Chronique ouvrière

Le retour du réel pour un Président nouvellement élu. Un slogan n’a jamais fait une politique

lundi 13 août 2007 par Thierry LE PAON

De manière générale, à l’issue de chaque campagne électorale, on retient un slogan, heureux ou malheureux, riche ou médiocre, complexe ou simpliste. Complaisamment répétée, la formule du candidat de l’UMP « travailler plus pour gagner plus » était censée indiquer au pays et à ses travailleurs la direction à prendre. Aux salariés en lutte pour de meilleurs salaires, aux privés d’emploi à la recherche d’une opportunité, à l’ensemble des salariés, il a fallu dire et redire que seule l’augmentation de la durée du travail pouvait permettre d’augmenter le salaire et être source de revenu.

Ainsi, la valeur travail a été portée jusque dans les usines du pays, caméras à l’épaule, pour que chacune et chacun comprenne.

Cependant, à peine élu, le nouveau président reste confronté à la réalité, celle qu’il connaît bien et fait toujours semblant de découvrir.

En écho à sa formule choc, en pleine campagne électorale, les actionnaires de Peugeot-Citroën, suppriment 4800 postes de travail. En matière de réhabilitation de la valeur travail c’est un fort mauvais début, nous en conviendrons toutes et tous aisément. Mais il y encore pire. Pour obtenir les suppressions d’emplois dans un semblant de silence, Citroën se propose de trouver au sein du groupe « 4800 volontaires » qui resteront à la maison tout en étant payés.

Pourtant, les salariés d’Aulnay qui pendant plusieurs semaines ont fait grève pour que leur travail leur permette simplement de vivre un peu mieux savent à quel point le groupe est pingre en matière de rémunération des salariés. Celles et ceux qui vont rester pour travailler plus et gagner le même salaire le savent aussi. En effet, il faudra bien que ceux qui restent en production en fassent plus pour compenser les départs.

D’où vient donc cette soudaine générosité poussée à son comble par les actionnaires de la marque du lion et de la marque aux chevrons ?

Payer des salariés pour ne rien faire, ce n’est pourtant pas la chose la plus commune dans notre pays comme dans d’autres. C’est encore plus vrai dans des secteurs dont on nous dit, dans les discours patronaux et gouvernementaux, qu’ils sont en difficulté et doivent faire face à la concurrence, à la guerre des prix, aux « nécessaires » délocalisations, aux pressions sur les sous-traitants.

D’ailleurs pour faire face à ce que certains appellent « la crise de l’automobile », l’argent public est mobilisé dans plusieurs pôles de compétitivité de la filière. Je pense en particulier au pôle à vocation mondiale mov’éo labellisé sur trois régions : la basse- Normandie où je vis, la Haute-Normandie et l’Île-de-France. Les syndicats de salariés sont pour l’instant exclus de ces pôles pourtant décisifs, nous dit-on, pour l’avenir de la filière en France et en Europe.

Au surplus, dans nombre de régions, l’argent du contribuable est généreusement distribué pour permettre à des associations d’employeurs de la filière automobile, aussi bien constructeurs qu’équipementiers, donneurs d’ordres que sous-traitants, de s’organiser, de se restructurer. La galette est partagée à l’abri du regard des syndicats de salariés tenus soigneusement à l’écart.

Bref, pour sauver l’auto, il faut y mettre le paquet, les moyens financiers et surtout travailler en toute discrétion sans contrôle des fonds publics.

Il y a quelques mois, pourtant, le conseil d’orientation pour l’emploi, dont est membre le directeur des ressources humaines du groupe Peugeot-Citroën, a voté un rapport où les rédacteurs s’étonnent des difficultés persistantes dans notre pays à évaluer l’efficacité des aides publiques. Quelques mois avant la cour des comptes, le conseil d’orientation pour l’emploi, précisait que des décisions devaient être pises pour évaluer l’efficacité de ces 65 milliards d’euros qui chaque année sont versés aux entreprises.

Dans notre pays, quand une entreprise est en difficulté, il est possible de licencier. Il faut d’abord examiner les raisons économiques avec le livre 4 du Code du Travail. Ensuite vient l’examen du volet social avec le livre 3 du Code du Travail. La procédure est bien connue des employeurs, des syndicats, de l’Etat et de ses services.

Alors pourquoi les actionnaires de Peugeot-Citroën payent-ils leurs salariés à rien faire et n’entament-ils pas une procédure « classique » de licenciement pour motif économique des 1 200 cadres, des 1 800 techniciens et agents de maîtrise et des 1 800 ouvriers qui seront victimes de leur stratégie.

La réponse est simple : il n’y a pas de raison économique mais une volonté politique assumée par ceux qui acceptent de payer, les actionnaires !

La formule a également un autre avantage, elle permet aux mêmes actionnaires d’en dire le moins possible sur la stratégie des marques automobiles et leurs exigences de rentabilité.

Décidément la culture du secret et de la rentabilité a encore de beaux jours devant elle !

Plutôt que de justifier et de révéler leur stratégie ils préfèrent payer ce qui reste pour eux, au regard des dividendes reçus et espérés, une note bien modeste. Ainsi, pour gagner plus, il est possible et souvent nécessaire de dépenser plus, comme le font les actionnaires de Peugeot-Citroën. Il ne s’agit que d’un petit pari sur l’avenir. La valorisation des actions viendra dans quelques mois, probablement avant 2009.

Dans l’immédiat cela n’affecte même pas la distribution des dividendes. Quelques jours après l’annonce de ces 4 800 suppressions d’emplois l’Assemblée Générale ordinaire et extraordinaire du groupe Peugeot-Citroën était convoquée pour le mercredi 23 mai 2007. Elle a décidé de verser 317 millions d’euros aux actionnaires.

Pourquoi et comment une telle générosité pour les actionnaires en période de vaches maigres pour les salariés ?

Le pourquoi est très simple à comprendre : il suffit de lire les documents joints pour l’assemblée. Le groupe distribue invariablement depuis au moins cinq ans 1,35 euro de dividende net par action. Cette année encore la règle est respectée : chaque actionnaire recevra 1,35 euro par action. Pour le seul groupe familial Peugeot cela fait plus de 95 millions d’euros. Ils nous parlent de culture du résultat mais les actionnaires, eux, se garantissent un revenu quel que soit le résultat de l’entreprise et quelle que soit la conjoncture.

Le comment apparaît aussi très clairement à la simple lecture des résultats du groupe. Comment en effet distribuer 317 millions aux actionnaires en annonçant un résultat net de 176 millions d’euros ? Comment est-il possible de distribuer 1,35 euros par action alors que, ramené à l’action, le résultat net n’est que de 0,77 euros ? Il faut simplement vivre sur l’entreprise, hypothéquer l’avenir, bref tondre la bête. Ainsi dans l’avis de convocation il est indiqué que « les investissements industriels sont en réduction significative, passant de 2 862 millions d’euros à 2 520 millions d’euros ». En réalité ce sont les fonds publics, c’est-à-dire les contribuables qui vont payer la recherche-développement pour l’entreprise au travers des associations d’employeurs ou les pôles de compétitivité. Ce sont les salariés du groupe qui vont payer le prix fort au travers des suppressions d’emplois et de la productivité accrue demandée aux salariés qui restent. Ainsi ils nous parlent de culture du risque mais ils reportent la totalité des risques sur les salariés alors que les actionnaires se garantissent eux-mêmes et sont garantis par l’Etat.

On comprend mieux pourquoi la direction a décidé de payer 4 800 salariés en inactivité plutôt que de procéder à un licenciement économique. Cela lui permet de ne pas ouvrir les livres de comptes de l’entreprise, de ne pas rendre de comptes sur ses actes de gestion et de ne pas avoir à justifier du motif économique des suppressions d’emplois.

Pendant ce temps l’argent des citoyens est mobilisé au profit des entreprises de la filière. La recherche, l’innovation sont prises en charge partiellement par la puissance publique pendant que Peugeot-Citroën se sépare de cadres et de techniciens pourtant utiles pour concevoir les nouveaux modèles et préparer l’avenir. Les actionnaires, eux, au lieu d’investir dans la recherche-développement, se contentent de se distribuer les dividendes et de préparer les gains futurs qui viendront de la revente de leurs actions le moment venu.

Comment vont réagir les salariés du groupe, rassurés par les « départs volontaires » mais également inquiets que l’on puisse être payé à ne rien faire ?

Comment vont réagir les techniciens et cadres restants alors que les meilleurs d’entre eux ou les plus mobiles vont vendre leurs compétences, leurs savoirs et leurs savoir-faire ailleurs ?

Enfin, comment va réagir l’Etat ? Est ce que vraiment, aujourd’hui, tout devient possible, surtout pour les héritiers ?

L’histoire fait ainsi un curieux pied de nez. Au lieu de travailler plus pour gagner plus, des milliers de salariés de Peugeot-Citroën sont invités à rester à la maison en continuant à être payés. Dans le même temps les actionnaires gagnent plus en travaillant moins pour l’avenir et en faisant moins travailler. Etrange pédagogie, bien mauvais début.

Monsieur le Président n’oubliez pas que dans notre société, revaloriser le travail implique d’abord de payer et de reconnaître le travail. Les salariés veulent vivre de leur travail. Ils attendent des résultats.

Thierry LEPAON

Représentant de la CGT au Conseil d’Orientation pour l’Emploi

Secrétaire Général du Comité Régional CGT de Normandie


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