Le forfait jours ne peut s’appliquer dans la branche des hôtels cafés restaurants
Par jugement en date du 7 avril 2010 la formation de départage du Conseil de Prud’hommes de PARIS a jugé abusif le licenciement d’un cadre autonome au « forfait jours » et a fait droit à une partie de sa demande d’heures supplémentaires, en jugeant que les dispositions de l’article 13 de l’accord de branche du 13 juillet 2004 des HCR et de l’article 6 de l’accord du 15 mai 2002 de l’hôtel du LOUVRE sont totalement insuffisantes pour s’assurer que le salarié dispose d’une garantie en matière de respect de la durée maximale du travail quotidienne et hebdomadaire et du respect du temps de repos tant quotidien qu’hebdomadaire.
Ce jugement rappelle également qu’un engagement unilatéral doit toujours s’appliquer en l’absence de dénonciation, même s’il est prétendu qu’il n’a jamais reçu application, ce dont .il appartient à l’employeur de rapporter la preuve.
Le syndicat CGT des hôtels de Prestige et économiques dont le champ d’intervention comprend la SAS LV HÔTEL qui exploite l’hôtel du LOUVRE, s’est constitué partie civile dans cette affaire en application de l’article L 411-11 devenu L 2132-3 du code du travail, a obtenu des dommages et intérêts et un article 700 du CPC :
« - Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ».
En effet les dirigeants de cette société ont causé un grave préjudice à l’intérêt collectif de la profession par leurs agissements quasi délictueux consistant à écarter de la négociation d’un accord d’établissement, portant notamment sur l’instauration d’un forfait jours pour les cadres autonomes, le syndicat CGT, majoritaire au sein de la SA des hôtels concorde qui comprenait à l’époque trois établissements, l’hôtel Concorde La Fayette, l’hôtel de Crillon et l’Hôtel du Louvre (devenus en 2006 des entreprises distinctes regroupées au sein d’une UES).
Une occasion de rappeler la nécessité pour les syndicats d’intervenir plus souvent devant les juridictions prud’homales.
S’agissant de l’article 13 de l’avenant n°1 du 13 juillet 2004 à la CCN applicable des HCR il ne saurait être opposé aux cadres autonomes.
L’article L212-15-3 III du code du travail devenu sur ce point l’article L3121-45, dans sa rédaction applicable jusqu’à l’intervention de la loi du 20 août 2008, dispose :
« - Pour les cadres mentionnés à l’Article L3121-38, la convention ou l’accord collectif de travail qui prévoit la conclusion de conventions de forfait en jours fixe le nombre de jours travaillés.
Ce nombre ne peut dépasser le plafond de deux cent dix-huit jours.
Cette convention ou cet accord prévoit :
1° Les catégories de cadres intéressés au regard de leur autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps ;
2° Les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos ;
3° Les conditions de contrôle de son application ;
4° Des modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés, de l’amplitude de leurs journées d’activité et de la charge de travail qui en résulte. »
La Cour de cassation exerce un contrôle très strict sur ces exigences de la loi, le régime des cadres au forfait jours étant hautement dérogatoire à toutes les règles fixées par le code du travail sur les durées maximales du travail
Par deux arrêts du 13 décembre 2006 Sté EY LAW et Sté ADSN, la Cour de cassation a jugé qu’en l’absence de ces modalités dans l’accord, le salarié était recevable à demander le paiement de ses heures supplémentaires.
Le forfait jours est en effet sous haute surveillance du Comité européen des droits sociaux qui dans sa décision du 12 octobre 2004 a constaté que l’article L 212-15-3 violait les dispositions de l’article 2 Paragraphe 1 de la charte sociale européenne révisée, en raison de l’absence de garanties suffisantes et de la durée excessive du travail hebdomadaire autorisée, à savoir 78h avec des journées de 13h sur 6 jours, respectant ainsi les 11h minimum et les 35h hebdomadaires fixés par le code du travail français et générant des cas répétés de suicides de cadres dans les entreprises en raison du stress qu’occasionnent de tels horaires.
Le forfait jours viole également l’article 4 paragraphe 2 de la même chartre par absence de majorations des heures supplémentaires.
Actuellement les dispositions de la loi du 20 août 2008 ont fait l’objet de recours devant les instances européennes, qui ont de bonnes chances d’aboutir, au regard, notamment, de la durée maximale hebdomadaire du travail qui reste fixée à 48 heures par semaine en moyenne, malgré les assauts répétés des lobbys patronaux et des libéraux de tous poils.
Les partenaires de la branche des HCR sont d’ailleurs parfaitement conscients de la non opposabilité de cet article 13 aux cadres puisque dans l’avenant n°2 du 5 février 2007, étendu par arrêté du 28 mars 2007, ils ont disposé au titre X intitulé « thèmes de négociation prioritaires » :
« Les partenaires sociaux s’engagent de façon prioritaire, hors négociation de salaires et hors prévoyance et, en tout état de cause, avant fin 2007, lors de la prochaine commission mixte paritaire :
à négocier de nouvelles dispositions relatives au temps de repos entre 2 journées de travail afin de porter notamment à 9 heures ce temps de repos en cas de surcroît d’activité et avec l’accord du salarié ;
- à examiner le statut des cadres ;
à mettre en place la commission nationale d’interprétation et de conciliation prévue à l’article 5 de la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants de 1997 ».
La problématique du mandatement
La DDTE a refusé d’enregistrer l’accord signé à l’hôtel du LOUVRE avec un salarié « mandaté », ce qui est impossible juridiquement quand l’entreprise est pourvue de délégués syndicaux centraux et qu’il n’y a pas de sections syndicales au sein de l’établissement, cadre de la négociation.
En effet l’article 6 de la loi n°96-985 du 12 novembre 1996 relative, notamment, au développement de la négociation syndicale, applicable en 2002, dispose :
« Art. 6. - I. - A titre expérimental, pour atteindre l’objectif de développement de la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux en préservant le rôle des organisations syndicales énoncé au paragraphe 2.3 de l’accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif aux négociations collectives, des accords de branche pourront déroger aux articles L. 132-2, L. 132-19 et L. 132-20 du code du travail dans les conditions fixées ci-après.
Ces accords devront être négociés et conclus avant le 31 octobre 1998, pour une durée ne pouvant excéder trois ans, en commission composée des représentants des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives.
II. - Les accords de branche mentionnés au I pourront prévoir qu’en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, ou de délégués du personnel faisant fonction de délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les représentants élus du personnel négocient la mise en oeuvre des mesures dont l’application est légalement subordonnée à un accord collectif.
Les accords de branche devront fixer les thèmes ouverts à ce mode de négociation.
Les textes ainsi négociés n’acquerront la qualité d’accords collectifs de travail qu’après leur validation par une commission paritaire de branche, prévue par l’accord de branche. Ils ne pourront entrer en application qu’après avoir été déposés auprès de l’autorité administrative dans les conditions prévues à l’article L. 132-10 du code du travail, accompagnés de l’extrait de procès-verbal de la commission paritaire compétente. Cette commission pourra se voir également confier le suivi de leur application.
III. - Les accords de branche mentionnés au I pourront également prévoir que, dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux et dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégués du personnel faisant fonction de délégué syndical, des accords collectifs peuvent être conclus par un ou plusieurs salariés expressément mandatés, pour une négociation déterminée, par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives.
Les modalités de protection de ces salariés et les conditions d’exercice de leur mandat de négociation seront arrêtés par les accords de branche. Ces accords pourront prévoir que le licenciement des salariés mandatés ainsi que, pendant un délai qu’ils fixeront, le licenciement de ceux dont le mandat a expiré seront soumis à la procédure prévue à l’article L. 412-18 du code du travail.
IV. - Les accords de branche prévus aux I à III détermineront également le seuil d’effectifs en deçà duquel les formules dérogatoires de négociation qu’ils retiennent seront applicables.
V. - Pour atteindre l’objectif d’amélioration des conditions de représentation collective des salariés, notamment dans les petites et moyennes entreprises, énoncé au paragraphe 2.2 de l’accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 précité, des accords de branche pourront être négociés et conclus avant le 31 octobre 1998, dans les conditions prévues au I du présent article.... ; »
La loi n’a jamais voulu ouvrir cette possibilité aux « établissements » dépourvus de délégués syndicaux mais bien aux entreprises dépourvus de délégués syndicaux, et a été conçue essentiellement pour favoriser le dialogue social dans les PME PMI.
Il était donc impossible à la SA des Hôtels Concorde de négocier un accord d’établissement au sein du seul hôtel du Louvre, cette société étant pourvue de délégués syndicaux centraux et aucun accord sur le mandatement n’ayant été conclu dans la branche des Hôtels cafés restaurant.
La direction en était d’ailleurs parfaitement consciente puisqu’elle avait conviée à la négociation le délégué syndical central pour la CGC, mais pas celui de la CGT !
Ce faisant elle a commis un délit d’entrave au droit syndical en ne convoquant pas la CGT.
Par arrêt en date du 8/07/2009 Sud banques c/ BNP PARIBAS, la Cour de cassation a jugé qu’un accord collectif ne peut être conclu ou révisé sans que l’ensemble des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, ou le cas échéant dans l’établissement, ait été invité à la négociation.
Plus grave, bien qu’avisée de l’irrégularité de cet accord par l’administration la direction est passée outre, l’a appliqué et continue à l’appliquer en infraction avec l’article L 212-15-3 devenu sur ce point l’article L 3121-40 du code du travail :
« - La conclusion de conventions de forfait est prévue par une convention ou un accord collectif de travail étendu ou par une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement.
Cette convention ou cet accord prévoit les catégories de cadres susceptibles de bénéficier de ces conventions individuelles de forfait ainsi que les modalités et les caractéristiques principales des conventions de forfait susceptibles d’être conclues.
A défaut de convention ou d’accord collectif de travail étendu ou de convention ou d’accord d’entreprise ou d’établissement, des conventions de forfait en heures ne peuvent être établies que sur une base hebdomadaire ou mensuelle. »
On ne partagera donc pas sur ce point du mandatement l’analyse de la formation de départage du Conseil de prud’hommes qui a, à notre sens, dénaturé les dispositions de l’article 19 VI de la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, les circulaires ministérielles n’ayant pas force de loi.
En effet cette loi ne remet pas en cause la nécessité de l’existence d’un accord de branche pour procéder au mandatement, reprise dans la loi 2004-391, article 47, du 4 mai 2004.
De plus, le Conseil de prud’hommes se devait de vérifier si les syndicats avaient été informés au plan départemental ou local par l’employeur de sa décision d’engager des négociations, le syndicat CGT soutenant, sans être contredit, qu’il ne l’avait pas été.
Claude LEVY
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