Chronique ouvrière

Le trouble manifestement illicite constitué par un licenciement pour inaptitude prétendument non professionnelle

dimanche 1er octobre 2023 par Pascal MOUSSY
CPH Grenoble 25 septembre 2023.pdf

L’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail est présumé être un accident du travail. Pour bénéficier de cette présomption, la victime de l’accident doit établir l’existence d’une lésion et « et sa survenance au temps et sur le lieu du travail ». « Pour bon nombre d’accidents, cette preuve ne pose pas de difficultés, en particulier lorsque le fait accidentel a pu être constaté par des témoins » (« Les accidents du travail », Liaisons sociales. Les Thématiques, n° 88, avril 2021, 20).

Il résulte d’’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident et que l’employeur avait connaissance de l’origine professionnelle de l’accident au moment du licenciement.

Le mise en œuvre du régime protecteur est seulement subordonné à l’origine professionnelle de l’accident et à sa connaissance par l’employeur et n’est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance maladie du lien de causalité entre l’accident du travail et l’inaptitude (voir Cass. Soc. 9 juin 2010, n° 09-41.040, Bull. V, n° 131).

Lorsque survient un contentieux sur les modalités de la rupture du contrat de travail du salarié devenu inapte, il appartient au juge prud’homal de rechercher si l’inaptitude du salarié, invoquée comme motif de la rupture du contrat de travail, a pour origine l’accident du travail dont il a été victime et si l’employeur avait connaissance de l’accident du travail au moment du licenciement (voir Cass. Soc. 9 mai 1995, n° 91-44.918, Bull. V, n° 43).

Lorsque l’accident est survenu au temps et au lieu de travail en présence de l’employeur, il doit être considéré que l’employeur connaissait l’origine professionnelle de l’accident, même si la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de prendre en charge l’accident au titre du régime des accidents du travail (voir Cass. Soc. 29 juin 2011, n° 10-11.699, Bull. V, n° 169).

La formation de référé du Conseil de prud’hommes de Grenoble s’est inscrite dans de le droit fil de cette jurisprudence à l’occasion du contentieux consécutif au licenciement pour « inaptitude sans origine professionnelle » d’un médecin coordinateur employé par une société spécialisée dans le secteur d’activité de l’hébergement social pour personnes âgées appartenant au groupe KORIAN.

Le juge des référés prud’homal a été conduit à faire plusieurs constatations.

Le 22 juillet 2022, un incident avait eu lieu entre des membres de la famille d’une résidente récemment décédée et le médecin coordinateur, en présence du directeur de l’établissement. L’agression verbale subie par le médecin coordinateur a provoqué un état de stress, justifiant un arrêt de travail.

Le 6 janvier 2023, le médecin du travail déclarait que le médecin coordinateur était « inapte à tout poste de travail au sein du groupe Dorian, serait apte à un poste dans un autre environnement professionnel ».

Le médecin coordinateur était licencié pour « inaptitude sans origine professionnelle » par courrier du 2 mars 2023.

Dans un premier temps, la CPAM refusait le 18 octobre 2022 de reconnaître le caractère professionnel de l’accident du 22 juillet 2022. A la suite du recours formé par la victime de l’accident, la CPAM revenait le 7 mars 2023 sur son appréciation et reconnaissait le caractère professionnel de l’accident. (La seconde décision de la CPAM intervenait quelques jours après la notification de la mesure de licenciement).

La formation de référé du Conseil de de prud’hommes de Grenoble a déduit de ces différents éléments de fait que l’employeur avait connaissance du caractère professionnel de l’accident du 22 juillet 2022 au moment du licenciement.

« Quand bien même la CPAM a initialement dénié à l’accident du 22 juillet 2022 un caractère professionnel, il convient de considérer, d’une part en raison du contexte de tension ci-dessus rappelé, mais également du recours formé par Mme […] à l’encontre de la décision du 18 octobre 2022 de la CPAM, de la déclaration d’inaptitude de Mme […] au sein du groupe KORIAN par la médecine du travail le 6 janvier 2023, et du fait que l’accident est survenu au temps et au lieu du travail en présence du directeur de la société ISERE SANTE, que l’employeur connaissait l’origine professionnelle de l’accident.

En raison de ces éléments, le seul refus initial de prise en charge par la CPAM de l’accident du titre de la législation professionnelle ne peut suffire à l’employeur pour soutenir qu’il n’avait pas connaissance du caractère professionnel de l’accident au moment du licenciement ».

Lorsqu’un licenciement est prononcé pour inaptitude non professionnelle, le salarié, qui n’exécute pas de préavis, n’a pas droit au versement d’une indemnité compensatrice de préavis et perçoit l’indemnité de licenciement de droit commun.

Il résulte au contraire des dispositions de l’article L. 1126-14 du Code du travail que le licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis et d’une indemnité spéciale de licenciement, qui sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité légale de licenciement.

L’employeur qui tente de se soustraire au versement des indemnités spéciales prévues par les dispositions légales concernant les licenciements pour inaptitude professionnelle écrivant dans la lettre de licenciement que celui-ci intervient en raison d’une inaptitude « non professionnelle » cause un trouble illicite.

Le juge des référés prud’homal intervient en toute logique pour neutraliser les effets d’un trouble manifestement illicite, lorsqu’il lui apparaît, à l’issue de l’instruction du dossier, que l’employeur qui n’a pas versé les indemnités spéciales au moment de la rupture du contrat de travail n’a pas été en mesure de rapporter la preuve de son ignorance du caractère professionnel de l’accident incontestablement survenu au temps et au lieu du travail.

Dans la présente espèce, la formation de référé du Conseil de prud’hommes de Grenoble, après avoir considéré que le licenciement pour inaptitude « non professionnelle » du médecin coordinateur était constitutif d’un trouble manifestement illicite, a ordonné la rectification des attestations de sortie adressées à Pôle emploi afin qu’elles mentionnent l’inaptitude d’origine professionnelle du licenciement et a condamné la société ISERE SANTE à verser à son ancienne salariée, à titre provisionnel, des sommes permettant d’atteindre le montant de des indemnités spéciales prévues par l’article L. 1226-14 du Code du travail.