Chronique ouvrière

L’ancienneté des "extra" doit être reprise

mercredi 18 décembre 2019 par Claude LEVY
CPH Paris 19 novembre 2019.pdf

Par décision en date du 19 novembre 2019 la formation de départage du Conseil de Prud’hommes de PARIS a rendu une décision favorable à une ancienne « extra » du PULLMAN MONTPARNASSE sous un angle non abordé à ce jour à notre connaissance.

Pour ce faire le Conseil n’a pas répondu directement à l’argumentaire soulevé mais s’est basé sur une lecture littérale de l’accord d’entreprise et du code du travail.

Il est nous est apparu intéressant pour nos lecteurs de livrer l’argumentaire intégral soulevé.

L’argumentaire soulevé devant le Conseil de prudh’ommes

Mme N. a été embauchée le 14 juillet 2008 par l’hôtel Méridien Montparnasse, hôtel de 1000 chambres et 2 restaurants dans le 14ème arrt de PARIS.

A l’origine elle a travaillé en CDD d’usage puis en CDI à compter du 20 octobre 2014 mais sans aucune reprise d’ancienneté.

Elle a signé un plan de départ volontaire en 2017 et est sortie des effectifs le 31 août 2017.

Cette salariée demande à bénéficier de rappels de primes d’ancienneté, d’indemnité légale de licenciement et d’indemnité de départ volontaire (article 32.2 et 3 de l’accord PSE du 12 janvier 2017) par la prise en compte des périodes antérieures travaillées durant lesquelles elle était en contrat de travail à durée déterminée d’usage avant de se voir embauchée en CDI.

Elle invoque pour ce faire la clause 4 de l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (ci-après l’accord-cadre), conclu le 18 mars 1999, mis en œuvre par la directive 1999/70 du Conseil du 28 juin 1999 prévoit que :

« pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives ».

L’application de la clause soulève pour ce dossier une question préalable :

La notion de « conditions d’emploi » peut-elle servir de fondement à une prétention qui porte sur un élément de rémunération tel que l’attribution d’une prime d’ancienneté ? Si oui : les dispositions législatives ou conventionnelles nationales qui excluent le personnel temporaire (CDD) du bénéfice du complément lié à l’ancienneté accordé au personnel statutaire fixe (CDI) constituent-elles des raisons objectives propres à justifier la différence de traitement ?

La loi française dispose que les salariés sous contrat à durée déterminée ne peuvent recevoir une rémunération d’un montant inférieur à celle que percevrait un salarié sous contrat à durée indéterminée, à qualification et fonction équivalent.

Une prime d’ancienneté peut-elle relever du domaine de la règle de l’égalité de traitement posée à la clause 4 de l’accord-cadre ?

Les conditions d’adoption de la directive 1999/70 visant à mettre en œuvre l’accord-cadre conduisaient légitimement à s’interroger.

La directive fut adoptée sur le fondement de l’article 139 § 2 du Traité, qui dispose que la mise en œuvre des accords conclus au niveau communautaire intervient dans les matières relevant de l’article 137 du Traité.

Ce même article habilite le Conseil à arrêter, par voie de directive, des prescriptions minimales en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 136 du Traité, au nombre desquels figure notamment l’amélioration des conditions de vie et de travail.

Toutefois, selon les termes de son paragraphe 5, les dispositions de l’article 137 du Traité ne s’appliquent pas, entre autres, aux rémunérations.

Fallait-il en déduire que le travailleur à durée déterminée ne pouvait solliciter, sur le fondement de la règle de l’égalité de traitement formulée à la clause 4 de la directive 1999/70, le bénéfice d’une prime d’ancienneté réservée aux seuls travailleurs à durée indéterminée, au motif que l’octroi de cette prime entraînait le paiement d’un différentiel de rémunération ?

Selon les juges de la CJCE, l’exception prévue à l’article 137 § 5 du Traité ne peut être comprise comme excluant un contrôle communautaire, sur le fondement de l’accord-cadre et de la directive 1999/70, sur toute question présentant un lien quelconque avec la rémunération.

En premier lieu, le principe communautaire qui sous-tend l’objectif de l’accord-cadre - faire application du principe de non-discrimination aux travailleurs à durée déterminée en vue d’empêcher qu’une relation d’emploi de cette nature ne soit utilisée par un employeur pour échapper aux dispositions du travail à durée indéterminée - ne saurait être interprété strictement.

En second lieu, en tant que dérogatoires, les matières réservées par ledit paragraphe doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.

L’objectif d’amélioration des conditions de vie et de travail posé à l’article 136 du Traité risquerait, dans l’hypothèse inverse, de se voir contrarié.

En dernier lieu, la Cour précise qu’en l’espèce, l’interprétation de la notion de condition d’emploi est dépourvue d’incidence sur le niveau de la rémunération ; elle porte sur la question de savoir si, en application du principe de non-discrimination, un élément de rémunération doit, en tant que condition d’emploi, être accordé au travailleur à durée déterminée au même titre qu’au travailleur à durée indéterminée.

En conséquence, la mise en œuvre du principe de discrimination ne heurte pas la compétence nationale - compétence préservée par l’article 137 § 5 du Traité - en matière de rémunération.

En conclusion, la notion de condition d’emploi doit être interprétée en ce sens qu’elle peut servir de fondement à une prétention qui vise à l’octroi d’une prime d’ancienneté à un travailleur à durée déterminée, alors que le bénéfice de celle-ci est réservé aux seuls travailleurs à durée indéterminée par le droit national.

C’est dans ce sens qu’a tranché à 2 reprises la CJCE :

- affaires 13 septembre 2007 n°307/05 ; 9 juillet 2015 n° 177/14

En droit français, c’est très directement le niveau même de la rémunération, qui apparaît comme le fondement de l’égalité de traitement.

La dernière question d’interprétation porte sur la notion de « raisons objectives ».

Selon la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, une différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée peut être justifiée par des raisons objectives.

La disposition nationale, qui réserve l’octroi de la prime d’ancienneté aux seuls salariés titulaires, peut-elle constituer une telle raison objective ?

Plus généralement, une disposition légale ou conventionnelle peut-elle constituer une raison objective susceptible de justifier une différence de traitement ?

La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la notion de « raisons objectives » prévues à la clause 5, point 1, du même accord-cadre.

Elle procède ici par analogie et affirme à l’identique que la notion litigieuse

« requiert que l’inégalité de traitement en cause soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet »

En conséquence, la disposition nationale ou l’accord collectif qui introduit la différence de traitement au moyen d’une norme générale et abstraite, ne saurait s’entendre d’une raison objective au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre.

— affaires 13/09/ 2007 n°307/05 ; 9/07 2015 n° 177/14 précitées

En droit français, la Cour de cassation n’est pas encline à admettre qu’une disposition conventionnelle puisse justifier à elle seule une différence de traitement et constitue en soi une « raison objective ».

L’auteur d’une différence de traitement doit être en mesure d’avancer des éléments précis et concrets… « afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet ».

En d’autres termes, ces éléments n’ont pas vocation à permettre au juge d’apprécier le caractère rationnel, non arbitraire, d’une mesure de gestion ou d’organisation, mais véritablement à permettre un contrôle du caractère justifié et proportionnel de l’atteinte à la règle de l’égalité de traitement.

Comment peut-on sérieusement soutenir en équité qu’un salarié présent depuis plusieurs années dans l’entreprise, fut ce par voie de CDD successifs, ne peut revendiquer une ancienneté dans l’entreprise dont il connait parfaitement le fonctionnement, où il côtoie depuis des années ses collègues ?

Y aurait-il sur un même poste la reconnaissance d’une ancienneté pour un CDI qui serait refusée pour un CDD ?

Assurément NON, sauf à bafouer allègrement le principe constitutionnel supérieur d’égalité.

Il y a donc lieu de prendre en compte pour le calcul des primes d’ancienneté les périodes antérieures travaillées durant lesquelles Mme N. était en contrat de travail à durée déterminée d’usage.

La demanderesse peut donc prétendre à des rappels de primes d’ancienneté calculées selon une ancienneté remontant à son premier jour de travail en CDD dans cette entreprise, sans pour autant requalifier les CDD d’usage en CDI, ainsi que des rappels d’indemnité légale de licenciement et d’indemnité de départ volontaire en application des articles 32-2 et 32-3 de m’accord PSE du 12 janvier 2017.

Le syndicat CGT est intervenu dans cette affaire sur le fondement de l’article L 2132-3 du code du travail pour violation du principe constitutionnel d’égalité, ce qui porte un grave préjudice à l’intérêt collectif de la profession.

Il a obtenu logiquement des dommages et intérêts et un article 700 du CPC.


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