Chronique ouvrière

Accord collectif et principe d’égalité, la Cour de Cassation intervient dans la "liberté" de négocier

lundi 15 février 2010 par Didier MALINOSKY
Cass. Soc. 1er juillet 2009.pdf
Cass. Soc. 28 octobre 2009.pdf

Par deux arrêts récents (07-42675 du 1er juillet 2009 et 08-40457 à 08-40486 du 28 octobre 2009) la Cour de Cassation a validé le principe d’égalité y compris dans les accords collectifs.

Dans le premier arrêt, il s’agissait d’un accord d’entreprise accordant un nombre de jours de congés payés supérieur pour les cadres (30 jours) que pour les non cadres (25).

Un salarié non cadre (démarcheur-livreur)se verra débouté , par la Cour d’appel de Paris, au motif qu’aucune disposition légale ou conventionnelle n’interdit aux partenaires sociaux de prévoir un nombre de jours de congés différents selon les catégories professionnelles.

La Cour de cassation casse et annule, sur la motivation suivante :

« Attendu cependant que la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ;

Qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans rechercher si l’octroi de l’avantage accordé aux cadres était justifié par des raisons objectives et pertinentes, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision »

Dans le second arrêt « multiple » (plus de trente salariés ayant saisi initialement), il s’agissait d’un accord cadre d’un groupe (UES) fixant l’attribution d’une prime anniversaire liée à l’ancienneté de chaque salarié et qui laissait aux accords des différentes entreprises de l’UES le soin de définir les modalités du calendrier de paiement de la dite prime.

Dans une des entreprises de l’UES, un accord majoritaire fixait pour le 1er du mois suivant la signature de l’accord la date d’application sauf pour un établissement dont l’application était renvoyée au 1er décembre de l’année suivante.

Le Conseil des prud’hommes ayant fait droit aux salariés, l’employeur s’était pourvu en cassation aux motifs qu’une différence de traitement ne constitue pas une discrimination illicite dès lors qu’un accord d’entreprise prévoit que l’entrée en application d’une disposition sera différée pour un des établissements et que cette disposition ne méconnait le principe de « à travail égal : salaire égal » alors que les capacités budgétaires de l’entreprise ne permettaient pas l’application immédiate à tous les salariés de l’avantage issu de l’accord.

La Cour de cassation rejet les pourvois de la société aux motifs que :

« Un accord d’entreprise ne peut prévoir de différences de traitement entre salariés d’établissement différents d’une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égal, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ;

Et que : « le Conseil des Prud’hommes, …, a fait ressortir que le choix des partenaires sociaux de priver un certain nombre de salariés du site de Val-de-Reuil du bénéfice de la prime anniversaire aux fins de permettre au plus grand nombre de salariés des autres établissements de bénéficier sans délai des avantages de l’accord cadre ne reposait sur aucune explication objective,…, propre à justifier les différences de traitement.. ».

C’est deux arrêts marquent une inflexion de la Cour de Cassation sur les possibles interventions des juges du contrat de travail dans les accords collectifs et elle le fait au regard d’un principe général du droit : « A travail égal ; salaire égal ».

Dans un précédent arrêt, jonction de deux pourvois (98-40769 et 98-40783), la Cour de Cassation avait, en octobre 1999, admis le principe que des accords d’établissement, prévus à l’article L 2232-16 du Code du travail, permettaient d’établir des différences de traitement entre les salariés d’une même entreprise.

En l’espèce, une quinzaine de salariés d’un centre de production d’EDF avaient saisi le conseil des prud’hommes de Givors pour se voir attribuer une prime prévue par des circulaires internes au motif que par accord collectif d’établissement elles avaient été attribuées aux salariés de la centrale thermique de Porcheville placés précédemment dans la même situation.

La Cour avait cassé et annulé le jugement du conseil des prud’hommes, qui avait fait droit aux salariés, au motif que les salariés du centre de Loire-sur -Rhône n’entraient pas dans le champ d’application de l’accord collectif signé dans le centre de Porcheville (département des Yvelines).

Si un lecteur peut attentif pourrait considérer comme contradictoire l’arrêt de 1999 et ceux de 2009, il n’en est rien.

L’arrêt de 1999 constatait qu’une des caractéristiques de tout accord à savoir son champ d’application, en l’espèce l’établissement, n’était pas remplie.

Pour les plus récents, la Cour n’avait pas à statuer sur le champ territorial (l’entreprise) et l’application du principe « travail égal, salaire égal » reprenait toute sa prépondérance.

Sur le champ territorial, Il serait intéressant de connaitre la position de la Cour de Cassation sur un accord collectif préélectoral applicable à des salariés prestataires de service et signé par les syndicats de la société maître d‘œuvre.

Depuis plusieurs années, des champs de réformes importantes sont effectuées, tant sur la représentativité (loi du 20 août 2008) que sur la hiérarchie des normes (accords dérogatoires).

La conjugaison de ces deux types de réforme impose une vigilance importante pour le respect des grands principes du droit dans les accords collectifs.

En ce sens le deuxième arrêt me semble d’une portée plus importante que le premier, sur lequel nous reviendrons plus tard.

La configuration syndicale de nombreuses entreprises montrent que si une seule organisation ne peut, à elle seule, faire appliquer un accord (règle des 30% et du droit d’opposition), il n’en va pas de même en cas de signatures multiples et majoritaire ou de l’abstention d’une ou des organisations non signataires à faire jouer son ou leurs droits d’opposition. C’est, donc, à défaut que l’accord deviendrait applicable.

Prenez une entreprise où un établissement serait particulièrement revendicatif et, où l’organisation syndicale majoritaire dans l’établissement ne pourrait s’opposer à un accord groupe qui accorderait des avantages supérieurs aux autres établissements.

Hypothèse d’école me direz-vous ?

Pas si sûr, tout syndicaliste sait que la mobilisation dans les entreprises tient non seulement aux syndicats présents mais aussi aux personnalités des militants.

Tout syndicaliste sait aussi que la discrimination syndicale ne touche pas tous les militants et tous les syndicats de la même manière et tout observateur attentif de l’actualité sociale sait que tous les syndicats ne participent pas, de la même manière, à la fluidification des relations sociales mode UIMM.

Alors, comment ne pas imaginer, à quelques mois d’élections professionnelles, un tel accord « discriminatoire »pour faire « mordre la poussière »dans son bastion à ce syndicat revendicatif en arguant de capacité budgétaire insuffisante pour en faire bénéficier l’ensemble des établissements.

Même si en l’espèce ce n’est pas le cas, la Cour vient de rappeler aux négociateurs qu’ils ne peuvent pas faire n’importe quoi et le juge du contrat de travail peut « s’immiscer » dans « la liberté de négocier » au nom d’un principe général du droit.

Déjà, dans de nombreux accords des avantages différents sont présents entre catégories professionnelles différentes.

Dans le premier arrêt (1er juillet 2009), la Cour de Cassation rappelle ce qu’elle déjà dit dans un autre arrêt (classé P+B+R+I) pris en Assemblée Plénière présidée par son Premier Président, en date du 27 février 2009.

Si une différence de rémunération entre catégories de personnel est admissible pour des raisons objectives (ici des agents public et de salariés de droit privé de la Poste), il en va autrement s’agissant d’un complément de rémunération fixé par décision de l’employeur et applicable à l’ensemble du personnel, quelque soit le statut, sur le critère de la fonction ou du poste occupé.

La nouveauté réside dans l’immixtion du juge par l’extension du principe « à travail égal, salaire égal » à un accord collectif et non pas dans la décision unilatérale de l’employeur.

Souhaitons que la Cour ne s’arrête pas à ces deux arrêts et que si une hirondelle ne fait pas le printemps, deux en soit l’annonce.


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