Un CHSCT du Ministère du travail obligé de saisir le Tribunal Administratif pour contraindre l’administration à mener l’enquête obligatoire suite à une alerte Danger Grave et Imminent
Les services de l’inspection du travail sont en pleine restructuration. En Haute Normandie, les conditions de mises en œuvre de la réforme le 15 septembre 2014 ont eu des effets directs sur la santé des agents dont certains ont été retrouvés en pleurs tandis que d’autres étaient arrêtés par leurs médecins. Compte tenu de la situation de risque, ayant déjà entrainé des dommages pour certains agents, cinq membres du CHSCT ont rédigé un avis d’alerte de Danger Grave et Imminent (DGI) sur la base de leurs constats circonstanciés et ont exigé la tenue de l’enquête réglementaire prévue par l’article 5-7 du décret 82-453 [1]applicable pour la fonction publique d’Etat.
Moins de 48h après, le président du CHSCT faisait état du refus de l’administration de diligenter l’enquête au motif que les risques psycho-sociaux seraient hors champs de compétence de la procédure d’alerte. En outre il apparait qu’il n’entendait pas réunir le CHSCT, ce qui doit être le cas lors de divergence sur la réalité du Danger.
Soutenus par les syndicats CGT et Sud Travail, les cinq membres du CHSCT ont décidé de saisir le Tribunal Administratif en référé en vue d’imposer la réalisation de l’enquête. Considérant que le refus du président ne pouvait pas s’analyser en une décision administrative, l’enquête devant être automatique selon le décret, ils ont saisi le TA sous la forme d’un référé mesures utiles [2]. Tel n’a pas été le point de vue de l’Administration et du tribunal qui a rejeté la demande au motif que le refus du DIRECCTE s’analysait en une décision administrative [3].
Cette décision n’a pas découragé les membres du CHSCT qui ont déposé quelques jours après deux requêtes distinctes, l’une en référé et l’autre au fond en vue d’obtenir la suspension de la décision administrative de refus d’enquête et une injonction pour que l’enquête soit réalisée. Dans la procédure, l’Administration défendait qu’elle n’était pas tenue de réaliser l’enquête compte tenu qu’elle disposait d’un pouvoir d’appréciation sur la réalité du DGI. En outre, elle défendait l’idée que les auteurs de l’alerte devaient apporter la preuve de l’existence d’une situation de Danger Grave et Imminent, ce qui revient à dire que les auteurs de l’alerte devraient faire l’enquête approfondie avant d’agir, enquête qui selon les textes en vigueur, ne peut se faire qu’avec un représentant de l’Administration… Un tel raisonnement était voué à l’échec, raison pour laquelle le TA de Rouen a, dans sa décision du 4 décembre 2014 [4], suspendu la décision de refus d’enquête et ordonné la réalisation de celle-ci sous un délai de 8 jours.
Cette décision, rapidement diffusée par les équipes syndicales du Ministère du Travail, aura déjà été utile dans d’autres régions où des présidents de CHSCT s’apprêtaient eux aussi à ne pas respecter la réglementation sur ce point.
Pour le Ministère du travail, cette décision, qui pourtant ne correspond qu’à l’obligation réglementaire, apparait comme insupportable. Ainsi, le 23 décembre 2014, le Ministère déposait un recours au Conseil d’Etat pour faire annuler la décision du 4 décembre 2014. L’affaire n’est donc pas terminée sur le plan juridictionnel d’autant qu’elle doit aussi donner lieu à un jugement au fond.
Si les conclusions de l’enquête ne sont pas encore connues, on peut s’attendre à de nouvelles difficultés. En effet, dans le passé, la DIRECCTE a refusé de saisir l’inspection du travail comme l’oblige le décret en cas de défaut d’accord sur les mesures à prendre suite à l’enquête.
Rappelons que dans le secteur privé, le président de CHSCT qui s’oppose à la mise en œuvre de l’enquête s’expose à une sanction pénale pour délit d’entrave, ce qui explique que les enquêtes sont en générales réalisées, même si les directions font tout pour freiner l’activité des membres de CHSCT. Dans la fonction publique, il n’existe pas de sanction pénale, ce qui explique en grande partie que des pans entiers de la réglementation, notamment sur le fonctionnement des CHSCT, ne sont pas respectés.
A l’heure ou le Medef, voir le gouvernement, souhaite supprimer les CHSCT de droit privé, de nombreux combats restent à mener pour que les CHSCT de la fonction publique puissent obtenir le pouvoir qui doit être le leur pour la défense des conditions de travail des agents. A ce jour, l’administration continue à défendre le fait que le CHSCT de la fonction publique n’aurait pas la capacité juridique lui permettant d’agir en justice.
La bataille menée actuellement par le CHSCT de la DIRECCTE, la CGT et Sud Travail repose sur des objectifs qui intéressent toute la fonction publique. Il s’agit :
De faire reconnaitre l’obligation de consulter le CHSCT avant toute réorganisation ayant des conséquences sur les conditions de travail.
— De faire juger qu’il y a toujours URGENCE à agir lorsque la santé des agents est en jeu, et que l’action en référé est justifiée.
— D’obtenir la reconnaissance de la personnalité juridique du CHSCT à agir devant les tribunaux
— D’obtenir, à défaut de budget, le paiement des honoraires de l’avocat du CHSCT par l’administration,
— De forcer l’administration à produire les documents obligatoires (bilan annuel - programme de prévention, document unique...), à répondre aux questions des élus sur les risques identifiés…
— Et enfin d’obtenir la suspension par le TA en référé des réorganisations pathogènes comme cela est possible dans le privé depuis l’arrêt SNECMA.
[1] Article 5-7 du décret 82-453 modifié
Le Représentant du Personnel au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un agent, en alerte immédiatement le Chef de Service ou son Représentant, selon la procédure prévue au 1er Alinéa de l’article 5-5 et consigne cet avis dans le registre établi dans les conditions fixées à l’article 5-8.
Le Chef de Service procède immédiatement à une enquête avec le représentant du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier.
Il informe le Comité des décisions prises.
En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l’installation, le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail compétent est réuni d’urgence, dans un délai n’excédant pas 24 heures.
L’Inspecteur du Travail est informé de cette réunion et peut y assister
Après avoir pris connaissance de l’avis émis par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail compétent, l’autorité administrative arrête les mesures à prendre.
A défaut d’accord entre l’autorité administrative et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est obligatoirement saisi.
[2] Article L. 521-3 du Code de Justice Administrative
[3] TA Rouen, Ordonnance n° 1403304 du 13/10/2014
[4] TA Rouen, Ordonnance n° 1404013 du 4/12/2014 consultable sur http://cgt-tefp.fr/category/regions-departements/Haute-Normandie/