Chronique ouvrière

Une belle victoire pour les ouvriers agricoles marocains : le juge des référés refuse la complaisance de la Préfecture permettant de perpétuer un droit au travail et au séjour à temps réduit !

vendredi 18 avril 2008 par Pascal MOUSSY
Tribunal Administratif de Marseille 26 Mars 2008.pdf
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L’ordonnance rendue le 26 mars par le juge des référés du Tribunal Administratif de Marseille est le fruit du travail réalisé par un collectif d’avocats marseillais en liaison avec le CODETRAS (collectif de défense des travailleurs étrangers de l’agriculture des Bouches-du-Rhône).

7 avocats ont assuré la défense de 23 travailleurs saisonniers marocains intervenant sur plusieurs exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône et titulaires jusqu’alors d’une carte de séjour temporaire, portant la mention « travailleur saisonnier », qui entendent obtenir de l’autorité préfectorale la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié ».

I. La situation d’un droit au travail et au séjour « à temps réduit » ayant conduit à la saisine du juge des référés administratif.

Les intéressés, employés dans des entreprises agricoles des Bouches-du-Rhône depuis plus d’une vingtaine d’années, considéraient qu’ils étaient en droit d’obtenir qu’il soit mis fin à un droit au travail et au séjour sur le territoire français particulièrement limité.

La carte qui leur était remise ne valait autorisation de séjour que pendant la durée des travaux saisonniers pour lesquels ils avaient été autorisés à travailler et qui étaient censés ne pas dépasser une durée de six mois. (Jusqu’à l’intervention de la loi Hortefeux du 20 novembre 2007 qui a supprimé toute dérogation à cette durée maximale de six mois, les ouvriers agricoles concernés s’étaient vus autorisés, chaque année, à rester sur le territoire pendant huit mois. Cette prolongation de six à huit mois était en effet admise, à titre exceptionnel, sous la double condition que ces contrats concernent des activités agricoles déterminées, pour lesquelles cette mesure répond à des exigences spécifiques et que l’employeur intéressé apporte la preuve qu’il ne peut faire face à ce besoin par le recrutement de main-d’œuvre déjà présente sur le territoire national).

Mais il était temps de se rendre à l’évidence ! Cette réduction à seulement la moitié de l’année de leur droit au travail et au séjour ne correspondait pas du tout à la réalité de leur emploi !

S’ils ne pouvaient avoir une carte de séjour temporaire correspondant à la totalité de l’année, c’est parce qu’ils étaient censés occuper un emploi saisonnier.

Seulement, il était pour le moins abusif de présenter comme saisonnière une activité qui, depuis plus d’une vingtaine d’années, s’était vue prolongée pendant huit mois et qui consistait soit à produire des tomates sous serre, soit à planter des courgettes, puis tailler des pommiers, puis planter des melons, puis les cueillir, puis planter des choux et des artichauts, puis planter des haies de canne…

Les travailleurs agricoles concernés n’étaient pas engagés pour une saison correspondant à un fruit ou à un légume déterminé, mais pour être affectés à une activité permanente ou à des activités pouvant successivement se dérouler pendant quasiment toute l’année.

Embauchés comme « saisonniers » pour pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, les 23 intéressés pouvaient à juste titre demander la requalification de leurs contrats en contrat de travail à durée indéterminée.

Et, titulaires du contrat de travail de droit commun, ou, si l’on préfère du contrat de travail normal, ils étaient de droit de demander au préfet des Bouches-du-Rhône la remise d’une autorisation de travail pendant les douze mois de l’année et la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention non de « travailleur saisonnier » mais de « salarié » (mention leur permettant de ne pas être contraint de quitter le territoire français, d’abandonner leur travail et de perdre la source de revenus correspondante- enfin, plus ou moins « correspondante », si l’on a présent à l’esprit le mécanisme de la plus-value…).

Les 23 ouvriers agricoles concernés se sont adressés à la fin de l’été 2007 à la préfecture des Bouches-du-Rhône pour obtenir le renouvellement de leur autorisation de travail, mais pour une période allant au-delà de six mois et la délivrance d’une carte de séjour portant la mention « salarié ».

Les demandeurs produisaient des éléments qui mettaient en évidence qu’ils ne pouvaient plus être assimilés à des travailleurs saisonniers et qu’ils présentaient le profil de salariés « de droit commun » pouvant exiger de se voir donner du travail (et de percevoir un salaire) tout au long de l’année.

Les services de la préfecture n’ont pas voulu reconnaître l’évidence. Mais sans donner d’explications « officielles » sur le refus de « régulariser » la situation de travailleurs faussement présentés comme « saisonniers » par les responsables des exploitations. Ce sont en effet des décisions implicites de refus, nées du silence gardé pendant plus de quatre mois par le préfet, qui ont été opposées aux légitimes demandes présentées par les 23 personnes désireuses de sortir d’une précarité des plus scandaleuses.

Les décisions de refus de délivrance d’une autorisation de travail et d’une carte de séjour portant la mention « salarié » ont fait l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal Administratif de Marseille.

Mais la justice administrative n’est pas particulièrement rapide. Elle se caractérise par une procédure écrite, qui laisse sereinement se déployer un temps d’instruction laissant le requérant supporter une charge de l’attente particulièrement longue.

C’est pourquoi les 23 intéressés, qui voyaient leurs vies totalement bouleversées par une situation d’extrême précarité, ne recevant aucun salaire, ne pouvant prétendre à aucune allocation compensatrice et ne pouvant ainsi plus subvenir aux besoins alimentaires de leurs familles, ont eu recours au référé-suspension permis par les dispositions de l’article L.521-1 du Code de justice administrative.

Ils ont demandé au juge des référés du Tribunal Administratif de Marseille de prononcer la suspension des décisions de refus de renouvellement d’autorisation de travail et de délivrance du titre de séjour portant la mention « salarié » et d’enjoindre à l’autorité préfectorale le leur délivrer une autorisation provisoire de séjour, portant droit au travail, jusqu’à ce que le Tribunal Administratif de Marseille ait statué sur le fond de leurs requêtes en annulation.

II. Une ordonnance qui met en évidence la caractère artificiel de l’appellation de travailleur « saisonnier ».

La lecture de l’ordonnance que nous publions, qui concerne l’un des 23 ouvriers agricoles requérants, montre qu’un examen un tant soi peu attentif du dossier a permis au juge des référés de constater qu’il ne pouvait être sérieusement soutenu que l’emploi occupé par Monsieur Messaoud Bouzelmat pourrait être considéré comme « saisonnier ».

L’intéressé a été employé pendant 26 ans sur la même exploitation agricole. Dès la deuxième année, de manière systématique, il a vu son contrat de travail, en principe conclu pour six mois, prolongé à huit mois. A partir de 2001, il a été affecté à une activité dont le caractère saisonnier est particulièrement discutable : la production de tomates sous serre.

En fait, l’intéressé était employé pour répondre à des besoins permanents de son employeur. Comme le souligne l’ordonnance, l’appellation de « saisonnier » ne correspondait pas ici à des « facteurs saisonniers particuliers » mais à « des contraintes administratives liées à l’introduction des travailleurs saisonniers ».

L’ouvrier agricole concerné n’exerçait pas des tâches spécifiques et saisonnières permettant la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée. La circonstance que l’employeur ait utilisé le système administratif de contrôle de l’immigration régissant le travail et le séjour des travailleurs saisonniers étrangers pour faire exécuter durablement par l’intéressé des tâches correspondant à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ne permettait pas de maintenir légalement la fiction du caractère saisonnier du travail confié à Monsieur Messaoud Bouzelmat.

Le juge des référés a relevé que pendant 26 années consécutives, l’intéressé a contribué à maintenir une agriculture compétitive dans le département des Bouches-du-Rhône et qu’il a témoigné de l’ancienneté et de la stabilité d’une insertion de nature à établir qu’il avait situé le centre de ses intérêts économiques et professionnels en France.

L’autorité préfectorale ne pouvait donc, sans qu’il y ait un doute sérieux sur la légalité de sa décision, se prévaloir du caractère saisonnier de la situation de l’intéressé pour opposer un refus à la demande de remise d’une autorisation de travail pour une période allant au-delà de six mois par an.

Le refus de délivrance du titre de séjour sollicité a été critiqué par Monsieur Messaoud Bouzelmat en ce qu’il méconnaissait les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui affirment que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale.

Ce n’était pas parce que la famille de l’intéressé était restée au Maroc que celui-ci n’avait pas pu, en 26 années de présence en France, créer des liens lui permettant de se constituer une vie privée sur le territoire français.

Le juge des référés semble ne pas être resté insensible devant cet argument. Il a en effet considéré que le moyen tiré d’une atteinte disproportionnée au droit du respect de la vie privée de Monsieur Messaoud Bouzelmat paraissait propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus de délivrance du titre de séjour sollicité, après avoir pris en compte les conséquences de ce refus sur la situation personnelle de l’intéressé.

En ce qui concerne l’urgence à suspendre les décisions attaquées, le juge de référés n’a pas eu de mal à se faire une religion. Ces décisions avaient pour effet d’interdire à l’intéressé, qui travaillait en France depuis 1981, d’occuper un emploi dans des conditions non discriminatoires ou de bénéficier d’allocations compensatrices. Ce qui le mettait dans une situation d’extrême précarité ayant de graves incidences pour lui et sa famille. L’urgence était manifestement constituée.


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