Chronique ouvrière

L’entretien d’évaluation : comment dévaluer les salariés pour mieux les jeter

mercredi 9 décembre 2009 par Marie-Laurence NEBULONI

Une sinistre comédie, largement répandue dans l’entreprise, notamment à l’encadrement, pourrit en toute impunité la vie professionnelle des salariés qui sont contraints d’y participer : l’entretien d’évaluation.

Ce fléau revient une fois l’an s’abattre sur le travailleur.

Il est camouflé derrière un discours ronflant, parfois formalisé par écrit sous la forme d’un code de déontologie ou d’une charte, dont les termes sont souvent générateurs d’inquiétude par l’absurdité du propos, qui énonce une contradiction flagrante, ex : "valoriser l’implication, la performance individuelle tout en assurant la cohésion des équipes et l’équité de traitement", l’emploi d’un langage obscur, ex : " une validation par des avis croisés est nécessaire, ainsi que la confirmation de la cohérence de cette projection avec les responsabilités précédentes", le déni de tout libre arbitre, ex : "capacité à expliquer aux collaborateurs les politiques et les orientations de l’entreprise" etc...

Le pauvre bougre s’inquiète avec raison.

En effet, la victime est contrainte d’affronter seule, sans connaissance préalable des arguments qui vont lui être opposés, dans un bureau, le chef d’orchestre cravaté ou en tailleur qui a préparé son dossier, mène les débats et prononce la sentence sans avoir besoin de délibérer, puisque tout est "plié" d’avance.

L’organisation même de l’entretien met l’évalué à la totale merci de l’évaluateur.

Ce dernier jouit d’un avantage supplémentaire : comme l’immense majorité des salariés, son subordonné exécute la prestation de travail de bonne foi et il est persuadé que son employeur en fait autant. Une proie naïve est une proie facile.
(Propos entendus au Conseil de Prud’hommes de Paris : le Conseil demandait à un justiciable ayant été licencié après trois entretiens d’évaluation négatifs effectués par deux responsables différents pourquoi il signait sans contester les compte rendus des dits entretiens. L’intéressé répondit : "Parce que j’avais confiance en mon patron".).

Si le maître d’œuvre est honnête, les choses se passeront bien.
Sinon, toutes les dérives peuvent se produire : point culminant d’une démarche de harcèlement, culpabilisation aux fins de justifier une discrimination, pressions pour obtenir toujours plus, montage d’un dossier en vue du licenciement...

Une grande partie des suicides au travail ont fait suite à ce genre d’entretiens.

Pourtant, on observe peu de réactions dans le monde judiciaire. Quelques exigences, comme la consultation du CHSCT (cass...), l’obligation d’établir la réalité des reproches allégués, ou la reconnaissance d’un droit au refus quand l’employeur n’a pas respecté ses propres engagements (cour d’appel, DUMAY/RATP : dans cette affaire, l’intéressé avait formulé un recours envers le N+2, demande restée sans suite. Ce recours étant expressément prévu par le code de déontologie maison des entretiens d’évaluation, le juge avait estimé justifié le refus du travailleur de participer, l’année suivante, à un nouvel entretien).

Mais le principe même n’est jamais remis en cause.

Les pitoyables tentatives patronales à vouloir habiller de prétendues bonnes intentions, selon leurs seuls critères, la détestable pratique de l’évaluation au nom de l’intérêt supérieur de l’entreprise sont insuffisantes à masquer une sinistre réalité : la justice d’un pays qualifié de démocratique tolère l’existence de ces moments de totale soumission d’un être humain par un autre, sans application du principe du contradictoire, ni possibilité d’assistance.

L’entretien d’évaluation est le pire avatar du lien de subordination. Il parfait le processus de déni de la qualité de citoyen du salarié qui le subit. A ce titre, il doit être combattu par tous moyens par les militants soucieux de faire franchir aux valeurs républicaines la frontière de l’entreprise.


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