Règlement intérieur : compétence des CHSCT locaux, pas de l’ITC !
Créée par le fameux accord national interprofessionnel (ANI) entré en vigueur en janvier 2014, l’instance temporaire de coordination des comités hygiène sécurité et conditions de travail (ITC-CHSCT) en est encore à ses balbutiements. Les militant(e)s et élu(e)s syndicaux en général, et celles et ceux qui sont amené(e)s à y siéger en particulier, n’ont qu’à peine eu le temps de mesurer l’utilité – douteuse – et les effets – destructeurs - de cette nouvelle instance.
Dans le même temps, la mise en œuvre de cette nouvelle disposition donne lieu également à de premiers contentieux, qui permettent de mesurer plus précisément l’usage que le patronat entend faire des facilités qui lui ont été accordées. Plusieurs juridictions, saisies récemment, ont donc eu l’opportunité de se prononcer sur ces questions.
Ainsi, le tribunal de grande instance (TGI) de Versailles a été saisi au mois de janvier 2015, en référé, par la société Schindler qui entendait soumettre la consultation de son nouveau règlement intérieur à l’ITC ad hoc, convoquée par ses soins. Par ce biais, la direction de l’entreprise espérait bénéficier des toutes les facilités inhérentes à cette nouvelle procédure : délais préfix (raccourcis par rapport aux précédentes procédures d’information-consultation), une seule expertise centralisée, avis implicite au terme du délai…
Dans le même temps, la même entreprise saisissait le TGI de Toulouse aux fins d’obtenir l’annulation de la décision du CHSCT de l’établissement Schindler Sud-Ouest d’avoir recours au service d’un expert, aux fins d’être en mesure de rendre un avis éclairé concernant le nouveau règlement intérieur que l’entreprise souhaitait mettre en place. À la suite de cette décision concernant l’expertise, d’autres ordonnances allant dans le même sens ont été prononcées par les TGI de Grenoble et Nanterre. Seul le TGI de Créteil a fait le choix de surseoir, dans l’attente de la décision relative à l’appel en cours concernant la décision du TGI de Versailles.
I. Petit rappel sur le fonctionnement de l’ITC
La transposition dans la loi de l’ANI a donc créé, particulièrement dans les entreprises multi-établissements disposant de plusieurs CHSCT, la possibilité de mettre en place, à l’occasion de projets dont le périmètre imposerait la consultation de plusieurs CHSCT, une instance temporaire dans laquelle les différents CHSCT se trouvent représentés le temps de l’examen du projet.
A partir du moment où l’ITC est mise en place, plusieurs données sont à prendre en considération :
— L’ITC est mise en place à l’initiative de l’employeur qui le souhaite, qui détermine le périmètre pertinent de son projet et par conséquent le nombre de CHSCT concernés – ce qui impacte la composition de l’ITC et donc le nombre d’élus qui siègent
— Une seule expertise peut être réalisée, mandatée par l’ITC (exit donc les multiples expertises par des cabinets différents pouvant conduire à l’annulation en justice d’un projet, comme ce fut le cas à la FNAC par exemple)
— Un calendrier préfix est déterminé par le début de la consultation du Comité d’Entreprise, au terme duquel, en l’absence d’avis, l’avis de l’ITC est réputé négatif. C’est la notion d’avis implicite.
— Une fois la consultation terminée, l’instance disparaît, ce qui évite tout désagrément dans le suivi du projet, tels que la nécessité de transmettre un courrier de l’inspection du travail par exemple (« il n’y a plus d’abonné au numéro que vous demandez »)
II. Dans quel cas mettre en place l’ITC ?
Prenant en compte l’ensemble des avantages que lui confère cette ITC, la direction Schindler qui se trouvait dans l’obligation de mettre à jour son règlement intérieur datant de 1983, décidait de mettre en place une ITC-CHSCT sur le sujet, arguant tout à la fois du caractère national du projet (ce nouveau règlement intérieur devant couvrir l’ensemble des établissements de la société, au nombre de 9 au jour du lancement du projet, soit un total de 11 CHSCT locaux, l’établissement Île-de-France comptant 3 CHSCT) et de son caractère important tel que défini par l’art L.4612-8.
En revanche, les élus CGT de cette instance, majoritaires, n’en avait pas la même interprétation. En effet, compte-tenu de l’art. L.4616-1, les élus défendaient que la consultation relative à la mise en place ou à la modification du règlement intérieur, régie par un article spécifique (art L4612-12), ne comptait pas au nombre des consultations permettant la mise en place de l’ITC. Cette disposition devait primer sur la question du caractère important du projet. Les CHSCT locaux restaient donc compétents sur le sujet.
Par conséquent, lors de la convocation de la première réunion de l’ITC, ayant pour objet la désignation du secrétaire de l’instance, aucun candidat ne se présentait au poste de secrétaire : pas de secrétaire, pas d’instance de coordination. En effet, il aurait été contradictoire de contester la légitimité de l’instance tout en acceptant sa mise en place, ce qui par ailleurs aurait lancé un compte-à-rebours particulièrement serré (nous passons les détails rocambolesques d’une première désignation d’un salarié en congé lors de l’élection, suivie d’une démission dudit secrétaire à son retour de congé et d’une nouvelle convocation pour désignation d’un nouveau secrétaire). Malgré l’absence d’une ITC-CHSCT constituée, la direction consultait les CHSCT locaux dont certains votaient des expertises.
Face à cet état de fait, la direction Schindler saisissait le juge des référés, afin de contraindre les élus à désigner un secrétaire et à faire fonctionner l’instance. Elle assignait donc la totalité des membres de l’ITC, individuellement, soit 33 personnes, pour trouble manifestement illicite causé par le refus de désignation d’un secrétaire.
Par ailleurs, la manœuvre aurait conduit, dès lors que le secrétaire aurait été désigné, à considérer la consultation validée, suite à l’épuisement du délai préfix intervenu le 26 janvier 2015. La ficelle était grosse mais la direction Schindler ne doutait pas de son bon droit : dès fin février 2015, le nouveau règlement intérieur était affiché dans l’ensemble des établissements, à titre d’information, pour une entrée en vigueur prévue le 16 mars 2015 !
III. Pas d’ITC pour le règlement intérieur, c’est une compétence des CHSCT locaux.
Par décision rendue le 10 mars 2015, le TGI de Versailles est venu trancher la discussion. Il suffit de citer ici la décision, qui se passe de commentaire :
« La consultation sur un projet en matière de règlement intérieur figure à l’article L.4612-12 du code du travail et elle est donc exclue de la liste limitative des consultations figurant à l’article L.4616-1 sus-visé. Dès lors, et quand bien même le projet de modification du règlement intérieur de la société SCHINDLER serait un projet important au sens de l’article L.4612-8, il est régi par un texte spécial à savoir l’article L.4612-12 qui réserve aux seuls CHSCT et non à l’ITC CHSCT l’examen des projets de règlement intérieur de l’employeur ».
L’employeur se trouve contraint de reprendre par conséquent l’ensemble de la procédure d’information consultation. Et ne peut s’opposer à ce qu’un CHSCT ait recours aux services d’un expert à ce sujet. C’est le sens de l’ordonnance rendue par le TGI de Toulouse, qui elle aussi se passe de commentaire :
« Or, les dispositions des articles L 4612-8, L 4612-9, L 4612-10 et L 4612-13 qui délimitent donc les situations où l’ITC des CHSCT peut être réunie pour consultation, n’incluent pas celle d’un projet touchant au règlement intérieur, laquelle est spécifiquement visée par les dispositions de l’article L 4612-12 du Code du travail.
Cet article impose en effet la consultation des CHSCT sur les documents se rattachant à sa mission, et notamment sur le règlement intérieur.
Dans ces conditions, et alors qu’il est admis que l’ITC des CHSCT ne peut pas être consultée en matière de modification du règlement intérieur, la décision prise par la SA SCHINDLER de la réunir dans le cadre de son nouveau projet ne saurait faire obstacle à la consultation du CHSCT de l’établissement sud-ouest édictée par l’article L 4612-12 rappelé ci-dessus.
Dans le cadre de cette consultation exclusive, le CHSCT peut recourir à une mesure d’expertise si, ainsi que l’énonce l’article L 4614-12 2°) du Code du travail, il s’agit d’un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L 4612-8 du Code du travail.
La référence à ce dernier article, également visé dans le champ de consultation de l’ITC des CHSCT, n’ouvre pas une possibilité de consultation de cette instance, dès lors que le projet important en cause procède à une modification du règlement intérieur dont la consultation préalable ne relève, ainsi qu’il vient d’être rappelé, que de la compétence des CHSCT. »
IV. Une maladresse du législateur ?
Dans le premier commentaire publié concernant cette décision [1] (commentaire rédigé par un membre éminent du cabinet Capstan), le docteur en droit Jean-Benoît Cottin se désole de « la maladresse de rédaction du texte légal », qui conduirait à une situation contradictoire selon lui : autoriser plusieurs expertises pour un projet important. Notre bon docteur oublie, tout à sa préoccupation de la défense des intérêts patronaux et de leur découverte que l’ANI 2014 est loin d’être la martingale escomptée, que le règlement intérieur est en définitive un projet propre à chaque établissement. Dans le même mouvement, le bon docteur avoue benoîtement avoir revu sa position : « Si nous avions pu écrire, au lendemain de la publication de la loi de sécurisation de l’emploi, que l’énumération légale des hypothèses de réunion de l’ICCHSCT était peut-être limitative (JCP S 2013, 1264), l’épreuve de la pratique oblige à reconsidérer l’analyse et nous conduit désormais à penser que les termes du débat ne doivent pas être posés de la sorte. » L’épreuve de la pratique en question à très certainement à voir avec la nécessité de rassurer sa clientèle patronale… Les organisations patronales et leurs conseillers ayant largement participé à la rédaction du texte de l’ANI, dont la loi est bien souvent une simple transposition, nous ne saurions que trop conseiller aux cabinets patronaux de mieux relire leur copie ! L’activité de lobbying sur ces questions a cependant commencé à porter ses fruits, la loi Rebsamen ayant poursuivi le travail de sape engagé par la signature de l’ANI en 2014. Cependant, l’article L 4612-12 est parvenu à échapper aux attentions des différents chargés d’affaire du patronat !
Contrairement à l’argumentaire développé par le cabinet Capstan, dans l’espoir de renverser la jurisprudence, il faut rappeler que le règlement intérieur, régissant en particulier les questions de discipline, n’est pas un projet parmi d’autres. Il ne saurait y avoir à ce propos la moindre « maladresse » du législateur, mais bien un rappel essentiel : le règlement intérieur déterminant dans une très grande part, l’ensemble des garanties de fond permettant à un salarié de se défendre face au pouvoir disciplinaire de l’employeur, il se trouve régi par des textes spécifiques. Et la Cour de Cassation se montre particulièrement tatillonne à ce propos, comme le montrent les derniers arrêts concernant la question de l’affichage du règlement intérieur par exemple.
Reste à déterminer, une fois tranchée cette question du recours à l’ITC-CHSCT en ce qui concerne le règlement intérieur, une autre question, qui est loin d’être négligeable : l’employeur, trop confiant, ayant procédé au retrait d’affichage de l’ancien règlement afin d’afficher un règlement intérieur se révélant inapplicable faute d’avoir effectué les consultations règlementaires, peut-il réafficher l’ancien règlement intérieur sans pour autant consulter les instances représentatives du personnel, et alors même que ce règlement intérieur comporte des clauses illégales ou que certaines clauses obligatoires en sont absentes ? Une fois un règlement intérieur retiré de l’affichage et un second, affiché, déclaré inapplicable, que reste-t-il précisément du droit disciplinaire de l’employeur ? Gageons que cette situation est riche de nouveaux contentieux !
Annexes :
une ordonnance du TGI de Versailles du 10 mars 2015
une ordonnance du TGI de Toulouse du 24 mars 2015