Quelques interrogations sur la position commune du 9 avril 2008
Chronique Ouvrière : Dans la Semaine Sociale Lamy du 21 avril 2008, Georges Borenfreund a souligné qu’à l’occasion de la position commune du 9 avril 2008, c’est la première fois que les partenaires sociaux ont érigé la représentativité en objet de négociation.
Quel premier commentaire vous inspire cette « première » ?
Est-il normal de voir les employeurs participer à l’élaboration des critères de la représentativité syndicale ? Si votre réponse est affirmative, quel intérêt présente cette négociation des critères de la représentativité ?
Jean-Maurice Verdier : Il s’agit d’une avancée.
Jusqu’à présent, chacun considérait que l’autre n’avait pas à se mêler de ses affaires. Les syndicats estimaient avoir une légitimité historique. Mais l’idée qu’un certain changement était nécessaire a fait son chemin. La CGT et la CFDT ont admis que les prérogatives juridiques liées à la représentativité impliquent une légitimité « vérifiée » ou, si l’on préfère, « mise à jour », surtout si elles conduisent à un engagement des salariés par les syndicats.
Mais il faut faire attention. On a trop tendance, en matière de représentativité, à raisonner « en bloc ».Les exigences ne sont pourtant les mêmes pour l’implantation syndicale, l’action en justice, la gestion du social et la réglementation du travail par voie conventionnelle.
Il est vrai que les employeurs n’ont pas à décider qui sont les syndicats représentatifs de salariés. Mais ils ont tout de même leur mot à dire sur les critères de crédibilité de leurs interlocuteurs.
On peut également considérer que le choix de la négociation est de nature à limiter le nombre de contentieux initiés dan le futur par les employeurs.
La réciprocité devrait être admise : les syndicats ont aussi leur mot à dire sur la représentativité des organisations d’employeurs à qui ils ont affaire. Mais, apparemment, celle-ci ne rentrait pas dans l’objet de la négociation…
Chronique Ouvrière : Les nouveaux critères de représentativité sont cumulatifs.
Que pensez-vous du caractère obligatoire de ce cumul ?
En cas de contentieux, de quelle marge d’appréciation vont disposer les juges ?
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs la distinction entre « l’influence » et « l’audience » ?
Que pensez-vous du choix des élections professionnelles pour établir l’audience ?
Jean-Maurice Verdier : En ce qui concerne le « cumul », la position commune ne me paraît pas changer grand-chose.
Jusqu’à maintenant, les juges doivent examiner touts les critères de représentativité. Ce qu’ils font en combinant les critères en fonction les uns des autres et en appréciant la représentativité étant donné la situation d’ensemble.
La position commune ne semble pas rompre avec cette démarche. Elle précise que les critères de représentativité, qui sont cumulatifs, « s’apprécient dans un cadre global ». Le juge me paraît conserver quand même une marge appréciable d’appréciation. Il pourra considérer que tel critère est satisfait étant donné la situation d’ensemble.
L’audience est ici comprise comme l’audience électorale, à partir des résultats obtenus aux élections professionnelles. Ce qui permet aux juges, en cas de contentieux, de procéder à une comparaison des résultats obtenus par les diverses organisations.
Mais l’exigence d’audience électorale ne peut pas être la même dans toutes les situations, dans la limite d’une seuil minimum.
L’influence du syndicat se mesure à la manière dont le syndicat voit ses mots d’ordre suivis.
Jusqu’à présent, l’audience n’est pas sans rapport avec l’influence. Elle n’est pas appréciée que sur le plan électoral mais aussi en référence à la manière dont les syndicat est écouté dans des circonstances diverses et variées. La Cour de Cassation a fait en 2002, à côté de l’indépendance, de l’influence une condition centrale de la représentativité. Mais elle demande au juge de la « caractériser au regard des autre critères ». Jurisprudence et position commune me paraissent à cet égard très proches.
Les élections professionnelles sont une bonne référence. L’idée d’un système de représentativité « ascendante plutôt que descendante » (pour reprendre l’expression de Georges Borenfreund) est intéressante. Mais à condition que des élections soient effectivement organisées aux divers niveaux intéressés.
On pense notamment aux salariés des petites et moyennes entreprises, qui ne sont pas certains de voir par leur employeur mettre en oeuvre le processus électoral qui doit leur permettre de faire connaître leur choix. Il semblerait alors nécessaire d’organiser des élections, non par entreprise, mais par secteur.
Chronique Ouvrière : L’abandon de la présomption irréfragable peut-il être source de difficultés pour l’implantation syndicale dans l’entreprise ?
Jean-Maurice Verdier : La présomption irréfragable facilitait certainement l’implantation des syndicats. Elle jouait en matière de présentation des candidats aux élections professionnelles, de désignation des délégués syndicaux et de création d’une section syndicale.
L’abandon de la présomption irréfragable peut permettre un contentieux plus important de la part des employeurs en cas de tentative d’implantation syndicale dans l’entreprise.
En ce qui concerne l’enjeu de l’implantation, il me paraîtrait souhaitable de la maintenir, étant donné les difficultés d’implantation dans les PME, quitte à réviser périodiquement la liste des confédérations permettant le bénéfice de cette présomption. Mais il importe de remarquer qu’un syndicat non représentatif ayant deux ans d’ancienneté, indépendant et respectant les valeurs républicaines peut créer une section syndicale.
Il me semblerait même souhaitable que la présomption de représentativité ne disparaisse pas en matière de négociation collective.
Il est utile que puisse participer à la négociation d’entreprise une organisation syndicale qui ne puise pas seulement sa légitimité d’une audience et d’une influence dans l’entreprise mais d’une authenticité acquise historiquement à un niveau plus large, qui peut faire valoir des intérêts autres que les intérêts locaux en cause, une solidarité plus large.
On pourrait peut-être songer alors à une présomption simple du fait de l’affiliation.
Chronique Ouvrière : Que pensez-vous de l’ancienneté de deux ans, exigée par la position commune pour accéder à la représentativité ?
Jean-Maurice Verdier : C’est trop long. Une telle durée n’est pas nécessaire pour permettre la vérification de la représentativité. Une durée de six mois aurait été suffisante.
Chronique Ouvrière : La barre des 10 % qui permet d’accéder à la représentativité vous paraît-elle bien située ?
Jean-Maurice Verdier : 10 %, c’est peut-être trop.
Je suis très attaché au principe du pluralisme syndical. En situant la barre trop haut, on risque, en pratique, de réduire le pluralisme des syndicats représentatifs.
Fixer un pourcentage préétabli rompt avec la souplesse dont disposent jusqu’ici les juges pour apprécier une représentativité qui peut se présenter d’une manière relative dans une situation concrète.
Maintenant, si l’on tient à mettre une barre, ce serait plus judicieux de la mettre moins haut, à 5 %.
Chronique Ouvrière : Le délégué syndical doit être choisi parmi les candidats ayant recueilli individuellement au moins 10 % des voix aux dernières élections.
Cette exigence ne contrarie-t-elle pas quelque peu le principe d’autonomie qui semblait caractériser jusqu’à présent le choix du délégué syndical ?
Jean-Maurice Verdier : Il aurait mieux valu laisser l’entière liberté de choix au syndicat.
Il est normal que le syndicat puisse désigner ou révoquer en fonction de débats internes au syndicat, sans être gêné par cette exigence d’un délégué syndical « candidat ».
Le critère d’audience peut éventuellement s’opposer au critère d’efficience. Ce n’est pas nécessairement le candidat ayant recueilli au moins 10 % des voix qui sera le délégué syndical le plus efficace.
Le délégué syndical représente le syndicat et non la section syndicale et, bien entendu, pas les électeurs.
Chronique Ouvrière : Nous voyons apparaître une nouvelle figure : le représentant de la section syndicale.
Cette innovation vous semble-t-elle de nature à relancer le débat sur la nature juridique de la section syndicale ?
Jean-Maurice Verdier : La loi de 1968 n’a pas entendu instituer le syndicalisme d’entreprise mais la présence syndicale dans l’entreprise. C’est pourquoi la section syndicale d’entreprise ne s’est pas vue reconnaître la personnalité juridique.
Dans la position commune, la section syndicale n’a pas vu changer ses prérogatives. Ce n’est pas elle, mais le syndicat, qui désigne le représentant de la section syndicale. Elle ne me paraît pas, à première vue, pouvoir prétendre à la personnalité juridique.
Mais elle peut être représentée ; or on représente une personne… Alors ?
Mais, par ailleurs, une autre question surgit.
L’article 10 de la position commune a tenu à préciser que la section syndicale est « composée de plusieurs adhérents ». La lecture du texte ne va-t-elle pas conduire des employeurs peu enclins à aider l’implantation syndicale à exiger que le syndicat apporte la preuve de l’existence de plusieurs adhérents (au moins deux) pour que la désignation du représentant de la section syndicale soit validée ? Ce qui conduirait à revenir sur une jurisprudence de la Cour de Cassation, constante depuis 1997, qui admet que l’existence de la section syndicale est établie par la seule désignation du délégué syndical. Avec les risques de représailles contre les salariés membres de la section dont les noms seraient connus de l’employeur…
Chronique Ouvrière : Estimez-vous que la barre des 30 % des suffrages pour donner sa validité à la signature d’un accord collectif, étant donné l’impact limité de l’actuel droit d’opposition, représente un risque de consécration de l’accord minoritaire ou, au contraire, constitue une garantie contre les accords infiniment minoritaires ?
Jean-Maurice Verdier : c’est un peu les deux à la fois.
Car, d’une part, 30 %, ce n’est pas dérisoire.
Mais, d’autre part, ce n’est pas encore la reconnaissance du principe majoritaire.
Nous sommes à une étape intermédiaire, qui devrait permettre d’aboutir demain à la mise en place de règles consacrant l’exigence de l’accord majoritaire.