La sanction pécuniaire n’est pas consensuelle : la Cour de Cassation renouvelle l’hommage à Lénine
L’article 10 du contrat de travail d’un VRP prévoyait qu’en cas de non-réalisation de son chiffre d’affaires, il serait retenu sur son salaire une participation mensuelle proportionnelle au coût du véhicule de l’entreprise mis à sa disposition.
Une fois prononcée la rupture de son contrat de travail, l’intéressé a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le remboursement des retenues opérées par l’employeur en vertu de l’article 10 du contrat.
La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé contre la décision des juges du fond qui avaient accueilli favorablement la demande de remboursement présentée par le salarié. La Chambre Sociale a souligné que la prohibition des sanctions pécuniaires a un caractère d’ordre public auquel ne peut faire échec une disposition du contrat de travail, pour en déduire que la Cour d’appel avait exactement décidé que l’article 10 du contrat, en exécution duquel l’employeur avait, chaque mois, prélevé une somme fixe sur la rémunération du salarié au titre de l’avantage en nature lié au véhicule de l’entreprise mis à sa disposition, au motif que son chiffre d’affaires était insuffisant, était nul comme constituant une sanction pécuniaire.
Les dispositions de l’article L. 1331-2 (ancien article L. 122-42) du Code du Travail sont formelles. « Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ».
L’arrêt du 20 octobre 2010 ne constitue pas une première lorsqu’il considère que l’interdiction des sanctions pécuniaires concerne également les avantages en nature. Un arrêt du 12 décembre 2000 (n° 98-44760, Bull V n° 416) avait déjà posé le principe que la prohibition de la sanction pécuniaire s’opposait à la suppression de la fourniture d’un véhicule de société. Plus récemment, un arrêt du 7 juillet 2010 (RJS 10/10, n° 757) a affirmé que le fait de retirer à un salarié l’avantage statutaire constitué par l’attribution de billets d’avion à prix réduit, en raison d’un manquement de l’intéressé dans les conditions de son utilisation, présente le caractère d’une sanction pécuniaire illicite.
Mais il a été surtout relevé que la position prise par la Cour de Cassation dans l’arrêt du 20 octobre 2010 « s’inscrit de plus dans un mouvement plus large visant à éradiquer les clauses conventionnelles ou contractuelles autorisant, même indirectement, les sanctions pécuniaires » (Liaisons Sociales n° 15725 du 5 novembre 2010).
Par son arrêt du 11 février 2009 (n° 07-42584, Bull V n° 42), la Chambre Sociale répondait à ceux qui retenaient qu’il résultait d’accords sur les négociations sociales qu’une prime de fin d’année n’était pas due en cas de faute grave que la privation de cette prime constituait une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait faire l’objet d’une disposition conventionnelle.
L’arrêt du 20 octobre 2010 a élargi au contrat de travail cette règle posée à l’occasion du contentieux suscité par les dispositions d’un accord collectif.
Ce qui donne l’occasion de rappeler quelques principes fondamentaux.
La faute disciplinaire, qui s’analyse comme « un manquement aux règles de conduite inhérentes à une communauté de travail » (A. MAZEAUD, « Un élargissement, en jurisprudence, du domaine de la sanction pécuniaire », Dr. Soc. 1991, 470), doit être examinée dans le cadre de la procédure disciplinaire.
Cette procédure, et l’éventuel contrôle prud’homal qui s’ensuit, se caractérise par une « exigence de proportionnalité ».
« La sanction des conduites qui perturbent l’organisation patronale du travail relève d’un pouvoir disciplinaire qui doit garder un sens des mesures qui ne le fasse pas tomber dans l’arbitraire. La défense de l’employeur qui voit le salarié trahir son obligation contractuelle d’exécution du travail réside dans un pouvoir de procéder à une rétention salariale, à condition que celle-ci soit proportionnée à la valeur de la force de travail qui n’a pas été consommée (plus value déduite, cela va de soi). Mais ce principe de séparation est quelque peu troublé par la circonstance que l’autorité disciplinaire et l’ordonnateur des salaires soit la même personne. La contradiction est alors résolue par l’application de la règle première qui veut que tout travail doit être payé, l’employeur pouvant par ailleurs apporter une réponse disciplinaire à des modalités d’exécution « anormales ».
Ce rappel n’a rien de surprenant. Le contentieux de la police du travail repose ici sur la méthode de jugement de magistrats qui ont initialement appris que la fonction substantielle du contentieux prud’homal est de veiller à une exécution loyale par l’employeur de l’obligation de paiement du prix convenu de l’échange » (P. MOUSSY, « Le contrôle prud’homal de la qualification de la modification du poste de travail (contrôle social visant à l’incorporation du salarié dans le procès de travail ou reconnaissance judiciaire de l’identité ouvrière ?) », Dr. Ouv. 1994, 147).
Mais cette exigence d’une stricte séparation entre ce qui relève de l’action en responsabilité, en cas de manquement aux obligations contractuelles, et de l’action disciplinaire n’est pas vraiment chose nouvelle.
Il a été relevé (P. MOUSSY, art. préc., 146) qu’il y a déjà quelque temps un juriste soviétique célèbre a, à partir de l’étude des rapports que nouent patrons et ouvriers, fait un distinguo entre ce qui appartient à l’action civile et ce qui relève de l’action pénale. « On croit généralement que l’amende est un versement effectué au patron pour un dommage que l’ouvrier lui a causé. C’est faux. L’amende et le dédommagement sont deux choses différentes… On réclame un dédommagement à son égal, mais une amende ne peut être exigée que d’un subordonné. C’est pourquoi on réclame un dédommagement par voie de justice, tandis qu’une amende est fixée sans jugement par le patron » (V. LENINE, « Explication de la loi sur les amendes infligées aux ouvriers de fabriques et d’usines » (1895), publiée dans V. LENINE, Œuvres, t. 2, Editions Sociales, 1996, 27).
Pascal MOUSSY
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