Chronique ouvrière

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Les Conti ont bien été licenciés sans motif économique légitime. Ils ont perdu leur emploi. Il leur reste leur indemnité.

dimanche 10 juillet 2016 par Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS et Pascal MOUSSY
Cass. Soc. 6 juillet 2016.pdf

La Cour de cassation a rendu le 6 juillet 2016 son arrêt dans l’affaire Continental.

Il ne s’agit pas de revenir ici sur les circonstances du licenciement des Conti et sur la motivation des précédentes décisions judiciaires qui ont condamné ces licenciements pour défaut de cause réelle et sérieuse. Chronique Ouvrière y a déjà consacré des développements conséquents (Pascal MOUSSY, « L’usine de Clairoix a été fermée pour accroître les profits ! 680 Conti obtiennent du juge prud’homal une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse », http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article762 ; Pascal MOUSSY, « L’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements des Conti confirmée en appel », http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article846).

Il sera juste présenté l’essentiel des attendus de l’arrêt tout récemment prononcé.

La Cour de cassation a rejeté les pourvois contre les arrêts de la Cour d’appel d’Amiens confirmant les jugements du Conseil de prud’hommes de Compiègne qui avaient écarté l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, « faute de motifs économiques légitimes ».

« La Cour d’appel a relevé, par motifs propres et adoptés, sans se contredire, suivant une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen et sans être tenue de s’expliquer sur ceux qu’elle décidait d’écarter, que la société Continental France ne justifiait ni de difficultés économiques, ni d’une menace pesant sur la compétitivité du secteur d’activité de la division « Passenger and Light Truck Tire » du groupe Continental auquel elle appartenait et que la mesure de Clairoix et la suppression de l’ensemble des emplois ne répondait qu’à un souci de rentabilité du secteur pneumatique du groupe ».

L’arrêt du 6 juillet 2016 s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence qui avait considéré que la « menace » pesant sur la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont relève l’entreprise n’est pas établie, lorsque la réorganisation vise à privilégier le niveau de rentabilité au détriment de la stabilité de l’emploi (Cass. Soc. 1er décembre 1999, n° 98-42746, Bull. V, n° 466 ; Cass. Soc. 6 mars 2007, n° 05-42271).

L’arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation est de nature à ne pas entraîner un bouleversement supplémentaire dans la vie des salariés injustement privés de leur gagne pain par la société Continental France. Comme l’a souligné le journaliste de Liaisons sociales, « les indemnités obtenues en appel sont donc sauvegardées » (Liaisons sociales n° 17119 du 8 juillet 2016).

Il a été aussi remarqué que l’arrêt de la Cour de cassation a censuré les juges du fond qui avaient retenu la qualification de co-emploi permettant de mettre en cause, au même titre que la société Continental France, la société mère de droit allemand Contitental Aktiengesellchaft (AG).

« Le fait que la politique du groupe déterminée par la société mère ait une incidence sur l’activité économique et sociale de sa filiale, et que la société mère ait pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de sa filiale et à garantir l’exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois ne pouvaient suffire à caractérise une situation de coemploi ».

Il est ainsi reproché aux juges du fond de ne pas avoir suffisamment caractérisé, de la part de la société mère, une « ingérence anormale dans la gestion économique et sociale » de sa filiale (voir Liaisons sociales n° 17119 du 8 juillet 2016).

Il avait pourtant semblé à un commentateur qui avait procédé à une lecture attentive de l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens que celle-ci s’était appliquée à justifier l’existence d’une situation de co-emploi en mettant les faits en correspondance avec les exigences posés par l’arrêt Molex, aux termes desquelles « hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ».

« De l’état de domination économique à l’abus de domination économique, les juges ont caractérisé l’abus : la société mère a exercé « un contrôle opérationnel étroit et constant sur la SNC Continental elle-même filiale détenue à 100% œuvrant dans le même secteur d’activité de production de pneumatiques, à laquelle elle dicte et impose ses choix stratégiques et prend à sa place les décisions les plus importantes en matière de gestion économique et sociale, au point de la ravaler au rang de simple rouage dans le développement de son activité et la réalisation de ses propres objectifs économiques et de ceux du groupe qu’elle contrôle ». On ne peut être plus réaliste dans la description de l’abus se concrétisant par la captation, par la société mère, des prérogatives de sa filiale attachées à sa condition d’employeur juridiquement indépendant  » (G. LOISEAU, « Que reste-t-il du co-emploi ? », Les cahiers sociaux n° 270, janvier 2015, 8).

Pour considérer qu’il n’y avait pas d’« ingérence anormale », la Cour de cassation n’a peut-être pas lu tous les attendus de l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens, notamment ceux qui développaient les constatations faisant ressortir que : « les pièces et documents concordants et dossiers caractérisent à la date de référence une absence d’autonomie réelle de la société SNC Continental France dans l’exercice des prérogatives normalement attachées à sa qualité d’employeur-personne morale indépendante, qu’elles aient trait à l’exercice du pouvoir décisionnel, à la définition des choix et orientations économiques, à la maîtrise de son activité du point de vue industriel, commercial et financier ou qu’elles interviennent dans le domaine de la gestion de son personnel ».

Le relâchement de la Cour de cassation dans sa lecture des attendus des juges du fond est ici sans effet.

Il a été relevé que la demande de reconnaissance du co-emploi a pour objet de faire juger l’existence d’un « lien contractuel unique » permettant au salarié de former indifféremment sa demande contre l’une ou l’autre des sociétés mises en cause (voir Y. PAGNERRE, « Regard historique sur le co-emploi », Dr. Soc. 2016, 553).

Dans la présente espèce, c’est la société Continental France qui a signé le chèque réglant les indemnités pour rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse.

Le rejet du pourvoi contre l’appréciation des juges du fond écartant la légitimité du motif économique invoqué à l’appui des licenciements permettait au Conti de conserver les sommes leur ayant été versées par Continental France.

La discussion sur la mise en cause de Continental AG en qualité de co-employeur pouvait dès lors apparaître superfétatoire.

Au moment du prononcé de l’arrêt du 6 juillet, Antoine Lyon-Caen a indiqué que « que l’affaire revient à l’état où elle était devant le conseil des prud’hommes, qui avait reconnu le co-emploi. C’est désormais à Continental France ou Continental AG de décider d’aller devant la cour d’appel de Douai » (« Les indemnités versées aux ex-salariés de Continental sont maintenues », Le Monde Economie du 6 juillet 2016, http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/07/06/les-indemnites-versees-aux-ex-salaries-de-continental-sont-maintenues_4965045_3234.html). Comme l’a relevé la journaliste du Monde, « « la question est de savoir si quelqu’un y a encore intérêt ».


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