La condamnation de Renault pour discrimination syndicale, résultat d’une action militante
Il est couramment professé çà et là qu’il existerait une méthode miracle pour faire reconnaitre la discrimination syndicale et cette « méthode » porterait le nom de son inventeur. Loin des techniques, méthodes ou autres poudres de perlimpinpin, cet arrêt nous prouve qu’il n’existe pas une, mais plusieurs manières pour les salariés d’apporter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale et surtout qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans une voie unique qui aurait été tracée car le risque est grand que les employeurs s’approprient ces méthodes et les retournent contre ceux qu’elles étaient censées défendre.
En l’espèce, Monsieur HENRI a été embauché par l’établissement du Mans de la société RENAULT le 1er août 1980 en qualité d’ouvrier au coefficient 180. Il devait évoluer pour obtenir le coefficient 195 dès l’année qui suivit son embauche, puis 215 en 1985, 240 en 1990, 260 en 1992 et enfin 285 en 1994. Toutefois, cette progression de carrière cessait brusquement à partir de 1995, date à laquelle le salarié prenait son premier mandat de représentant du personnel, c’est pourquoi il saisissait la juridiction prud’homale afin de voir reconnaître la discrimination dont il était victime.
A travers un arrêt du 29 janvier 2013, la Cour d’appel de Versailles reconnait la discrimination syndicale opérée par la société Renault au détriment du militant et ordonne que soit réparé le préjudice causé.
Cet arrêt pourrait être étudié selon plusieurs angles, toutefois, il convient de focaliser notre attention sur un point essentiel à nos yeux : la preuve de la discrimination syndicale.
Le régime probatoire de la discrimination syndicale est régit par l’article L 1134-1 du Code du Travail, lequel organise l’administration de la preuve en deux temps. Dans un premier temps, il appartient au salarié qui s’estime victime de discrimination syndicale d’apporter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Il ne s’agit pas pour le salarié d’apporter la preuve de la discrimination, simplement de fournir un faisceau d’indices qui permette d’étayer les allégations de discrimination syndicale. La Cour de Cassation a eu l’occasion, à maintes reprises, de rappeler ces règles régissant l’administration de la preuve dans le contentieux de la discrimination syndicale en matière salariale et professionnelle par des décisions rappelant de manière constante les principes énoncés plus haut, sans ajouter d’autre charge pour le salarié que celle d’établir l’existence d’« éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement [1] » .
Ainsi, l’intervention du juge consiste à examiner le déroulement de carrière du salarié et les agissements de l’employeur qui seraient intervenus dans ce cadre pour vérifier les allégations de discrimination syndicale évoquées par le salarié : au juge de vérifier, en présence d’une discrimination syndicale invoquée, les conditions dans lesquelles la carrière du salarié s’était déroulée et alors que la preuve de la discrimination n’incombait pas à celui-ci [2] » .
En l’espèce, le salarié faisait état d’une pluralité d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, notamment l’acquiescement au 1er jugement rendu contre la société Renault, la mention de l’activité syndicale dans plusieurs comptes rendus d’évaluations ainsi qu’un tableau retraçant son évolution de carrière comparativement à d’autres salariés placés dans des circonstances analogues.
S’agissant du premier élément invoqué par dans l’arrêt, à savoir l’acquiescement à un premier jugement condamnant l’employeur pour discrimination syndicale, il est purement et simplement écarté pour un motif assez logique, la délimitation de l’objet du litige. En effet, l’objet du litige actuel portait sur la poursuite de la discrimination après ce jugement alors que l’acquiescement a trait à la discrimination syndicale antérieure. Ainsi, il est fort logique que cet acquiescement ne puisse être utilement invoqué dans le présent litige.
Quant à la mention de l’activité syndicale du salarié dans les comptes rendus d’entretiens d’évaluation, la jurisprudence est assez limpide notamment depuis un arrêt du 1er juillet 2009, dans lequel la haute Cour considérait que les références faites à l’activité de représentant du personnel de l’agent dans les entretiens d’évaluation et aux perturbations qu’elles entraînaient dans la gestion de son emploi du temps, laissaient supposer l’existence d’une discrimination syndicale [3] .
Toutefois, il n’est pas indifférent de préciser que cette référence à l’activité syndicale dans les comptes rendus d’entretien d’évaluation peut revêtir plusieurs formes. Ainsi elle peut être directe avec une mention explicite aux activités syndicales, mais elle peut également être indirecte dès lors qu’elle ne fait pas référence en tant que tel au mandat mais aux prérogatives qui en découlent, singulièrement la prise d’heures de délégations.
En l’espèce, les juges retiennent que les comptes rendus d’entretien d’évaluation du salarié mentionnaient indirectement l’activité syndicale du salarié, laquelle ne lui permettrait pas d’atteindre les résultats fixés par sa hiérarchie.
A eux seuls ces éléments permettaient de présumer de l’existence d’une discrimination syndicale d’autant que l’employeur n’était, au regard des mentions litigieuses, pas en mesure d’apporter des éléments qui viendraient démontrer le contraire. Mais il y’a plus, car la société Renault reconnait dans ses écritures que l’entretien individuel d’évaluation occupe une place déterminante les changements de coefficients.
La Cour, retient donc que le salarié avait apporté des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination et que l’employeur n’apporte aucun élément objectif susceptible de démontrer le contraire.
En outre, le salarié apportait d’autres éléments de nature à étayer d’avantage ses allégations de discrimination syndicale, notamment une évolution de carrière limitée comparativement à ses collègues placés dans des situations analogues. A l’appui de ses demandes, le salarié apporte un panel de comparaison regroupant des salariés ayant sensiblement le même âge, pourvus d’une ancienneté similaire à M Henri, entrés au service de la société Renault à la même période, avec une formation professionnelle comparable et des niveaux de qualifications et de compétences analogues au début de la période litigieuse. Ce périmètre de comparaison était discuté par l’employeur qui prétend que la comparaison devait être effectuée au regard des salariés actuellement placés dans les mêmes conditions, ce qui lui permettait subrepticement d’évincer du panel les salariés promus cadres. Sur ce point, la Cour répond fort justement que l’employeur ne fournit pas d’éléments tels que le suivi de formations qualifiantes qui seraient de nature à justifier l’évolution de ces salariés vers le statut de cadre, se faisant et valide ainsi le panel de comparaison établit par le demandeur.
Il ressort de l’examen du panel retenu et des tableaux d’évolutions des salariés que le niveau de salaire de M Henri est nettement inférieur à la moyenne des salariés, qu’ils soient entrés à la même date, au même coefficient, qu’ils aient atteint ce coefficient après lui ou qu’ils soient de coefficient inférieur.
Facteur aggravant pour la société Renault, alors que le positionnement doit prendre en compte l’âge et l’ancienneté, le militant bénéficie d’un salaire plus bas que la moyenne alors que son ancienneté est supérieure de treize ans. La Cour en conclut donc, que le salarié apporte encore d’autres éléments de nature à supposer l’existence d’une discrimination syndicale, tandis que la société Renault qui tente par désespoir de cause d’invoquer un avertissement et un pseudo excès de vitesse, ne parvient pas à démontrer l’absence de discrimination.
Ainsi, les juges en concluent que le militant était bien victime de discrimination syndicale de la part de la société Renault après le premier jugement rendu le 23 avril 2004 et que son préjudice doit être réparé.
Quels enseignements nous livre cet arrêt ?
Qu’il ne faut pas se contenter de construire des panels pour apporter des éléments de nature à étayer l’existence d’une discrimination syndicale car les employeurs savent aussi faire des panels configurés pour les besoins de la cause.
Les panels constituent un moyen au service d’une fin. Faire condamner l’employeur au titre de la discrimination syndicale, ce n’est pas une fin en soi, car ce qui doit être combattu c’est une pratique systématique de répression syndicale, pratiquée au jour le jour et susceptible d’adopter plusieurs formes. Aussi, le litige ne doit pas se cristalliser exclusivement autour des médianes et variables que l’employeur pourra toujours discuter mais autour du parcours militant d’un syndicaliste, lésé dans sa carrière au regard de son engagement.
[1] Cass. Soc. 28 mars 2000, pourvoi 97-45258 ;
[2] Cass. Soc. 27 novembre 2002.
[3] Cass. Soc. 1er juillet 2009, pourvoi n° 08-40.988 ; voir aussi Cass. Soc. 28 janvier 2010, pourvoi n°08-44486 ; Cass. Soc. 11 janvier 2012, 3 arrêts, pourvois 10-16657, 10-16657, 10-16657