimulé…Les partages de voix, nombreux [5], ont ainsi , le plus souvent, pour cause le refus patronal d’appliquer le droit du travail ou la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Les délibérés, qui devraient être un temps d’échanges d’arguments de droit basés sur les faits exposées par les parties, se transforment en négociations syndicales qui aboutissent à des décisions insatisfaisantes pour le justiciable.

Quelles sont les conséquences des stratégies patronales développées dans les Conseils de prud’hommes ?

Des dysfonctionnements de l’institution prud’homale

Du fait de l’opposition patronale à la mise en œuvre des pouvoirs du bureau de conciliation, les affaires enrôlées subissent plusieurs renvois avant d’être plaidées ce qui provoque un allongement des délais du fait de l’encombrement des rôles.

De plus, la surcharge de travail subie par les juges départiteurs provoque une détérioration des rapports avec les conseillers, essentiellement du collège salarié, car les représentants de celui-ci sont plus nombreux à assister aux audiences de départage.

Par ailleurs, le fait de ne jamais prononcer l’exécution provisoire des condamnations incite les employeurs à faire appel, puis se désister au denier moment afin d’exécuter les jugements le plus tard possible.

Enfin, les compétences des conseillers sont remises en cause par les professionnels du droit, avocats, professeurs d’université, magistrats. A moyen terme, cela risque de conduire à l’échevinage. Les premières victimes en seront les salariés, qui ne seront plus jugés par leurs pairs et perdront une chance de bénéficier de décisions offensives, capables de bousculer efficacement le ronronnement judiciaire.
Ils seront également perdants à travers l’affaiblissement de la maitrise de la chose juridique par les organisations syndicales, lesquelles disposeront de moins de juristes bien formés en leur sein et dont les moyens financiers, non comparables à ceux du MEDEF, ne leur permettront pas d’être efficacement conseillés par des juristes professionnels.

Force est par conséquent de constater qu’à l’entreprise, la mauvaise foi patronale provoque des licenciements abusifs, tandis qu’au tribunal, elle tente d’empêcher les salariés d’obtenir réparation. Dans les deux cas, seule la détermination des salariés et de leurs représentants est en capacité d’y faire échec.

Annexe :

CPH Grenoble BC 5 Juillet 2013.pdf

[1Christophe VIGNEAUD, « L’inéquitable procès prud’homal », p. 367, §20, RJS 6/13

[2Propos d’un conseiller employeur du Conseil de Prud’hommes de Paris

[3Articles L. 1454-1 et suivants du code du travail

[4Propos d’un conseiller employeur du Conseil de Prud’hommes de Paris

[5Environ 20% des affaires à Paris


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