Chronique ouvrière

AIRBUS à l’honneur : première entreprise condamnée en matière prud’homale pour discrimination raciale à l’embauche !

L’arrêt du 19 février 2010 de la Cour d’Appel de Toulouse

La société AIRBUS a eu recours aux services d’un travailleur d’origine maghrébine dans le cadre de plusieurs missions de travail temporaire, d’abord comme fraiseur commandes numériques, ensuite comme affûteur. Pendant l’exécution de l’une de ses missions, l’intérimaire a présenté auprès d’AIRBUS sa candidature pour un emploi à durée indéterminée en qualité de technicien au sein du département productique. Cette candidature n’a pas été retenue, AIRBUS préférant recruter un autre intérimaire « français de souche » en qualité d’affûteur commande numériques.

Estimant avoir été victime d’un traitement discriminatoire en raison de son nom d’origine maghrébine, le travailleur éconduit par AIRBUS saisissait la HALDE, puis le Conseil de prud’hommes. Il demandait à la juridiction prud’homale, sur le fondement de l’article L. 1132-1 du Code du Travail (qui interdit d’écarter une personne d’une procédure de recrutement en raison de son origine ou de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race) et de l’article L. 1132-4 du même code ( qui frappe de nullité tout acte pris en méconnaissance du principe de non-discrimination), de condamner la société AIRBUS à procéder à son embauche. L’intéressé était activement soutenu par le syndicat CGT AIRBUS et par la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT, qui se constituaient parties intervenantes à ses côtés.

Le Conseil de prud’hommes n’ayant pas voulu entrer en voie de condamnation, un appel était formé. Par son arrêt du 19 février 2010, la Cour d’appel de TOULOUSE a reconnu l’existence d’une discrimination à l’embauche fondée sur un nom d’origine maghrébine. C’est, à notre connaissance, la première fois qu’un employeur est condamné en matière prud’homale pour discrimination raciale au moment du recrutement.

I. La discrimination raciale a été appréhendée par une application méticuleuse de la démarche probatoire voulue par la loi.

L’article L. 1134-1 du Code du Travail dispose que, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions posant le principe de non-discrimination, le candidat à un emploi présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Dans la présence espèce, les juges se sont tout d’abord attachés à vérifier que le candidat à l’embauche ayant un nom d’origine maghrébine présentait des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.

Ils ont relevé que le candidat non retenu justifiait d’une durée d’emploi comme intérimaire chez la société AIRBUS supérieure d’une année à celle de l’intérimaire recruté (qui avait un nom à la consonance bien française).

Ils ont constaté que le candidat évincé fournissait des éléments faisant ressortir qu’il avait fait la démonstration de ses capacités professionnelles lors de sa précédente affectation comme fraiseur commandes numériques. Et ils ont souligné que l’allégation de la société AIRBUS selon laquelle le candidat retenu aurait présenté l’avantage d’avoir travaillé sur des machines à commande numérique « nouvelle génération » n’était aucunement corroborée par les contrats de travail ou par le procès-verbal de constat d’huissier versés au dossier.

Les juges ne sont pas restés insensibles aux chiffres faisant apparaître que, sur 288 personnes recrutées par AIRBUS entre 2000 et 2006, deux seulement ont un patronyme d’origine maghrébine et que, pour la période du 1er janvier 2005 au 30 juillet 2006, sur le site de Saint Eloi, le registre unique du personnel révèle qu’aucun des 43 agents de qualification embauchés à contrat indéterminée n’a de patronyme à consonance maghrébine.

La société AIRBUS a tenté de faire tomber la présomption de discrimination qui ressortait des éléments fournis par le candidat d’origine maghrébine en mettant en avant des « éléments objectifs » présentés comme de nature à justifier la différence de traitement.

Elle a fait tout d’abord valoir que le candidat choisi avait un niveau bac professionnel que ne possédait pas le candidat évincé.

Les juges n’ont pas retenu cet argument comme très convaincant. Il ont en effet relevé qu’aucun élément ne faisait apparaître que, avant qu’il soit procédé à l’embauche litigieuse, le niveau bac professionnel était considéré comme une exigence indispensable pour l’occupation du poste d’affûteur commande numérique et qu’il n’y avait pas eu de définition préalable, en termes de niveau de formation et d’expérience professionnelle, des exigences requises pour occuper le poste considéré.

La société AIRBUS a ensuite cherché à légitimer son choix par l’affirmation que le profil du candidat embauché au regard de son expérience professionnelle était plus favorable que celui du candidat non admis.

La lecture attentive des comptes-rendus d’entretien et des curriculum-vitae versés au dossier a permis aux juges de constater que cette allégation d’une plus grande expérience professionnelle du candidat préféré manquait en fait.

L’employeur n’ayant pas rapporté la preuve du caractère objectif des éléments ayant justifié son choix, la Cour d’appel de TOULOUSE n’a pu que retenir à l’encontre de la société AIRBUS l’existence d’une discrimination à l’embauche fondée sur un nom d’origine maghrébine.

II. Un choix d’une réparation uniquement indemnitaire de nature à susciter des réserves des plus légitimes.

Les juges d’appel n’ont pas donné de suite favorable à la demande du candidat à l’embauche discriminé tendant à ce qu’il soit ordonné à la société AIRBUS de l’embaucher, considérant que la réparation du préjudice résultant de la discrimination à l’embauche ne peut consister que dans l’allocation de dommages-intérêts.

Un paragraphe de l’arrêt est consacré à donner l’explication de ce choix d’une réparation uniquement indemnitaire. « S’il est admis en matière de discrimination au sein de l’entreprise portant sur le déroulement de carrière que le salarié discriminé peut prétendre à l’obtention d’une reclassification ordonnée par le juge, il en va autrement en matière de discrimination à l’embauche, dans la mesure où la juridiction n’a pas la faculté de contraindre l’employeur à conclure un contrat de travail ».

Cette affirmation d’une impuissance du juge face au pouvoir d’embauche de l’employeur, qui serait consacré comme souverain, ne peut que susciter de sérieuses réserves.

Il est aujourd’hui acquis que le pouvoir de direction de l’employeur, qui se décompose en un pouvoir de gestion de l’entreprise et un pouvoir de direction des personnes, est limité par les règles de non-discrimination. Celles-ci « mettent « hors la loi » un certain nombre de motifs de décision qu’il s’agisse de recruter, de « gérer » le personnel ou d’évincer des salariés » (voir J. PELISSIER, A. SUPIOT,
A. JEAMMAUD, Droit du travail, 24e éd., Dalloz, 2008, 725 et s.).

L’impératif de non-discrimination atteint la souveraineté du détenteur de pouvoir de décision aussi bien au moment de la conclusion du contrat de travail que tout au long du déroulement de la relation de travail.
Il doit être relevé par ailleurs que la « reclassification » mentionnée par la Cour d’appel de TOULOUSE présente en commun avec l’embauche de ne pas être une mesure de remise en état. Le salarié promu à la nouvelle classification à laquelle il peut normalement prétendre comme le candidat à l’emploi qui ne saurait légitimement lui être interdit n’aspirent pas à revenir à la situation antérieure à l’intervention de l’acte illicite. Ils manifestent l’exigence de ne pas voir la discrimination leur interdire l’accès à un nouveau statut.

L’arrêt de référence de la Cour de cassation concernant la « reclassification » est plein d’enseignement.

Les juges du fond avaient débouté le salarié de sa demande de reclassification en faisant valoir que le juge ne peut sanctionner les manquements de l’employeur que par l’allocation de dommages et intérêts réparant le préjudice matériel et moral subi par l’intéressé, ne pouvant se substituer à l’employeur dans l’exercice de ses prérogatives. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation qui souligne que « la réparation intégrale d’un dommage oblige à placer celui qui l’a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement n’avait pas eu lieu » (Cass. Soc. 23 novembre 2005, Bull., V, n° 332).

Si un salarié a été exclu d’une embauche en raison d’une discrimination (la situation se présentant différemment si plusieurs salariés sont victimes du comportement illicite), il est difficilement contestable que la réparation intégrale du dommage impose au détenteur du pouvoir de gestion de l’entreprise de conclure le contrat de travail avec celui qui aurait accédé à l’emploi si le principe de non-discrimination avait été respecté.

Il a été relevé que l’embauche est le « moment où la discrimination est la plus simple à réaliser et la plus discrète » et que, par voie de conséquence, « de toutes les situations encadrées par le droit du travail, le recrutement est l’une de celles qui comportent les plus grandes risques pour les libertés » (voir J. LE GOFF, Droit du travail et société, tome I, 183 et s.).

La discrimination raciale à l’embauche est non seulement dangereuse pour les libertés. Elle est aussi attentatoire à la dignité de la personne et, à ce titre, susceptible de faire l’objet d’une condamnation pénale (voir CA Paris, 17 octobre 2003, RJS 2/04, n° 171).

Il serait pour le moins paradoxal que l’employeur coupable d’un tel délit puisse, en vertu des dispositions de l’article 225-2 du Code pénal, se retrouver sous les verrous pendant trois ans tout en voyant, en matière prud’homale, consacrer sa prérogative de laisser le discriminé dehors.


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