Chronique ouvrière

Regards croisés sur l’arrêt Vigimark : <BR><BR>Le principe d’autonomie interdit à une union syndicale de supplanter le syndicat d’entreprise. <BR><BR>Arrêt Vigimark : de l’obligation de respecter les règles que l’on se donne...

lundi 5 octobre 2009 par Pascal MOUSSY, Karl GHAZI

La décision du 8 juillet 2009 fait finalement l’objet de deux commentaires exprimant des points de vue différents.

Cour de cassation civile Chambre sociale 8 juillet 200909-60.012.pdf
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Le principe d’autonomie interdit à une union syndicale de supplanter le syndicat d’entreprise.

par Pascal MOUSSY.

L’arrêt Vigimark rendu le 8 juillet 2009 rejette le pourvoi formé contre le jugement d’un tribunal d’instance qui n’avait pas donné suite à une demande d’annulation de la désignation d’un représentant de la section syndicale d’entreprise qui avait été notifiée à l’employeur par une union syndicale.

Le tribunal d’instance avait relevé que l’union syndicale mise en cause avait plusieurs adhérents dans l’entreprise, qu’elle avait pour objet de rassembler toutes les organisations syndicales et de renforcer la défense des adhérents des syndicats ou fédérations membres et de l’ensemble du monde du travail, ce dont il résultait que son champ de compétence national et interprofessionnel couvrait l’entreprise, et que ces statuts ne lui interdisaient pas d’intervenir directement dans une entreprise. Le juge du fond avait dès lors conclu à bon droit à la compétence de l’union syndicale pour procéder à la désignation du représentant de la section syndicale d’entreprise.

L’arrêt du 8 juillet 2009 s’inscrit dans la continuité d’une décision du 4 février 2004 de la Chambre Sociale (Dr. Soc. 2004, 565) et d’un arrêt de l’Assemblée plénière du 30 juin 1995 (Bull. A.P., n° 5), qui posaient le principe que, sauf stipulation contraire de ses statuts, une union de syndicats, à laquelle la loi a reconnu la même capacité civile qu’aux syndicats eux-mêmes, peut exercer les droits conférés à ceux-ci, et notamment celui de désigner un représentant syndical au niveau de l’entreprise.

Mais l’arrêt intervenu cet été apporte une précision. Il n’y avait pas dans l’entreprise d’organisation adhérente compétente dans le champ géographique et professionnel couvrant cette dernière .

Cela signifie qu’un syndicat d’entreprise serait en droit, dans le délai de quinze jours, de contester la désignation d’un représentant syndical au niveau de l’entreprise qui serait faite à sa place ,et sans son accord, par une union syndicale.

Ce qui est tout à fait logique.

« La personnalité des unions ne fait pas disparaître celle des syndicats adhérents ; l’union ne compte parmi ses membres aucune personne physique, elle réunit des organismes qui conservent chacun leur personnalité juridique propre et n’en sont pas de simples organes décentralisés. Il en est ainsi à tous les échelons de l’organisation syndicale, du syndicat de base à la confédération en passant par les fédérations et les unions locales, qui ont toutes l’autonomie juridique. L’activité juridique du syndicat ne se confond pas avec celle de l’union, et vice-versa. Par suite un syndicat qui se retire d’une union conserve sa personnalité et son patrimoine ; il n’est pas responsable des actes accomplis par l’union et celle-ci ne répond pas des siens »
(J.M VERDIER, Syndicats et droit syndical, volume I, Dalloz, 1987, 270 et s.).

Cette absence de confusion des personnalités conduit généralement à consacrer un principe d’autonomie dans les rapports des unions avec les syndicats. « Dans le syndicalisme ouvrier, la décentralisation est traditionnelle. Les statuts des grandes centrales affirment expressément l’autonomie des syndicats, unions et fédérations : chaque organisation adopte ses statuts, élit librement ses organes directeurs et, surtout, est juge de l’action à mener dans son ressort pour défendre les intérêts professionnels. » (J. FROSSARD, « Unions de syndicats », Jurisclasseur Travail, Fasc. 12-22, (5) ; voir, dans le même sens, R. BRICHET, Associations et syndicats, 6e éd., Litec, 1992, 573).

Ce principe d’autonomie viendrait à être très fortement contrarié, s’il était admis que l’union syndicale puisse supplanter le syndicat constitué au niveau de l’entreprise en désignant à sa place, sans son accord, le délégué syndical ou le représentant de la section syndicale d’entreprise.

Il existe parfois des contentieux suscités par le « remplacement » au niveau de l’entreprise d’un représentant syndical déjà nommé par une structure syndicale adhérente à une confédération par une autre organisation affiliée à la même confédération. La solution est donnée par la double application d’une règle chronologique et d’un principe de concordance. Le mandat de celui qui a déjà été désigné continue à courir tant qu’il n’y a pas eu de révocation. Celle-ci ne peut émaner que de l’organisation qui a procédé à la première désignation (voir Cass. Soc. 2 octobre 2003, RJS 2/04, n° 229 ; Cass. Soc. 8 décembre 2004, RJS 2/05, n° 171 ; Cass. Soc. 6 avril 2005, Bull., V, n° 127 ; Cass. Soc. 22 juin 2005, Dr. Soc. 2005, 1062 ; Cass. Soc. 5 mars 2008, Rev. dr. trav., 2008, 468).

Il a pu être rencontré une situation spéciale. Un litige suscité par le dépôt de listes concurrentes de candidats à des élections d’un comité d’établissement par un syndicat et une fédération affiliés à la même confédération (en l’occurrence la CGT) a été tranché en faveur de la fédération. En application de ses statuts… qui prévoyaient que les syndicats adhérents devaient se conformer aux décisions de la Fédération (voir Cass. Soc. 6 avril 2005, Bull., V, n° 128).

Nous nous permettrons de relever ici que cette logique hiérarchique heurtait de plein fouet le principe d’autonomie affirmé par les statuts de la CGT. Ceux-ci énoncent explicitement que le syndicat constitue la « base de toute la CGT » et que «  les syndicats définissent eux-mêmes leur mode de constitution et de fonctionnement notamment par la mise en place de sections syndicales dans les formes les plus adaptées  ». Il est également indiqué que les relations entre les syndicats, les fédérations, unions départementales et unions locales, « organisations fondamentales de la CGT », sont fondées sur les principes de la démocratie syndicale et du fédéralisme et que, dans le respect des statuts, toutes les organisations qui composent la CGT « disposent d’une pleine autonomie d’expression, de décision et d’action ».

En tout état de cause, l’arrêt du 8 juillet 2009 ne fait que rappeler que c’est logiquement au syndicat d’entreprise qu’il revient d’exercer les droits reconnus au syndicat au niveau de l’entreprise. Ce qui ne remet aucunement en cause la compétence de l’union syndicale de permettre la présence syndicale dans l’entreprise, en cas d’absence du syndicat d’entreprise. En d’autres termes, en matière d’exercice du droit syndical dans l’entreprise, le syndicat c’est le titulaire et l’union syndicale le suppléant.

Si le conflit révélé par des désignations concurrentes émanant d’organisations appartenant à une même union syndicale fait apparaître que le syndicat s’est rendu coupable d’une violation des statuts de l’union (par exemple, en ce qui concerne la CGT, en ne permettant pas un fonctionnement démocratique laissant les syndiqués s’exprimer et participer au choix du représentant du syndicat), il est toujours possible d’engager la procédure d’exclusion prévue par les statuts de l’union syndicale (voir, à ce sujet, R. BRICHET, op. cit ; 574).

Le retrait d’affiliation qui en résulterait pourrait parfois créer un peu de complexité. Jusqu’à présent, en effet, il était jugé que « le retrait de l’affiliation décidé par une confédération représentative au plan national laissant le syndicat qui en bénéficiait dépourvu du bénéfice de la représentativité par affiliation, son octroi à un autre syndicat a pour effet de permettre à ce dernier d’exercer tous les pouvoirs reconnus aux syndicats représentatifs » (Cass. Soc. 15 décembre 2004, Bull., V, n° 342). Mais aujourd’hui, sous l’empire des dispositions de la loi du 20 août 2008, la transmission de pouvoirs ressemblerait fort à l’acquisition d’une voiture d’une marque réputée qui aurait été vendue sans moteur, si le nouveau syndicat bénéficiaire de l’affiliation n’a pas auparavant obtenu, aux élections professionnelles, les fatidiques 10 % des suffrages permettant de désigner un délégué syndical. Certes, si le changement d’affilié intervient dans les six mois précédant les futures élections, le syndicat remplaçant pourra, à défaut de délégué syndical, nommer le représentant de la nouvelle section syndicale.


Arrêt Vigimark : de l’obligation de respecter les règles que l’on se donne...

par Karl GHAZI.

L’arrêt Vigimark du 8 juillet 2009 a pu être analysé (Chronique ouvrière, 5 Octobre 2009) comme une réaffirmation éclatante par la Cour de cassation du principe d’autonomie des syndicats. Plus encore, il annoncerait une position nouvelle : l’impossibilité pour une union de syndicats de désigner des délégués syndicaux sur un champ déjà « occupé » par un syndicat compétent.

Je ne partage pas cette analyse, parue sous la plume de Pascal Moussy, car elle fait fi des circonstances de l’espèce. L’apparition d’une hiérarchie « ascendante » au bénéfice des syndicats poserait, en outre, des questions pratiques qui pourraient se révéler dangereuses pour l’implantation des organisations syndicales. Il serait aberrant, enfin, de réserver cette hypothétique « prééminence » au syndicat d’entreprise.

« …attendu (…) que, sauf stipulation contraire de ses statuts, une union de syndicats, à laquelle la loi reconnaît la même capacité civile qu’aux syndicats eux-mêmes, peut exercer les droits conférés à ceux-ci. » et « attendu que ces statuts (de l’union syndicale solidaires) ne lui interdisaient pas d’intervenir directement dans une entreprise en l’absence d’organisation adhérente compétente dans le champ géographique et professionnel couvrant cette dernière » : c’est la fin de l’attendu qui pourrait laisser penser qu’une union de syndicat ne peut procéder à une désignation lorsque l’un de ses syndicats adhérents est compétent pour opérer cette désignation.

Les syndicats de toutes les grandes organisations françaises sont regroupés dans des unions, qu’elles soient professionnelles (unions syndicales professionnelles, fédérations ou interprofessionnelles (union locales, départementales ou régionales). La plupart ont constitué des confédérations qui sont des unions d’unions… Ces unions peuvent exercer les mêmes droits que les syndicats eux-mêmes (Cass. Ass. Plén. 30 juin 1995 Grintzesco c/GIE Pari-mutuel hippodrome).

Dès lors, la question posée par les patrons qui contestent à l’union syndicale Solidaires le droit de désigner un représentant de la section syndicale d’entreprise est celle des rapports entre les syndicats et les unions auxquelles ils adhérent. Et, plus précisément, la question de la résolution d’un conflit éventuel d’attribution dans les désignations de représentants du syndicat.

Un syndicat légalement constitué est, sans aucun doute, une personne morale autonome, au même titre qu’une union de syndicats.

En adhérant à une union, le syndicat ou l’union consentent une limitation de leur autonomie qui est variable, en fonction des statuts de l’union (ou des unions) à laquelle ils adhèrent.
La capacité d’intervention d’une union dans la vie d’un syndicat adhérent dépend de ce que ses propres statuts prévoient : dans les décisions judiciaires relatives aux rapports entre les syndicats et leurs unions ou les unions entre elles, ce sont les statuts qui relient les organisations les unes aux autres qui sont toujours visés, avec un même impératif : respecter les règles que ces organisations se sont elles-mêmes données ou auxquelles elles ont adhéré. C’est le sens des exemples donnés par l’article par Pascal Moussy.

C’est pour cette raison et elle seule que l’attendu précité de la cour de cassation dans l’affaire Vigimark précise qu’il n’existe pas « d’organisation adhérente compétente dans le champ géographique et professionnel couvrant cette dernière (l’entreprise) » et que, par voie de conséquence, l’union de syndicats peut procéder à une désignation. Car, dans les faits, «  l’article 4 des statuts de l’union syndicale prévoyait expressément que l’union s’interdisait d’intervenir dans le champ des compétence propre des organisations sauf demande expresse de ses adhérents  ».

C’est parce que les statuts que s’est donnés l’union Solidaires l’interdisent que cette union ne peut désigner de représentant sur le champ territorial et professionnel d’un syndicat déjà existant et non en raison d’un principe de portée générale . Cette solution est la conséquence de l’arrêt précité de 1995 qui indiquait que «  sauf stipulation contraire  », l’union de syndicats peut exercer les mêmes droits que le syndicat lui-même.

Lorsque, par exemple, deux désignations successives et concurrentes, faites sous un même sigle syndical, sont contestées par l’employeur ou les désignataires, le juge a pour coutume de vérifier si la première désignation est régulière, quelque soit le « niveau » de l’organisation qui a procédé à la désignation. Lorsque c’est le cas, ce sera elle qui l’emportera, que le premier désignataire soit le syndicat compétent ou une union de syndicats également compétente, sans règle de priorité ou d’exclusivité entre les organisations, ni ascendante, ni descendante (Cass. Soc. 14 janvier 1976, 25 février 1976, 29 mai 1991).

Si par exemple une fédération a désigné le 25 avril 2008 un délégué syndical dans une entreprise de 400 salariés et que le lendemain, un syndicat adhérent de cette fédération a également procédé à la désignation d’un délégué syndical dans la même entreprise et que les deux structures ont procédé à ces désignations en application de leurs statuts respectifs, c’est la désignation fédérale qui l’emportera. Si la désignation du syndicat avait précédé celle de la fédération, elle l’aurait emporté.

C’est une solution logique car l’on ne peut établir de hiérarchie entre des syndicats et leurs unions ou entre les unions elle-mêmes, hormis celle qu’ils auraient éventuellement consentie dans leurs statuts.

Comment, par exemple, établir une hiérarchie entre la désignation faite d’un délégué syndical par une union départementale interprofessionnelle et celle faite par une fédération professionnelle, toutes deux compétentes dans le champ territorial et professionnel d’une même entreprise ? Cette « cuisine interne » ne regarde pas la juge (Cass. Soc. 14 janvier 1976, 25 février 1976, 29 mai 1991).

Faut-il, dès lors, rouvrir le débat sur l’existence de « syndicats primaires » (et non d’entreprise), en prise directe avec les salariés, qui pourraient désigner des délégués et des structures « secondaires » dont les missions les cantonneraient dans un rôle de « suppléance », comme le suggère Pascal Moussy ? C’était justement l’un des débats tranché par l’arrêt précité de 1995. Une telle distinction serait, de toutes les façons, impossible : à l’époque déjà, les conclusions de l’avocat général pointaient les impasses d’une telle direction : les pratiques et les statuts des organisations syndicales sont loin d’être aussi tranchés et limpides. Cette distinction serait, surtout, contraire à l’histoire du développement du mouvement syndical qui s’est construit, jusqu’en 1968, en dehors de l’entreprise.

Que des désignations concurrentes puissent émaner d’un même sigle syndical peut paraître aberrant : ce sont des situations qui existent, pourtant et qui, pour le juge, doivent être réglées par les organisations elles-mêmes, au travers de leurs statuts. C’est ainsi que le juge a pu admettre qu’une union départementale désigne un délégué syndical en dehors du territoire de son département parce que les statuts de cette union le permettaient (Cass. Soc. 4 février 2004 Sté Adecco c/ Soler) !

Une solution, qui permettrait à un syndicat d’entreprise d’avoir une exclusivité de principe dans le droit de désigner constituerait, en outre, un danger pour l’implantation syndicale dans l’entreprise.

Plusieurs cas de figure sont en effet possibles, dont les plus probables sont les suivants : celui du syndicat (ou d’une union) qui n’existerait plus que sur le papier, déserté par ses adhérents et, surtout, celui du syndicat récemment créé qui ne peut, avant l’écoulement de deux années, désigner de représentants, en application de la loi du 20 août 2008. Imagine-t-on les conséquences ubuesques avec un syndicat qui ne pourrait pas désigner de représentant, ni son union en raison de l’existence de ce syndicat ?

La difficulté ne peut être résolue en « réservant » comme le fait Pascal Moussy, au seul syndicat concerné le droit de contester la désignation : lorsqu’une désignation est illégale, le patron peut toujours la contester, quelque soit la nature de cette illégalité. C’est bien une contestation patronale qui a donné naissance à l’arrêt Vigimark, sans que le patron n’ait eu à se prévaloir de la contestation d’un syndicat « Solidaire » compétent !

Une volonté de la cour de cassation de créer une hiérarchie au profit du syndicat d’entreprise n’aurait pas de sens : en droit, un syndicat d’entreprise n’est pas plus autonome qu’un syndicat local ou départemental ou régional, ou encore une union syndicale ! Si hiérarchie il y a, elle ne peut résulter que de son acceptation par l’entité autonome lors de son adhésion à une union.

L’arrêt Vigimark n’est, donc, que la réaffirmation, pleine de bon sens, de l’obligation pour une organisation syndicale de respecter ses propres statuts.

C’est parce que les statuts de l’union Solidaires s’interdisaient de désigner un représentant dans le champ de compétence d’un syndicat adhérent que la Cour de cassation a mentionné l’absence d’un tel syndicat pour rejeter le pourvoi formé par la société Vigimark. Ce n’était pas pour instaurer la supériorité du syndicat d’entreprise dans la hiérarchie de l’organisation syndicale, sauf à s’immiscer dans le droit des organisations syndicales de s’organiser librement !


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