La Cour de Cassation donne un tuyau à l’employeur pour échapper à la réintégration du salarié qui a fait l’objet d’un licenciement discriminatoire :
ne pas rédiger de lettre de licenciement
Le Code du Travail dispose que tout acte contraire aux dispositions légales qui interdisent les mesures discriminatoires est nul (article L.1132-4 ; ancien article L.122-45, alinéa 5).
Cette précision est d’importance pour le salarié qui est licencié pour un motif discriminatoire. Le licenciement nul se distingue en effet du licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il élargit substantiellement les pouvoirs du juge.
En présence d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge ne peut que proposer la réintégration. Mais, en face d’un licenciement nul, le juge prud’homal a le pouvoir d’ordonner la poursuite du contrat de travail qui n’a pu être valablement rompu. (Un acte nul est censé n’avoir jamais existé).
Le licenciement du salarié en raison de son état de santé est incontestablement, aux termes de l’article L.1132-1 (ancien article L.122-45, alinéa 1) du Code du Travail, considéré comme un licenciement discriminatoire interdit par la loi. Il doit, par conséquent, encourir la nullité.
Mais la Cour de Cassation réserve la sanction de la nullité à l’hypothèse où la lettre de licenciement énonce que l’état de santé est la cause du licenciement. Dans le cas où la lettre de licenciement justifie l’éviction par la perturbation apportée au fonctionnement de l’entreprise par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié et où le l’employeur ne justifie pas de l’effectivité de la désorganisation alléguée, on serait seulement en présence d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il a déjà été relevé que cette casuistique « subtile » ne résiste pas à l’examen (voir P. Moussy, « Où en sommes-nous de nos amours ? », Dr. Ouv. 2004, 278). En matière de discrimination l’employeur est souvent orfèvre pour dissimuler le motif du licenciement inavouable derrière un « prétexte ». Par exemple, lorsque le juge des référés prud’homal est amené à ordonner la poursuite du contrat de travail d’un ancien gréviste licencié pour des raisons apparemment étrangères à l’action collective, il ne s’arrête pas au motif « officiel » inscrit dans la lettre de licenciement (voir Cass. Soc. 28 avril 1994, Dr. Ouv. 1994, 442). L’état de santé est aussi précieux que le droit de grève. Les juges ne sauraient être privés de la faculté de constater la nullité et de prononcer une mesure de remise de état, après avoir découvert que les perturbations invoquées n’étaient en définitive qu’un « prétexte » pour se séparer du salarié au mauvais état de santé.
Avec l’arrêt du 19 mars 2008, le contrôle de l’existence d’une discrimination est consacré comme impossible. Comme il n’y a pas de motif, il n’y a plus de prétexte ! Et, par voie de conséquence, plus rien à cacher derrière…
En l’espèce, l’employeur avait remis à une salariée un certificat de travail mentionnant une date de « fin de travail ». La relation de travail s’était donc interrompue sans que l’employeur prenne la peine de rédiger une lettre de licenciement indiquant le motif de la rupture. Les juges ont dès lors considéré, en l’absence de motif d’une rupture imputable à l’employeur (la salariée concernée n’avait à aucun moment annoncé qu’elle voulait quitter l’entreprise), être en présence d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mais l’intéressée faisait valoir que c’était son état de santé qui était à l’origine de son éviction de l’entreprise et elle demandait en conséquence aux juges, sur le fondement de l’ancien article L.122-45 du Code du Travail, de constater la nullité de son licenciement.
Mission impossible ! L’employeur n’ayant énoncé aucun motif, la discrimination ne pouvait être décelée et le licenciement ne pouvait qu’être déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Il est vrai que la traque de la discrimination n’est pas toujours un exercice facile. Finalement, le prétexte constitué par le motif officiel du licenciement peut faciliter l’appréhension du caractère discriminatoire de la rupture. Le salarié est invité, dans un premier temps, à fournir aux juges des éléments de nature à faire tomber la réalité ou le sérieux du motif invoqué. Une fois démoli l’échafaudage construit par l’employeur, il lui est plus facile de convaincre, dans un second temps, même s’il ne dispose pas de beaucoup de pièces à conviction mettant en évidence la discrimination, que l’auteur du licenciement dont le motif s’est avéré ne pas tenir la route était animé d’un mobile interdit par la loi.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité du 28 avril 1994, concernant le licenciement discriminatoire d’un gréviste, le « prétexte » (avoir fait rentrer un visiteur dans l’entreprise en infraction avec les dispositions du règlement intérieur) avait servi au déclenchement d’une procédure de licenciement moins de quinze jours après la fin du mouvement de grève, à l’encontre du seul chef d’atelier qui avait participé à la grève…
Il n’y avait pas, dans le dossier, beaucoup de pièces qui témoignaient du caractère discriminatoire du licenciement. Mais les juges n’étaient pas dénués d’une certaine faculté de raisonnement… qui leur a suffi pour appréhender la discrimination.
Mais l’absence de motif, donc de prétexte, ne saurait suffire à paralyser les juges et à les priver de l’intelligence permettant de saisir la discrimination.
Par son célèbre arrêt concernant le CNE, le Conseil d’Etat a souligné que, même en l’absence d’un motif de rupture, un licenciement peut être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n’est pas intervenue en méconnaissance des dispositions prohibant les mesures discriminatoires (CE. 19 octobre 2005, D. 2006, note G. Borenfreund).
Le juge ne saurait se retrancher derrière l’absence d’une énonciation officielle d’un motif de rupture pour refuser de vérifier le bien fondé de l’allégation du salarié qui vient se plaindre d’une discrimination. Cela serait trop facile pour l’employeur. Pour échapper à la sanction de la nullité, il lui suffirait de ne pas rédiger de lettre de licenciement.
Les conseillers prud’hommes de la CGT sauront certainement ne pas suivre la Cour de Cassation qui les invite à commettre un excès de pouvoir négatif au détriment du salarié victime d’une discrimination.
Pascal MOUSSY
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