Chronique ouvrière

La décision implicite hypocrite

samedi 27 septembre 2014 par Marie-Laurence NEBULONI

La règle selon laquelle le silence gardé par l’administration pendant un certain temps sur une demande vaut rejet fut crée, à l’aube du XXe siècle, aux fins d’ouvrir à l’administré l’accès au tribunal [1]. Par la suite, le droit de recours effectif au juge fut renforcé pas sa consécration constitutionnelle [2] et une multitude de traités internationaux.
Une loi récente [3] vient d’inverser le principe. A compter de novembre 2014, le silence gardé pendant 2 mois par l’autorité administrative sur une demande vaudra acceptation et non plus refus.
Mais, en matière sociale, le législateur avait déjà introduit des exceptions à l’adage « Qui ne dit mot refuse » dont les motifs (I) et les effets (II) interrogent.

I) La restriction de l’accès au juge

Issue de la loi du 25 juin 2008 [4], la rupture conventionnelle régie par les articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail, est un dispositif qui permet à l’employeur et au salarié de « convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat de travail ».

Outre le principe du commun accord dans le cadre d’un lien de subordination, d’autres dispositions posent problème.

En effet, l’article L.1237-14 du même code énonce :

« L’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de quinze jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l’homologation est réputée acquise et l’autorité administrative est dessaisie. ».

A la lecture de cet alinéa, on peut déjà s’interroger sur la possibilité, pour le contrôleur du travail, de s’assurer du libre consentement des parties, laquelle nécessite une bonne connaissance de l’entreprise et de rencontrer le salarié concerné.

En outre, dans la réalité, du fait d’un effectif insuffisant [5] , très peu de conventions de rupture sont vérifiées. La récente réforme de l’inspection du travail ne va pas arranger les choses [6] .

Par ailleurs, lorsque la réponse de l’administration doit intervenir dans un délai inférieur ou égal à quinze jours, celle-ci n’est pas tenue de délivrer un accusé de réception [7] . Or, il appartient à la partie la plus diligente d’adresser la demande d’homologation à l’inspection du travail [8] . Si le salarié s’en charge, il n’a aucun moyen de savoir si sa demande a été reçue. Si l’employeur lui dit l’avoir fait, il n’a aucun moyen de le vérifier.

Il ressort de ces observations que le principe de l’acceptation implicite permet de rendre non effective la vérification du respect des droits du salarié par l’inspection du travail.

Au surplus, le recours juridictionnel contre la convention de rupture n’est que de douze mois [9] , contre vingt quatre pour le licenciement [10] . L’accès au juge s’en retrouve fragilisé.

Il s’ensuit que la sécurisation des ruptures conventionnelles voulue par le législateur profite essentiellement aux employeurs en ce sens qu’elle limite de facto considérablement l’accès du salarié au juge par un délai d’action réduit et un déficit d’informations quant aux droits qu’il pourrait faire valoir.

Par la suite [11] , le législateur a introduit une nouvelle possibilité de validation implicite par l’administration : l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi [12] .

De ce fait, les organisations syndicales et les salariés se trouvent privés du droit de connaître les motifs de l’acceptation. A l’inverse, l’employeur est toujours informé des motifs ayant présidé au refus d’homologation et il lui est donné une deuxième chance de procéder à un nombre important de licenciements pour motif économique [13].

Une fois de plus, force est de constater que le mécanisme de la décision implicite d’acceptation a pour effet de favoriser la partie forte au contrat de travail. Pour quelles raisons ?

II) De l’intérêt général aux intérêts privés

Dans la conception française, l’intérêt général ne résulte pas de la somme des intérêts particuliers. L’action administrative trouve sa justification et sa finalité dans la recherche du premier et s’exerce sous le contrôle de la justice [14].

Qu’en est-il réellement aujourd’hui ?

Le 10 avril 2014, le Conseil d’Etat a jugé que l’ouverture des magasins de commerce au détail d’articles de bricolage était justifiée par le besoin du public, au vu des résultats d’enquêtes d’opinion [15] . A la notion d’intérêt général, qu’il est censé faire respecter, le juge administratif a substitué celle de « besoin du public », en matière de consommation.

Que penser quand un juge écrit : « que cette mesure entend répondre, ainsi qu’il a également été dit ci-dessus, aux nécessités de loisirs dominicaux qui se tournent désormais, pour un très grand nombre de personnes, vers l’exercice d’activités de bricolage ; que la satisfaction de besoins de cette nature constitue une considération sociale et économique pertinente au sens des stipulations citées ci-dessus [16]. » ?

Le raisonnement juridique est remplacé par une étude sociologique et économique, laquelle ne s’appuie sur aucune donnée : où est la démonstration de la pertinence économique ?

Le Conseil d’Etat argumente sur le fondement de l’article 7 de la convention internationale du travail n° 106, qui parle de services et non de commerce, et est rédigé en termes si généraux qu’ils permettent une interprétation très large susceptible de se trouver en opposition avec la finalité première du texte, à savoir le progrès social.

La haute Cour invoque la « nécessité des loisirs sociaux » mais favorise uniquement la consommation [17] . Beaucoup de personnes font un jogging ou jouent au foot le dimanche. Faut-il pour autant ouvrir les commerces d’articles de sport ? Qui pourra avoir des activités de loisirs le dimanche quand tout le monde sera au travail ?

Le précédent ministre du chômage, Monsieur Michel SAPIN, a répondu [18] qu’il fallait permettre aux employés qui subissaient un temps de transport important dans la semaine de se rendre dans les magasins de bricolage le dimanche. Pourquoi ne pas plutôt diminuer le temps de travail, augmenter les salaires, baisser les loyers…

Il serait pourtant de l’intérêt général de privilégier la cohésion sociale par le maintien du dimanche comme jour de repos obligatoire pour tous, la seule exception admissible ne pouvant être que la continuité du service public. Mais le Conseil d’Etat a préféré protéger les intérêts privés des patrons des grands magasins de bricolage.

Sa position s’inscrit dans un contexte plus large dont l’exemple le plus frappant et le plus abouti est le projet de traité transatlantique qui créé des tribunaux extra judiciaires ayant le pouvoir de juger les Etats [19] .

Force est de constater que la finalité originelle du droit public, la préservation de l’intérêt général [20] , évolue sensiblement vers la protection de puissants intérêts privés.

[2Conseil constitutionnel, décision 96-373 du 09 avril 1996, considérant 83

[3loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens

[4LOI n°2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, résultant de l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2011

[5Propos recueillis lors d’un débat entre inspecteurs du travail et militants cgt à la bourse du travail

[7Décret n°2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l’application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l’accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives

[8L.1237-14 du code du travail, alinéa1

[9Op.cit. alinéa 4

[10L.1471-1 du code du travail

[11Loi 2013-504 du 14 juin 2013

[13L.1233-57-7 du code du travail

[17Tract CGT : « Travail du dimanche spirale infernale », 25/09/2014

[18Vu et entendu à la télévision

[20Yves SAINT-JOURS, le droit ouvrier novembre 2013 p.696


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