Chronique ouvrière

Sur la preuve des heures supplémentaires

mercredi 15 août 2007 par Pascal MOUSSY

Décision :

Cour de Cassation
Chambre sociale
Audience publique du 10 mai 2007
N° de pourvoi : 05-45932

Publié au bulletin

Président : Mme COLLOMP

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée en qualité de consultante, statut cadre, par les sociétés EDF et GDF, aux termes d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel annualisé prenant effet le 1er janvier 2000, avec reprise de l’ancienneté qu’elle avait acquise au sein du service de la formation professionnelle de l’entreprise depuis le 18 février 1991 ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale le 1er février 2002, pour faire prononcer la résiliation de son contrat de travail et demander le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat ; qu’elle a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 30 avril 2003 lui reprochant son refus d’exécuter, malgré une mise en demeure, les prestations qui lui avaient été commandées le 22 novembre 2002 ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de sa demande en paiement d’un treizième mois pour les années 2000 à 2003, alors, selon le moyen :

1 / qu’il résulte expressément de ses conclusions que celle-ci fondait sa demande en paiement d’un treizième mois, non sur l’existence d’un usage, mais sur les stipulations de son contrat de travail ;

qu’en envisageant exclusivement l’existence d’un usage, la cour d’appel a donc dénaturé lesdites conclusions et violé l’article 4 du nouveau code de procédure civile ;

2 / que ce faisant, la cour d’appel a également privé sa décision de motifs, en violation de l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;

3 / qu’en refusant le paiement d’un treizième mois prévu par le contrat, la cour d’appel a violé ledit contrat et l’article 1134 du code civil ;

Mais attendu qu’abstraction faite d’un motif surabondant tiré de l’existence d’un usage, la cour d’appel qui a constaté, par motifs propres et adoptés, qu’aucune disposition du contrat de travail de la salariée ne prévoyait l’attribution d’un treizième mois dont le paiement était réservé aux agents statutaires et aux agents non statutaires “harmonisés”, catégories dont Mme X... ne relevait pas, a légalement justifié sa décision ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l’article L. 212-1-1 du code du travail ;

Attendu que pour débouter Mme X... de sa demande en paiement d’heures complémentaires, l’arrêt énonce que la salariée a produit à l’appui de sa demande des tableaux récapitulatifs établis par ses soins ne comportant pas le visa de l’employeur qui ne suffisent pas, en dehors de tous autres éléments, à prouver la réalité des heures complémentaires ; qu’il s’agit de documents complétés par les soins de la salariée qui n’ont pas été approuvés par sa hiérarchie ;

Attendu cependant, que s’il résulte de l’article L. 212-1-1 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties et que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; que toutefois celui-ci ne peut rejeter une demande en paiement d’heures complémentaires aux motifs que les éléments produits par le salarié ne prouvent pas le bien-fondé de sa demande ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l’article 625 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la cassation de l’arrêt sur le premier moyen entraîne l’annulation par voie de conséquence des dispositions relatives à la rupture ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, sauf celles ayant débouté Mme X... de ses demandes en paiement du treizième mois et de congés payés, et les sociétés EDF et GDF de leur demande reconventionnelle en remboursement de salaire, l’arrêt rendu le 27 octobre 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ;

remet, en conséquence, sur les points visés par la cassation, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société EDF - GDF aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille sept.

Décision attaquée :cour d’appel de Versailles (5e chambre B) 2005-10-27

Commentaire :

Pendant longtemps, beaucoup de salariés qui avaient effectué des heures supplémentaires et qui avaient eu la mauvaise surprise, au moment de la lecture de leur fiche de paye, de constater que ces heures n’avaient pas été comptabilisées par l’employeur (et étaient en conséquence non payées) étaient confrontés au redoutable fardeau de la preuve, lorsqu’ils engageaient un procès prud’homal en vue de se faire payer le temps de travail volé.

Le salarié aux prises avec un patron particulièrement malhonnête niant l’existence des heures supplémentaires était souvent dans l’incapacité de fournir aux juges des documents de l’entreprise ou des attestations de collègues de travail établissant la réalité des heures litigieuses.

Le 31 décembre 1992, le législateur faisait aux demandeurs infortunés un petit cadeau de fin d’année, susceptible de réparer l’injustice probatoire, en offrant l’article L.212-1-1 du Code du Travail, qui ne permettait plus de mettre la charge de la preuve des heures de travail effectuées sur les épaules du salarié, en des termes non équivoques :
« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

Un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 25 février 2004 (Bull. V, n° 61), a jeté le trouble en soulignant que, s’il résulte de l’article L.212-1-1 du Code du Travail que la preuve des heures de travail n’incombe spécialement à aucune des parties et que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les heures effectivement réalisées par le salarié, il appartient à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande. Cette obligation de fourniture préalable d’information concernant les heures de travail litigieuses ne revient-elle pas à exiger du salarié qu’il soit le plus actif dans l’administration de la preuve de l’existence de ces heures ?

Mais étayer, c’est appuyer, soutenir, ce n’est pas prouver.

Dans son arrêt du 16 mai 2007, la Cour de Cassation entend rassurer en affirmant qu’il n’est pas question de remettre en cause le rééquilibrage mis en place par l’article L.212-1-1.

En l’espèce, la Cour d’Appel avait cru devoir rejeter la demande de paiement d’heures faite par une salariée en considérant que les tableaux récapitulatifs établis par les soins de la demanderesse ne suffisaient pas à prouver la réalité des heures litigieuses, ces tableaux n’ayant pas été approuvés par la hiérarchie…

La Cour de Cassation censure cette démarche.

Le juge ne peut rejeter la demande en paiement des heures litigieuses au motif que les éléments produits par le salarié ne prouvait pas le bien fondé de sa demande.

Le salarié ne saurait obtenir satisfaction s’il ne fournit pas préalablement au juge des indices sur la réalité des heures revendiquées.

Mais, s’il veut éviter la condamnation au paiement des heures qu’il est accusé d’avoir volé, c’est bien à l’employeur, qui organise et distribue le travail, directement ou par responsables intermédiaires interposés, de fournir des explications les plus détaillées et convaincantes possibles sur les horaires effectivement réalisés par le salarié.

L’arrêt du 10 mai 2007 présente également l’intérêt d’indiquer que le mécanisme probatoire de l’article L.212-1-1 du Code du Travail ne concerne pas que les heures supplémentaires et a également vocation à intervenir dans le contentieux des heures complémentaires effectuées par les salariés à temps partiel.


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