C’est la concomitance le premier instrument de mesure de la discrimination syndicale
« La discrimination, c’est une différence de traitement qui sort du champ de la rationalité pour rentrer dans les arcanes de l’insolite. C’est ce dernier trait qui va alerter le juge et faire considérer comme « suspecte » la différenciation observée » (P. MOUSSY, « Le référé prud’homal face aux discriminations », Dr. Ouv. 1992, 372).
En matière d’évolution salariale et de déroulement de carrière, la situation « insolite » du syndicaliste peut apparaître à l’issue d’un travail de comparaison avec d’autres salariés. Le mauvais traitement réservé au militant syndical va retenir l’attention du juge qui a minutieusement examiné l’évolution de la carrière professionnelle des demandeurs syndicalistes, constatant la stagnation de celle-ci à partir de tableaux comparatifs, fournis par eux, de l’évolution de la carrière de leurs collègues ayant la même ancienneté et engagés au même niveau de qualification, appartenant au même atelier (voir J.M. VERDIER, note sous CPH Paris, 4 juin 1996, Hennequin et autres contre Sté Automobiles Peugeot, Dr. Ouv. 1996, 385).
Mais le contentieux de la discrimination syndicale n’est pas né avec les actions prud’homales visant à obtenir réparation du préjudice causé par un déroulement de carrière discriminatoire. C’est la contestation de licenciements frappant des salariés engagés dans l’action syndicale qui a d’abord conduit à solliciter l’intervention des juges pour qu’ils prononcent la nullité de la mesure patronale attentatoire aux textes protecteurs de l’activité syndicale.
La lecture des arrêts de la Cour de Cassation rendus à l’occasion du contentieux du licenciement des militants syndicaux met en évidence que c’est la constatation d’une concomitance, d’une simultanéité entre la découverte par l’employeur de l’activité ou de l’engagement syndical et le déclenchement de la procédure de licenciement qui a permis l’appréhension judiciaire de la discrimination syndicale.
La discrimination syndicale a notamment été relevée et condamnée dans les cas suivants.
C’est juste au moment où il présente, au nom de ses collègues de travail, des revendications tendant au paiement régulier des salaires et des heures supplémentaires qu’un salarié se voit reprocher des propos insultants entraînant une procédure de licenciement (Cass. Soc. 4 mai 1994, CSBP n° 61, A 35).
C’est après avoir participé à des mouvements de protestation, et notamment à une grève, contre une modification des conditions de rémunération, qu’un salarié est licencié pour « avoir bloqué le dialogue dans l’entreprise ». Les juges ont retenu que la véritable cause du licenciement résidait dans la seule volonté de l’employeur de se séparer d’un salarié en raison de son intervention auprès de l’employeur à la demande d’un syndicat (Cass. Soc. 13 mai 2008, Dr. Ouv. 2008, 630, note E. RICHARD).
L’existence d’une discrimination prohibée a été caractérisée par le licenciement d’une salariée intervenu au début de mois de mai 2004 en même temps que celui de deux autres salariés, ayant décidé de créer avec elle le 31 mars 2004 une section syndicale en vue des élections professionnelles (Cass. Soc. 23 septembre 2008,
n° 07-42394).
L’appréhension du comportement patronal illicite par le jeu de la concomitance fait donc partie des fondamentaux de la condamnation de la discrimination syndicale. Le contentieux suscité par le mauvais traitement du syndicaliste en matière d’évolution salariale et de déroulement de carrière ne pouvait pas rester hors d’atteinte de l’intelligence de la situation discriminatoire permise par la constatation de la concomitance.
En février 2009, à l’occasion du procès engagé par un syndicaliste du Crédit Agricole mal traité en ce qui concerne son déroulement de carrière, et qui avait gagné devant les juges du fond, le rapporteur (qui a été suivi) proposait la non-admission du pourvoi pour absence de moyen sérieux, après avoir relevé que « certes, l’existence de la discrimination résulte souvent d’une comparaison » mais que « cette comparaison n’est évidemment pas une obligation, dès lors que la discrimination peut être établie par d’autres éléments. Le gel de la carrière d’un salarié à partir du moment où ce dernier commence à manifester une activité syndicale est un élément en soi suffisant, de même que l’absence de promotion de l’intéressé, alors que son parcours professionnel aurait dû lui permettre une telle promotion ».
Par son arrêt du 10 novembre 2009, qui est un arrêt de cassation, et qui présente l’avantage de la motivation si on le compare à une décision de non-admission, la Chambre Sociale se réfère explicitement à la règle fondamentale de la concomitance. « L’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés ». « En se déterminant comme elle l’a fait, sans rechercher si le ralentissement de la carrière de la salariée et les difficultés auxquelles elle a été confrontée, dès après sa participation à un mouvement de grève, ne laissaient pas supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Pour appréhender la discrimination, il est nécessaire (et c’est parfois suffisant) que le juge du fond porte son attention sur le moment où surgissent les réactions suspectes de l’employeur, qui refuse de se laisser émerveiller par la découverte du fait syndical.
Pascal MOUSSY
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Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
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