Chronique ouvrière

A propos de l’abattement illégal pour frais professionnels dans la branche de la "propreté"

mardi 21 avril 2015 par Claude LEVY
CPH Paris 8 janvier 2015.pdf

En toute illégalité, les entreprises de « propreté » pratiquent un abattement sur l’assiette de calcul des cotisations sociales des salariés de la branche en assimilant les ouvriers de nettoyage de locaux aux ouvriers du bâtiment, prétextant de la doctrine fiscale en la matière.

Cette déduction mis en place historiquement par décret du 17 novembre 1936, à une époque où les ouvriers nettoyeurs étaient souvent embauchés par des entreprises de bâtiment, ne se justifie plus aujourd’hui.

En effet, dans 99% des cas, les entreprises de propreté n’ont plus aucune activité dans le bâtiment et les ouvriers du nettoyage ne supportent plus aucune charge de caractère spécial au titre de l’accomplissement de leurs missions, ce qui est une condition fixée par l’article 1 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations sociales.

La pratique illégale de cette déduction forfaitaire est particulièrement injuste pour les salariés de la branche de la propreté, dont les salaires sont très bas, et qui subissent du fait de cette déduction une minoration de tous leurs droits sociaux, établis sur l’assiette de calcul des cotisations à savoir notamment :

—  indemnités journalières en cas d’arrêt de travail minorées de 8%,

—  complément employeur et prévoyance en cas d’arrêt de travail minorés de 8%,

—  allocations chômage minorées de 8%,

—  allocations retraite minorées de 8%.

Cette injustice, parmi d’autres, n’est nullement compensée par la légère diminution des charges salariales, de l’ordre de 17 € par mois pour un SMIC à temps complet (1 450 € x 8% x 15% et non 23% car la CSG et la CRDS ne sont pas impactées par l’abattement).

Au surplus, cette déduction forfaitaire participe à un véritable dumping social par l’externalisation de plus en plus importante, notamment, des services de l’hébergement dans le secteur de l’hôtellerie, la branche des hôtels café restaurant ne bénéficiant d’aucune déduction de ce type.

Dans un arrêt en date du 20 janvier 2012 n° 10-26092, la Cour de Cassation a condamné la pratique de la déduction forfaitaire pour les salariés travaillant sur un seul site, rappelant d’une part que les ouvriers du nettoyage ne sont pas spécifiquement visés par l’article 5 de la section « traitements et salaires » du code général des impôts et d’autre part que les ouvriers du bâtiment visés par cet article ne sont pas ceux qui travaillent en usine ou en atelier, c’est-à-dire sur un seul site.
Pour tenter de contrer cette jurisprudence, simple retranscription de la loi, les ministres des affaires sociales et des finances ont rédigé une circulaire ministérielle, adressée à l’ACOSS, afin de bloquer les actions des agents de l’URSSAF.

Aux termes de cette circulaire du 8 novembre 2012, feignant de se soucier des conditions de travail des ouvriers de la branche, les ministres concernés demandent aux agents de contrôle de ne plus retenir la condition de « multi sites » pour valider l’abattement pratiqué !

Il est annoncé comme étant une contrepartie la limitation de l’abattement à 9 puis 8% au 1er janvier 2014.

Si, pour le moment, cette lettre ministérielle risque de bloquer les agents de contrôle concernés, rien n’empêche des salariés et/ou des syndicats de contester devant les conseils de prud’hommes et/ou les tribunaux de grande instance l’application de cet abattement.

En effet une lettre ministérielle, assimilable à une instruction ou une circulaire ministérielle, n’a pas force de loi et ne s’impose pas au juge judiciaire (Cassation sociale 13 novembre 1990 n° de pourvoi : 89-12826 ; 23 mars 1982 n° de pourvoi : 80-16648).

Il n’appartient pas aux Ministres de réécrire la loi à leur guise en dehors du parlement !

C’est dans ce sens qu’a jugé le 8 janvier 2015 le Conseil de Prud’hommes de PARIS dans une affaire récente opposant une femme de chambre à une société de propreté hôtelière.

On relèvera avec intérêt que la Cour de cassation retient par application de l’article L511-1, devenu sur ce point L1411-1 du code du travail, la compétence du Conseil de prud’hommes pour ce type de demandes car il s’agit d’une obligation résultant pour l’employeur du contrat de travail (12/02/2003 n°01-40676, 28/6/2006 n°04-43969, 31/10/2006 n°05-40302).

Et avec encore plus d’intérêt qu’aucune prescription n’est opposable aux demandes de dommages et intérêts relative à cette pratique illégale (Cassation sociale 9 juillet 2014 n° de pourvoi : 13-23551).


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