Chronique ouvrière

Faut-il jeter aux orties la loi Micron ?

samedi 9 septembre 2017 par Marie-Laurence NEBULONI
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Si les atteintes à des fondements essentiels de la prud’homie, oralité, gratuité…suscitent à juste titre les critiques des universitaires et professionnels du droit militants [1] , comment est-elle vécue par les acteurs essentiels de la justice du travail que sont les conseillers prud’homaux et défenseurs syndicaux ?

La loi du 06 août 2015 fut présentée, de façon manichéenne, par différents appareils syndicaux, comme totalement mauvaise et consigne fut souvent donnée aux conseillers prud’homaux de ne la faire vivre dans aucune de ses dispositions.
Dans certains Conseils, il existe même un consensus entre les organisations patronales et de salariés pour bloquer la réforme. La méthode est l’inertie : pas d’information, peu de formation, pas d’organisation.

Le but n’est nullement ici d’encenser la nouvelle loi, loin s’en faut, mais de tenter de trier le bon grain de l’ivraie.

I) Des mesures de nature à permettre aux travailleurs d’être mieux entendus devant les Conseils de Prud’hommes

Les pouvoirs du bureau de conciliation ont été accrus. L’accent est délibérément mis sur la mise en état. Auparavant, le code l’imposait déjà [2]. Mais un des mandats impératifs patronaux était de limiter le plus possible les pouvoirs de ce bureau.

Le MEDEF ne s’y est pas trompé, qui s’oppose farouchement à la tenue d’une audience dédiée [3] . Cette mesure trouve pourtant un écho favorable chez les avocats et défenseurs syndicaux. Combien de renvois dilatoires sont-ils demandés pour pièces non communiquées ? Les justiciables n’en sont-ils pas les principales victimes ?

De même, la possibilité de transformation en bureau de jugement, en cas de non comparution sans motif légitime [4] de l’employeur, peut permettre d’accélérer sensiblement la procédure, notamment pour les salariés en grande détresse, dont le patron « fait le mort ».

De plus, le Conseil a désormais la possibilité de se substituer à un employeur rétif à la délivrance de l’attestation destinée Pôle Emploi [5] .

Enfin, l’incompatibilité de section ne peut plus être soulevée qu’à la première audience, soit en BCO ou bureau de jugement quand l’affaire y est directement enrôlée [6] , ce qui limite le recours à cette exception de procédure par des avocats employeurs soucieux d’obtenir un renvoi dilatoire.

II) Des mesures de nature à renforcer le rôle des syndicats ouvriers

Les défenseurs syndicaux ont désormais la qualité de salariés protégés, le bénéfice d’une autorisation d’absence dans l’entreprise, le droit à la rémunération de la mission et le droit à la formation [7] .

Paradoxalement, leur maintien dans les Cours d’appel est de nature à valoriser l’image des organisations ouvrières auprès des magistrats. Les défenseurs sont parfois aussi pointus, voire plus, que les avocats, plus respectueux des délais et plus concis dans leurs propos. Ils restent le dernier rempart contre la professionnalisation totale de la procédure prud’homale, la dernière voix des travailleurs susceptible de se faire entendre sans le filtre des robes noires.

Même la complexification de la procédure est de nature à encourager les salariés à se tourner vers les organisations syndicales pour leur demander leur aide. Ils y sont aussi incités par les institutionnels : inspecteurs et contrôleurs du travail, accueils des Conseils de Prud’hommes.

Les conseils juridiques gratuits donnés dans les unions locales et syndicats professionnels renforcent sensiblement la syndicalisation.

Que les lecteurs de Chronique ouvrière ne s’inquiètent pas outre mesure : aucun(e)de ses auteurs ne s’est mis(e) « en marche ».

Beaucoup de revendications sont légitimement formulées, comme l’ouverture de la possibilité de désigner des défenseurs syndicaux aux organisations non représentatives, l’augmentation des moyens qui leur sont dévolus, la suppression du recours obligatoire aux huissiers en appel en cas de non constitution de l’intimé(e), le maintien de l’oralité dans les deux instances…liste non exhaustive.

Parallèlement, ne vaut-il pas mieux exploiter les quelques dispositions favorables aux travailleurs à leur profit ?

[1« La loi Macron ou les fausses vertus du renforcement des corporatismes dans le procès prud’homal », P. Moussy,9 avril 2017

[2Article R1454-17 : « En l’absence de conciliation ou en cas de conciliation partielle, le bureau de conciliation renvoie l’affaire au bureau de jugement lorsque le demandeur et le défendeur sont présents ou représentés et que l’affaire est en état d’être jugée sans que la désignation d’un ou deux conseillers rapporteurs ou le recours à une mesure d’instruction soient nécessaires. »

[3Voir, en pièce jointe, incident survenu récemment dans un CPH, les noms des protagonistes ont été changés

[4Article L. 1454-1-3 : « …si, sauf motif légitime, une partie ne comparaît pas, personnellement ou représentée, le bureau de conciliation et d’orientation peut juger l’affaire, en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués. Dans ce cas, le bureau de conciliation et d’orientation statue en tant que bureau de jugement dans sa composition restreinte mentionnée à l’article L. 1423-13. »

[5Article R1454-14 : « … Au vu des pièces fournies par le salarié, il peut prendre une décision provisoire palliant l’absence de délivrance par l’employeur de l’attestation prévue à l’article R. 1234-9. Cette décision récapitule les éléments du modèle d’attestation prévu à l’article R. 1234-10, permettant au salarié d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L. 5421-2. »

[6Article R1423-7 : « Les contestations sont formées devant le bureau de conciliation et d’orientation ou, dans les cas où l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, avant toute défense au fond. »

[7A. HINOT, « Prud’hommes : le nouveau monopole des défenseurs syndicaux attaqué devant le Conseil d’Etat », Chronique Ouvrière du 27 octobre 2016


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