Chronique ouvrière
une interview de Ghislaine JOACHIM-ARNAUD, <BR>secrétaire générale de la CGTM

Le 15 décembre prochain, les békés veulent un procès colonial pour faire payer le mouvement de février et mars 2009

samedi 6 novembre 2010

Chronique Ouvrière : Tu as été convoquée à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Fort de France ? Pourrais-tu nous dire ce qui t’est reproché ?

Ghislaine JOACHIM-ARNAUD : Les faits sont simples.

A la fin de l’émission Le Club, diffusée le 22 Mars 2009 par la chaine ATV, reprenant le refrain entonné par de dizaines de milliers de manifestants mobilisés durant 38 jours en février et mars 2009, j’ai inscrit sur le livre d’or : « Matinik sé ta nou, Matinik sé pa ta yo, an bann bétché profitè volè, nou ké fouté yo déwo. Komba ta la fok nou kontinié ».

Suite à cette émission, un certain Jean-François Hayot président d’une association dénommée « Respect DOM » - (Rassemblement pour l’Essor de la Solidarité, de la Paix, de l’Entreprise et des Communautés Territoriales) - a déposé une plainte. Après une première convocation le 16 septembre 2009 devant les policiers du SRPJ, le procureur m’a assignée à comparaitre devant le tribunal correctionnel pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, à l’égard d’un groupe de personnes…… ».

Cette émission se déroulait quelques jours après la fin du mouvement de grève qui a vu des dizaines de milliers de travailleurs, petits producteurs, chômeurs, femmes, jeunes, retraités, se dresser contre toute sorte d’abus, ce que nous appelions la « pwofitasyon », et particulièrement contre la hausse vertigineuse des prix des produits de première nécessité, des produits alimentaires, de l’essence. Cette population excédée, manifestait aussi contre le chômage, les bas salaires, les maigres retraites etc.

Tout au long des jours de manifestations, les gros possédants, les békés, qui détiennent une part importante de l’économie, de la grande distribution ou de l’import-export, étaient pointés dans les chansons reprises et notamment le refrain : « Matinik sé ta nou, Matinik sé pa ta yo, an bann pwofitè –volè nou ké fouté yo dewo, Matinik sé ta nou, Matinik sé pa ta yo, an bann bétché volè, nou ké fouté yo dewo ».
Pour moi et très certainement pour une partie importante de la population, c’est invraisemblable, grotesque et anachronique que cela soit nous, représentants des travailleurs, qui nous trouvions trainés devant les tribunaux, accusés de racisme précisément dans un pays où la minorité béké a historiquement été liée jusqu’à il y a quelques dizaines d’années encore, à l’oppression raciale et sociale, à l’esclavage d’abord, à la répression et à l’exploitation ensuite. Il s’agit d’un pur procès colonial.

Chronique Ouvrière : Comment cette convocation devant le Tribunal a-t-elle été ressentie par les travailleurs et les militants qui ont participé au mouvement de février-mars 2009 ? Qu’est-ce que la CGTM leur propose comme initiative pour le 15 décembre, jour de l’audience du Tribunal correctionnel ?

Ghislaine JOACHIM-ARNAUD : En allant sur les marchés lors de prises de paroles et diffusions de tracts pour la grève générale du 26 octobre, plusieurs personnes, le plus souvent de milieu populaire, m’ont dit spontanément qu’elles me soutenaient, qu’il me fallait avoir du courage et ne pas changer de langage.

De nombreux militants, ceux du mouvement social, des organisations syndicales et politiques, ont pratiquement tous qualifié cette convocation au tribunal correctionnel de provocation d’une justice coloniale. Ils dénoncent ce « pouvoir colonial » qui « a osé s’attaquer à une dirigeante syndicaliste qui n’a fait que reprendre ce que disaient des dizaines de milliers de gens mobilisés contre la vie chère, le chômage, les injustices en février et mars 2009 ».

Les agents municipaux réunis en congrès du 20 au 23 octobre derniers, ont voté une motion de « soutien total », affirmant que « G. Joachim-Arnaud ne sera pas toute seule face aux juges, et que toute la CGTM était attaquée ». Ils ont affirmé qu’ils seront tous devant le tribunal le 15 décembre.

Par ailleurs, des militants et responsables de la CGTM ont décidé de créer un comité de soutien pour faire une campagne d’information sur le procès, et appeler les militants et adhérents, les organisations syndicales et politiques, les membres de la population à exprimer leur solidarité, leur volonté de continuer la lutte contre « les exploiteurs-voleurs » et leur soutien lors du procès.
 

Chronique Ouvrière : Pourrais-tu nous donner quelques informations sur l’état de la situation sociale en Martinique et sur les luttes qui sont actuellement menées ?

Ghislaine JOACHIM-ARNAUD : En Martinique, la tension sociale reste palpable car malgré un certain répit suite aux revendications arrachées après le mouvement de février-mars 2009 (200 euros de prime de vie chère pour les bas salaires, baisse significative du prix de l’essence et de 400 articles de 1ère nécessité), les problèmes de fond ne connaissent aucune amélioration, au contraire.

Dans de nombreux secteurs, les patrons prenant prétexte des dernières luttes sociales et aussi du ralentissement des affaires venant de la crise mondiale, ont licencié. C’est le cas dans le bâtiment ou encore récemment dans l’hôtellerie avec des licenciements programmés dans certains hôtels du groupe Karibea. Mais il y a aussi l’aggravation des conditions de travail, le harcèlement au travail, notamment parmi les ouvriers agricoles. Le blocage de fait des salaires, des retraites, des revenus sociaux ne permet pas à la population laborieuse de faire face à l’augmentation des prix constatée sur de nombreux produits, à celle de la bonbonne de gaz qui vient de passer de 19 à 20€, pour licencier.
Il y a aussi la dégradation des services publics, qui frappent d’abord les salariés de ces secteurs, celui des hôpitaux carrément asphyxiés, celui de l’Education nationale avec la diminution des postes, mais aussi de la Poste ou des impôts pour n’en citer que certains. Mais la dégradation de ces services touche aussi la population qui en a le plus besoin et qui souffre.

Pour autant, on n’assiste pas en ce moment à de grandes luttes comme en février-Mars 2009. Les travailleurs se défendent néanmoins pied à pied et n’acceptent pas de voir aggraver leur situation ou celle de la population. C’est le cas par exemple ces jours derniers de travailleurs de l’hôtel Amyris à Ste Luce, de ceux de l’hôpital du Lamentin qui luttent contre la fermeture de la maternité de leur établissement. Mais aussi des chauffeurs de bus affrétés de la compagnie de transport urbain de la région urbaine de Fort de France qui n’acceptent plus les discriminations qu’ils subissent sur les salaires.

Alors, il est sûr que face à cette situation qui continue de s’aggraver, les salariés reprendront confiance dans leurs luttes pour faire reculer les « exploiteurs-voleurs » et améliorer leur sort.


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