De la nullité pour fait de grève du terme d’un CDD requalifié en CDI
Par un arrêt du 19 janvier 2011 (n° 09-43547), la cour de cassation vient de frapper un "grand coup", qui pourrait bien ouvrir de nouvelles stratégies syndicales et sociales, afin de lutter plus efficacement contre la précarisation de l’emploi.
" Attendu que lorsqu’un salarié allègue que la rupture du contrat de travail est intervenue en raison de sa participation à un mouvement de grève, il appartient à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l’exercice normal du droit de grève ;
Attendu que pour débouter M. Ben Abdellah de sa demande en nullité du licenciement, l’arrêt retient qu’il résulte des attestations produites par celui-ci qu’une partie du personnel de la société se trouvait en grève depuis le 12 mai 2003 et que lui-même figurait au nombre des grévistes jusqu’à la rupture de son contrat de travail, mais qu’il ressort de l’ensemble des explications des parties que cette rupture n’avait aucun lien avec le mouvement de grève auquel il a participé, mais résultait uniquement de la survenance du terme du contrat de travail prétendument conclu pour une durée déterminée, alors que les parties se trouvaient, par l’effet de la requalification, liées par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 15 février 2002, que le licenciement de M. Ben Abdellah n’était donc pas nul, mais seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la relation de travail avait été irrégulièrement rompue au cours d’un mouvement de grève auquel le salarié participait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; "
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I. Monsieur Ali Ben Abdellah, avait été mis à la disposition de la Sas Logiss par la société Védior Bis en qualité de préparateur commandes à compter du 15 février 2002 par un contrat de travail temporaire jusqu’au 22 février 2002 motivé par un « accroissement temporaire d’activité » dû à des « préparations urgentes GME justifiant un renfort d’équipe ».
A compter du 18 mars 2002 et jusqu’au 20 mai 2002, quatre autres contrats de mission se sont succédés pour des motifs identiques.
A l’issue du cinquième contrat de travail temporaire, monsieur Ben Abdellah avait été engagé par la Sas Logiss selon un contrat à durée déterminée du 21 mai 2002 au 15 novembre 2002 en qualité de préparateur commandes/cariste motivé par un « surcroît temporaire d’activité résultant de la saison haute ».
Le 14 novembre 2002, au motif que « l’accroissement d’activité dev[ait] persister au-delà de l’échéance prévue » ce contrat était renouvelé pour une durée de six mois et un jour, soit jusqu’au 15 mai 2003.
Le 12 mai 2003, monsieur Ben Abdellah se joignait à une grève entamée par la majorité des salariés de l’entreprise aux fins d’obtenir une augmentation de salaire.
Le 22 mai 2003, alors qu’il était toujours en grève, le salarié se voyait remettre un certificat de travail mentionnant l’arrivée du terme du contrat à durée déterminée.
Monsieur Ben Abdellah saisissait le conseil de prud’hommes de Poissy aux fins notamment de voir requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, et prononcer la nullité de son licenciement pour fait de grève.
Monsieur Ben Abdellah demandait sa réintégration et la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages-intérêts, indemnités et rappels de salaire.
II. Par un jugement du 24 novembre 2006, le conseil de prud’hommes de Poissy requalifiait le contrat de travail à durée déterminée du 21 mai 2002, renouvelé le 14 novembre 2002 en un contrat à durée indéterminée et condamnait la société Logiss à payer à monsieur Ben Abdellah les sommes de 2.313,33 € à titre d’indemnité de requalification, 6.393,99 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 2.131,33 € pour non-respect de la procédure.
Par un arrêt du 29 janvier 2009 (ci-joint), la cour de Versailles infirmait le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, a requalifiait la mission d’intérim ayant débuté le 15 février 2002 en un contrat de travail à durée indéterminée.
La cour d’appel condamnait la Sas Logiss à payer à monsieur Ben Abdellah les sommes suivantes :
— 1.800 € à titre d’indemnité de requalification ;
— 1.620,73 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
— 162,07 € à titre de congés payés sur préavis ;
— 4.800 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ;
— 800 € à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
La cour d’appel déboutait donc monsieur Ben Abdellah de ses demandes relatives à la requalification du contrat de travail à durée déterminée et en nullité du licenciement pour fait de grève.
III. L’article L. 2511-1 du code du travail dispose que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux.
Tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit ».
Aussi, tout licenciement prononcé contre un salarié gréviste, auquel aucune faute lourde ne peut être imputée, est nul de plein droit. Tel est le cas de salariés qui avaient refusé, au cours d’un mouvement de grève consistant en un débrayage quotidien de deux heures entrainant une durée hebdomadaire de travail de 35 heures, d’être affectés sur un autre site, et qui avaient été licenciés pour faute grave (Soc. 3 mai 2007, P n° 05-43.977 ; JCPS 2007 n° 1522 ; voir aussi Soc. 8 juillet 2009, P n° 08-40.139, à paraître au bulletin).
De même est nul le licenciement dont la véritable cause réside dans la seule volonté de l’employeur de se séparer d’un salarié en raison de son intervention auprès de l’employeur à la demande d’un syndicat au cours d’un mouvement de protestation (Soc. 13 mai 2008, P n° 07-40.275).
L’exercice du droit de grève ne pouvant donner lieu de la part de l’employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération, les salariés dont les licenciements ont été déclarés nuls ont droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’ils avaient dû percevoir entre leur éviction de l’entreprise et leur réintégration, et ce, peu important qu’ils aient ou non perçu des salaires au titre d’une autre activité ou des revenus de remplacement telles des allocations de chômage (Soc. 2 février 2006, Bull V n° 53 ; RJS 4/06 n° 488).
IV. Or, pour débouter monsieur Ben Abdellah de ses demandes fondées sur la nullité du licenciement par application de l’article L. 2511-1 du code du travail, la cour de Versailles avait retenu qu’« il ressort de l’ensemble des explications des parties que la rupture du contrat de travail de monsieur Ben Abdellah n’a aucun lien avec le mouvement de grève auquel il a participé et résulte uniquement de la survenance du terme du contrat de travail prétendument conclu pour une durée déterminée alors que les parties se trouvaient, par l’effet de la requalification, liées par un contrat à durée indéterminée depuis le 15 février 2002 ».
V. Cependant, la rupture du contrat de travail pour fait de grève s’évinçait des constatations mêmes de l’arrêt d’où résultaient d’une part la concomitance de cette rupture avec un mouvement de grève non contesté, d’autre part l’illégitimité de cette rupture intervenue pour survenance du terme d’un contrat à durée déterminée que la cour d’appel a elle-même requalifié en contrat à durée indéterminée.
Ainsi il ressortait des constatations de l’arrêt :
— qu’une grève avait duré dans l’entreprise jusqu’au 23 mai 2003,
— que monsieur Ben Abdellah figurait au nombre des grévistes jusqu’à la rupture de son contrat de travail,
— que le contrat de travail de monsieur Ben Abdellah avait été rompu le 15 mai 2003,
— que la survenance du terme d’un contrat à durée déterminée ultérieurement requalifié en contrat à durée indéterminée ne constituant pas un motif licite de rupture, celle-ci s’analysait en un licenciement.
Autrement dit monsieur Ben Abdellah avait été licencié irrégulièrement le 15 mai 2003, alors qu’il était gréviste.
VI. Comme en matière de discrimination, la cour d’appel devait déduire de ces constatations que le salarié avait apporté les éléments de nature à établir que l’exercice du droit de grève avait pu conduire l’employeur à ne pas renouveler le contrat à durée déterminée ou à ne pas proposer un contrat à durée indéterminée.
Il appartenait en conséquence à la société Logiss de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs, étrangers au droit de grève.
En déchargeant au contraire l’employeur de cette preuve, la cour d’appel avait violé tout à la fois les articles 1315 du code civil et L. 2511-1, L. 1132-1 et L. 1132-2 du code du travail.
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Cette décision d’une portée considérable puisqu’elle peut s’appliquer également aux contrats de travail temporaires, est à utiliser sans modération pour obtenir par la lutte sociale la requalification de tous les contrats précaires (sachant que 90 % des dits contrats sont irréguliers).
En effet, le risque pour les employeurs devient considérable en cas de grève des CDD ou des intérimaires en fin de leur contrat.
Dans le cas de M. Ben Abdellah, la cour d’appel de renvoi devrait réintégrer le salarié et lui accorder 08 années de salaire.
Annexes
Cass. Soc. 19 janvier 2011
CA Versailles 29 janvier 2009
Alain HINOT
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