Chronique ouvrière

Retraite : les cheminots ne lâchent pas prise. En finir avec la taule, d’accord ! Mais avec une pension à taux plein !

vendredi 8 octobre 2010 par Pascal MOUSSY
CA Limoges 1 Juillet 2010.pdf

En vertu d’une habilitation donnée par un décret du 5 août 1953 relatif au régime des retraites des personnels de l’Etat et des services publics, un décret en date du 9 janvier 1954, toujours en vigueur, a prévu, dans son article 2, que la SNCF peut prononcer d’office l’admission à la retraite pour ancienneté des agents ayant comptabilisé vingt-cinq années de service et ayant atteint l’âge de cinquante ans, s’il s’agit de conducteurs, ou de cinquante-cinq ans, s’il s’agit d’agents sédentaires.

Une loi du 30 juillet 1987 a donné naissance à l’article L. 122-14-13 du Code du Travail (correspondant, avec la recodification, aux actuels articles L. 1237-4 à
L. 1237-8) soumettant la faculté de l’employeur de rompre le contrat de travail en n’invoquant pas d’autre motif que la survenance de l’âge à la condition que le salarié puisse à ce moment bénéficier d’une pension à taux plein.

Les agents de la SNCF ne se sont pas vus pour autant reconnaître le droit de partir avec l’indemnité de départ à la retraite garantie par les dispositions de l’article
L. 122-14-13, lorsqu’ils sont mis à la retraite d’office. Par un arrêt du 21 juin 1995 (Dr. Ouv. 1996, 128 et s., note Francis SARAMITO), le Conseil d’Etat a posé le principe que la loi du 30 juillet 1987 n’était pas applicable aux agents de la SNCF dont la rupture du contrat de travail pour mise à la retraite est régie par le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, notamment dans les conditions prévues par le décret du 9 janvier 1954.

Une nouvelle loi intervenait, susceptible de changer la donne.

La loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations enrichissait l’article L.122-45 du Code du Travail en interdisant le licenciement en raison de l’âge et frappant de nullité toute disposition ou tout acte contraire (dispositions reprises par les actuels articles L. 1132-1 à L. 1132-4).

La Cour de Cassation devait en déduire, par un arrêt du 21 décembre 2006 (n° 05-12.816 ; Liaisons Sociales du 16 janvier 2007, n° 09/2007), que la rupture du contrat de travail, en raison de l’âge, d’un salarié ne bénéficiant pas d’une retraite à taux plein, constituait un licenciement nul.

Mais le Conseil d’Etat, de son côté, considérait que les nouvelles dispositions légales interdisant la discrimination en raison de l’âge n’avaient aucun impact sur le décret du 9 janvier 1954. Par un arrêt du 19 mai 2006 (n° 274692), il affirmait que la possibilité ouverte à la SNCF de mettre d’office à la retraite tout agent qui remplit les conditions d’âge et de durée de services valables définies par le règlement de retraites ne constitue pas une discrimination interdite par l’article L. 122-45 du Code du Travail. Par un arrêt du 11 mars 2009 (n° 320127), il précisait que la possibilité de mise à la retraite d’office reconnue à la SNCF est une disposition statutaire qui s’applique à tous les agents de cette entreprise relevant de la même catégorie et qui ne méconnaît donc pas le principe d’égalité.

Mais le contentieux prud’homal engagé par des agents de la SNCF déterminés à faire constater la nullité de leur mise à la retraite d’office a donné l’occasion à des cours d’appel de déclarer que la messe n’avait pas été dite par le Conseil d’Etat.

Par un arrêt du 2 juin 2009 (Dr. Ouv. 2010, 376 et s., note Francis SARAMITO), la Cour d’appel de Paris a souligné que si les dispositions de l’article 2 du décret du 9 janvier 1954 « ne constituent pas en elles-mêmes une discrimination interdite par l’article L. 1132-1 du Code du travail ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 19 mai 2006, il convient de vérifier que leur application en l’espèce répond aux conditions exigées par l’article L. 1133-1 du même code, transposition en droit interne de l’article 6 de la directive européenne 2000/78/CE ».

La Cour de justice des communautés européennes, par un arrêt du 5 mars 2009 (Dr. Ouv. 2010, 161 et s., note Michèle BONNECHERE), a présenté la directive du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail comme permettant certaines formes de différence de traitement fondées sur l’âge lorsqu’elles sont « objectivement et raisonnablement justifiées » par un objectif légitime, tel que la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Dans le même ordre d’idées, l’article L. 1133-1 du Code du Travail, issu d’une loi du 27 mai 2008, précise que « l’article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnelle ».

La Cour d’Appel de Paris en a déduit qu’il appartient à la SNCF de démontrer que la différence de traitement appliquée à un agent mis à la retraite d’office, fondée sur son âge, par comparaison aux employés n’ayant pas encore atteint cet âge, est justifiée par un objectif légitime et que le moyen de sa mise à la retraite d’office pour réaliser cet objectif est approprié et nécessaire.

Après avoir relevé que la SNCF n’avait pas précisé l’objectif qu’elle avait poursuivi en décidant la mise à la retraite contestée et ne s’était pas expliquée sur le caractère approprié et nécessaire de cette mesure pour remplir son objectif, la Cour de Paris
n’a pu que juger que cette mise à la retraite d’office constituait une mesure individuelle discriminatoire contraire à l’article L. 1132-1 du Code du Travail, qu’elle était nulle et de nul effet et qu’il devait être ordonné à la SNCF de réintégrer l’agent concerné dans ses effectifs avec effet rétroactif.

Tout récemment, par son arrêt du 1er juillet 2010, la Cour d’Appel de Limoges a enfoncé le clou.

La Cour de Limoges a souligné que, sur le fondement de la directive européenne du 27 novembre 2000 ayant pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre les discriminations et notamment fondées sur l’âge en ce qui concerne l’emploi et le travail, « il incombe à la juridiction nationale d’assurer le plein effet du principe général de non discrimination en fonction de l’âge en laissant inappliqué toutes dispositions contraires de la loi nationale et a fortiori des règlements ».

Elle a également relevé que le principe général de non discrimination existe également au niveau national en droit commun du travail où il est présent dans les dispositions du Code du travail qui interdisent le licenciement en raison de l’âge et qui prévoient que si la condition d’une retraite à taux plein n’est pas remplie lors de la mise à la retraite par l’employeur, il y a une rupture du contrat de travail constitutive d’un licenciement.

La Cour d’Appel de Limoges en a déduit qu’en mettant à la retraite d’office un agent n’ayant pas droit à une pension vieillesse à taux plein, la SNCF a porté atteinte au principe de non discrimination et a procédé ainsi à un licenciement nul.

Dans l’arrêt précité du mars 2009, la CJCE a relevé que la directive du 27 novembre 2000 laissait aux Etats membres de prévoir, dans le cadre du droit national, certaines formes de différence de traitement fondées sur l’âge. Le législateur français, pour sa part, n’a pas admis que la différence de traitement fondée sur l’âge permette d’exiger le départ du travailleur sans qu’il bénéficie d’une pension à taux plein.

La décision prise par la Cour de Limoges est d’une brûlante actualité.

Il ne s’agit pas seulement de refuser d’attendre 62 ans pour pouvoir partir à la retraite. Quitter la taule, d’accord ! Mais avec un revenu présentant un minimum de décence. Le travailleur est en droit d’exiger le retour aux 37,5 années annuités de cotisations pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

A Chronique Ouvrière , nous n’avons aucune sympathie pour ceux qui essaient de convaincre doctement que l’allongement de l’espérance de vie ouvre légitimement la perspective d’une durée encore plus longue d’exploitation. Mais nous révérons Jacques Prévert, que nous nous permettons de plagier en guise de conclusion. « Dis donc, camarade Soleil, tu ne crois pas que c’est plutôt con de donner encore quelques belles années à un patron ? »


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