Les Pages Jaunes épinglées pour leur manque de compétitivité dans la recherche du reclassement des "salariés protégés"
La société Pages Jaunes a défrayé la chronique en donnant l’occasion à la Chambre sociale de la Cour de cassation de rendre au début de l’année 2006 un arrêt affirmant que « l’entreprise peut anticiper les difficultés économiques » (Liaisons Sociales du 13 janvier 2006, n° 14543), lorsqu’elle effectue une réorganisation au nom de la « sauvegarde de la compétitivité ».
Les attendus des arrêts du 11 janvier 2006 sont devenus célèbres. « Mais attendu que la réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient ; que répond à ce critère la réorganisation mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans être subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement ; qu’il s’ensuit que la modification des contrats de travail résultant d’une telle réorganisation a elle-même une cause économique » (voir, à ce sujet, J. PELISSIER, « Réorganisation de l’entreprise, sauvegarde de compétitivité de l’entreprise et contrôle du juge »,
D. 2006, jurisprudence, 1013 et s. ; Ph. WAQUET, « Emploi et profit », RJS 5/06, 351 et s. ; M.F. BIED-CHARRETON, « Au nom de la liberté d’entreprendre (Les arrêts « Pages jaunes »), Dr. Ouv. 2006, 369 et s. ; M. CARLES et L. MILET, « Licenciements préventifs pour sauvegarder la compétitivité : quelles limites ? », RPDS 2006, 63 et s.).
Par ses arrêts du 12 janvier 2011, rendus à l’occasion du contentieux suscité par les décisions de l’administration du travail concernant les « salariés protégés » compris dans la réorganisation mise en œuvre par la société Pages Jaunes, le Conseil d’Etat n’a pas été mois compréhensif que la Cour de cassation dans l’appréciation de la réalité du motif invoqué pour justifier les licenciements. Le motif économique est caractérisé, même en l’absence de difficultés économiques, dès lors que le projet de réorganisation commerciale de la société Pages Jaunes, qui comportait notamment des modifications des contrats de travail concernant les conditions de rémunération des salariés, visait à faire face aux mutations technologiques et à l’apparition de nouveaux concurrents dans le secteur des annuaires sur Internet, « lesquelles faisaient peser une réelle menace sur sa compétitivité ».
Mais il ne pouvait pour autant être délivré à la société Pages Jaunes les autorisations de licenciement sollicitées. L’employeur des salariés protégés n’avait pas sérieusement recherché à reclasser les salariés investis d’un mandat syndical ou représentatif dans les autres sociétés du groupe auquel elle appartenait. Le Conseil d’Etat souligne que, pour établir qu’elle s’est acquittée de son obligation de recherche d’un reclassement, « la société Pages Jaunes ne peut pas se borner à faire état des seules mesures d’ordre général mise en oeuvre pour favoriser le reclassement de ses salariés au sein du groupe France Télécom ». Le Conseil d’Etat en déduit qu’ « elle n’établit pas qu’elle était dans l’impossibilité de présenter au salarié des offres d’emploi équivalent, écrites et précises, au sein du groupe France Telecom ».
C’est ce manquement à des obligations aujourd’hui des plus classiques en matière de recherche de reclassement (voir H. ROSE, Y. STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, 4e éd., 863 et s.) qui a conduit le Conseil d’Etat à juger que c’était à tort que le Ministre avait donné quitus à l’employeur en annulant les décisions de refus prises par l’Inspecteur du Travail.
La société Pages Jaunes avait justifié son inertie dans la recherche du reclassement dans les autres sociétés du groupe France Telecom par la circonstance que les salariés protégés concernés n’auraient pas pu continuer à exercer leurs fonctions représentatives dans ces sociétés.
L’argument n’est pas retenu par le Conseil d’Etat.
Dans les fameuses conclusions rendues sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 février 1977, Sieur ABELLAN, le commissaire du gouvernement Philippe DONDOUX a relevé que « c’est en effet dans la mesure où elle aura proposé au salarié un reclassement adéquat en son sein que l’entreprise prouvera que le licenciement était bien en réalité, sans rapport aucun avec le mandat » (Dr. Soc. 1977, 169).
L’absence d’un lien avec le mandat ne signifie pas nécessairement que le reclassement doive nécessairement permettre à l’intéressé la poursuite de son activité représentative. Le maintien conjugué de celle-ci et de l’emploi est bien sûr l’objectif premier à atteindre, du point de de vue de l’intérêt général des salariés à pouvoir continuer à bénéficier de l’activité de leur représentant qui n’a pas démérité.
Mais la poursuite du mandat exercé dans l’entreprise n’est pas de droit dans une autre société du groupe. Seulement, cela n’autorise pas à relâcher l’effort dans la recherche du reclassement dans le groupe. Cette obligation d’une recherche active d’un reclassement à l’intérieur du groupe a été édictée en faveur de tout salarié concerné par une mesure de licenciement pour motif économique. En exclure le « salarié protégé » reviendrait à admettre que l’employeur puisse lui faire payer à l’occasion de la réorganisation l’activité syndicale ou représentative qui ne l’a pas rendu toujours heureux.
Pascal MOUSSY
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