Chronique ouvrière

Comptabilisation des temps de délégation : les socialistes volent au secours d’Air France contre la liberté syndicale !

mercredi 10 juin 2015 par Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS

La liberté syndicale est consacrée par la Constitution sous sa double forme de la liberté individuelle d’adhérer à un syndicat et de la liberté d’agir syndicalement.

Cette liberté fondamentale est garantie par les règles inscrites dans le Code du travail. A ce titre, le chef d’entreprise ou d’établissement est tenu de laisser, chaque mois, aux représentants du personnel un certain nombre d’heures nécessaires à l’exercice de leur mission. Ce temps, précise la loi, « est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale ».

Ainsi, pour tous les représentants du personnel, qu’ils soient élus ou mandatés, le crédit d’heures de délégation est mensuel et fixé à 10, 15 ou 4 heures, selon la taille de l’entreprise et le mandat exercé.

Par ailleurs, l’élément fort du dispositif mis en place par le législateur consiste dans l’obligation d’un décompte en heures, aucune autre forme de comptabilisation ne pouvant être imposée aux représentants du personnel. Cette interdiction est d’autant plus impérative à l’égard de l’employeur qu’un autre mode de décompte serait susceptible de porter atteinte au libre exercice des mandats.

Cette conception est logique, dans la mesure où une adaptation du décompte en jours transformerait le temps de délégation en un forfait. Il permettrait à l’employeur, de fixer le rythme et la durée des temps de délégation et interdirait leur fractionnement en fonction des besoins du mandat, contrairement au principe posé par la Cour de cassation.

Les représentants du personnel peuvent en effet fractionner les heures de délégation à leur guise, en fonction des besoins du mandat, le crédit pouvant même être pris en fractions d’heures. (voir : Cass. Soc. 11 décembre 2001, pourvoi 99-43650 ; Rep. Min. JO Sénat 13 juin 1962, n°2631, page 492)

Cette exigence d’une totale liberté d’utilisation du crédit d’heures interdit à l’employeur un contrôle a priori sur l’activité des délégués du personnel. Celui-ci n’a donc aucune autorisation à demander quand il veut s’absenter et s’il le fait, l’employeur ne peut la lui refuser. (Cass. Crim. 10 mars 1981, pourvoi 77-93791 ; Cass. Crim. 10 mars 1981, pourvoi 80-91570) A fortiori, l’employeur ne saurait contraindre les délégués à exercer leurs fonctions à certains moments ou sur une durée définis par lui. (Cass. Soc. 11 juin 2008, pourvoi 07-40823 ; Cass. Soc. 11 janvier 2006, pourvoi 03-47596)

Ces seules considérations suffisent à disqualifier tout autre mode de comptabilisation des heures de délégation.

Il ne doit pas être oublié que le contingent d’heures libres répond aux nécessités du mandat et que son utilisation doit exclusivement s’ordonner autour des missions attachées à ce mandat. Le principe du libre exercice de l’activité syndicale exige en effet que les délégués du personnel aient pleine possibilité d’utiliser à leur convenance leurs heures de délégation.

Pourtant, certains syndicats ont signé, notamment avec la société Air France, des accords collectifs de travail acceptant un décompte en jours, renonçant ainsi au principe d’autonomie du mandat de leurs représentants. D’autres ont parfois laissé s’instaurer un usage en ce sens. Or, il est incontestable que dans l’un et l’autre cas, ces dispositions doivent être considérées comme moins favorables que la loi, peu important que le nombre de jours accordés puissent aboutir à des temps de délégation un peu plus longs. En effet, la seule occurrence qu’un tel décompte interdise aux représentants du personnel de prendre les temps de délégation en fonction des besoins de leur mandat viole le principe fondamental d’autonomie dans l’exercice du mandat syndical, ce qui rend l’usage ou l’accord illicite et en toute hypothèse défavorable par rapport à la loi protectrice de la liberté syndicale. C’est pourquoi un tel usage ou accord est inopposable aux syndicats qui n’acceptent pas de renoncer à leurs droits.

Au demeurant, les tribunaux saisis ont condamné le procédé, enjoignant à la société Air France, sous astreinte, de rétablir la comptabilisation en heures des temps de délégation des représentants du personnel. Ces condamnations ont été prononcées aussi bien lorsque l’employeur prétendait instituer le décompte en jours par la voie d’un usage (CA Paris 27 mai 2013), que par voie d’accord collectif, (CA Paris 27 octobre 2014).

Enfin par un arrêt du 16 avril 2015 à l’encontre de la société Air France, la Cour de cassation, approuvant la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 27 mai 2013, a eu l’occasion de préciser que la violation des dispositions impératives contenues dans les articles L 2315-1 et suivants du code du travail constitue un trouble manifestement illicite qu’il appartient au juge des référés de faire cesser. (Cass. Soc. 16 avril 2015, pourvoi 13-21531)

Plus récemment, le 18 mai 2015, le Tribunal de grande instance de Brest condamnait une filiale d’Air France, la société Hop ! Brit Air dans les mêmes termes.
La réaction d’Air France ne s’est pas faite attendre.

La société a profité de l’esprit du projet de loi Rebsamen, destinée à opérer des coupes sombres dans les droits syndicaux. Elle a donc dépêché ses émissaires au Parlement pour contrecarrer cette jurisprudence qui la dérangeait. En commission réunie à l’Assemblée, les députés socialistes Bruno Le Roux (Seine Saint Denis) et Joëlle Huillier (Isère) déposaient un amendement n°454 visant à insérer un nouvel article L 6524-6 dans le Code de l’Aviation Civile, dont le premier alinéa est ainsi rédigé : « Sauf accord collectif contraire, lorsque le représentant élu ou désigné est un personnel navigant exerçant l’une des fonctions mentionnées à l’article L. 6521-1, le crédit d’heures légal prévu aux articles L 2142-1-3, L. 2143-13, L. 2315-1, L. 2325-6, L. 2326-3 et L. 4614-3 du code du travail, ou le crédit d’heures conventionnel, est regroupé en jours. »

Soyons rassurés, les patrons peuvent rester sereins, le gouvernement socialiste veille sur leurs intérêts !

Ils savent que, lorsqu’ils estiment la vigilance du juge judiciaire dans son rôle de gardien des libertés fondamentales un peu trop sourcilleuse à leur goût, ils pourront trouver auprès des élus socialistes toute la compréhension qui leur permettra de ne pas tenir compte de ces empêcheurs d’exploiter sans entrave.


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